Elena Danescu est chercheuse scientifique et professeure à l’université du Luxembourg. Elle retrace avec nous l’histoire de la relation entre le Grand-Duché et l’Europe.
À quelques jours des élections européennes, les questions et enjeux politiques s’agitent au Grand-Duché. Il faut dire que le pays a une relation particulière avec l’Union européenne. En tant que membre fondateur et capitale permanente, le Luxembourg accorde une certaine importance à l’Europe dans sa politique.
Elena Danescu est chercheuse scientifique et professeure au sein de l’université du Luxembourg. Elle a étudié l’histoire de cette relation.
Comment est né l’intérêt du Luxembourg pour une union politique et économique européenne ?
Elena Danescu : C’est un intérêt fondamental du pays. Il est notamment lié à la situation géopolitique du Luxembourg. Sa position géographique en Europe est entre deux grandes puissances, la France et l’Allemagne, deux ennemis héréditaires qui se sont fait la guerre.
Le Luxembourg fut également un petit pays avec peu de ressources, avec une main-d’œuvre assez réduite. Ces éléments-là l’ont dirigé à chercher vers l’extérieur des partenaires et surtout des marchés.
Quels ont été les partenaires du Luxembourg avant la création de l’Union européenne ?
Le Luxembourg fut d’abord membre du Zollverein, l’union douanière allemande, de 1842 et jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Le sud du pays s’est révélé être une source pour le minerai de fer, ce qui a fait émerger l’industrie sidérurgique et tout un tissu de petites et moyennes entreprises.
Et ça a également ouvert au Luxembourg la possibilité de se mettre au diapason de la dynamique de l’économie de ces États allemands qui, à long terme, s’est révélée très bénéfique pour le pays. C’est à ce moment-là que s’est enclenchée la transition d’une économie agricole vers une économie industrielle.
Le Luxembourg a ensuite dû chercher un nouveau partenaire. C’est la Belgique qui s’est profilée. L’Union économique belgo-luxembourgeoise, l’UEBL, est née en 1921. Cette union se voulait être davantage qu’une simple union douanière et économique. C’est un pas de plus vers une coopération politique. Elle est aussi assortie d’un protocole monétaire qui prône la circulation des deux monnaies, le franc luxembourgeois et le franc belge, sur les deux territoires.
Un dernier élément de coopération se profile en 1949 : la pré-union Benelux. Elle devient une coopération économique mais aussi politique en 1958, sous le nom de l’Union économique du Benelux, et regroupe trois pays, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas. La signification a été très importante d’un point de vue politique, parce qu’elle exprime la coagulation des petits États pour défendre et promouvoir des intérêts communs.
Quel rôle a joué le Luxembourg dans la création et l’unification de l’UE ?
La véritable coopération économique européenne commence avec la déclaration de Robert Schuman, natif luxembourgeois d’une mère luxembourgeoise et d’un père douanier lorrain.
Lorsque Schuman énonce le projet d’une mise en commun du charbon et de l’acier de la France et de l’Allemagne sous une autorité supérieure, dans le salon de l’Horloge au Quai d’Orsay le 9 mai 1950, il ouvre le projet en question non pas seulement à la France et à l’Allemagne, mais également aux autres pays désireux de s’y joindre. Et, bien entendu, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas, les pays du Benelux, mais aussi l’Italie, disent oui.
C’est comme ça que les six pays fondateurs se sont mis d’accord sur la création d’une première communauté européenne, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Pourquoi communauté? Parce qu’ils mettaient non pas seulement leurs intérêts en commun, mais aussi des parties de leur souveraineté, sous une haute autorité qui va au-delà des États membres. Cette haute autorité est l’ancêtre de la Commission européenne d’aujourd’hui.
Pourquoi dit-on que le Luxembourg est une capitale européenne ?
Le siège de la haute autorité est arrivé au Luxembourg comme un lieu de travail provisoire qui a duré pendant 40 ans. Le sommet d’Édimbourg fixe Luxembourg, Strasbourg et Bruxelles comme capitales permanentes des institutions européennes. Après ce lieu de travail provisoire pour la haute autorité, Luxembourg devient aussi le siège de la Cour de justice.
Après la CECA, deux autres communautés naissent en 1957 avec les traités de Rome. Ce sont la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom). Ces communautés doivent se doter elles aussi d’une autorité.
La multiplication des institutions de ces communautés mène les États membres à une réflexion : comment rationaliser le fonctionnement institutionnel et comment gérer les dépenses de ces fonctionnements institutionnels ? La discussion sur la fusion des exécutifs communautaires sous une seule haute autorité émerge à ce moment-là et aboutit en 1965. Elle deviendra par la suite la Commission européenne, une seule Cour de justice et une seule Assemblée parlementaire commune.
C’est dans cet esprit que Luxembourg devient la capitale permanente des institutions juridiques et des institutions financières de l’UE.
Après s’être profilé comme capitale permanente des institutions juridiques et financières, Luxembourg se profile de plus en plus comme une capitale digitale de l’Europe. Parce que, comme on le sait, le superordinateur de grande puissance de l’Union européenne, Meluxina, est installé au Luxembourg.
Comment a évolué la relation entre le pays et l’Europe au fil des décennies ?
Je crois que cette relation s’est constamment renforcée. Grâce à l’influence que le pays a gardée, grâce à son leadership, et aussi grâce au projet d’avant-garde que le pays promeut et soutient, sa place en Europe est très importante. Le Luxembourg a toujours été force de proposition.
Par trois fois, les présidents de la Commission européenne ont été des Luxembourgeois, Gaston Thorn de 1981 à 1985, Jacques Santer de 1995 à 1999 et Jean-Claude Juncker de 2014 à 2019. Le Luxembourg fait partie des pays dont le plus de présidents de la Commission sont issus. Ils ont promu de grands projets européens. Gaston Thorn a promu l’Europe de l’innovation.
Jacques Santer a affirmé le rôle géopolitique de la Commission européenne et a mis en place l’euro. Jean-Claude Juncker a participé au sauvetage de l’euro durant la crise 2008-2018, mais a également mis en place le plan d’investissement de l’Union européenne, appelé plan Juncker, et les partenariats public-privé dans la stimulation des investissements européens post-crise.
Tous ces présidents ont fortement influencé la politique européenne grâce à leur propre vision et à des projets qui leur tenaient à cœur.
Sa multiculturalité et son multilinguisme, sa facilité aussi à comprendre les interlocuteurs dans leur langue et leur culture font que le Luxembourg est un bon modérateur. Les Anglais disent «honest broker», les Français disent «honnête courtier», c’est-à-dire qu’il essaye d’être un intermédiaire entre les grandes puissances.
Quel rôle a-t-il aujourd’hui ?
En tant que membre fondateur, il fait partie du groupe de tête des pays communautaires. Et Luxembourg est également capitale permanente. Je pense que son rôle, c’est un rôle essentiel pour faire évoluer la construction européenne avec dynamisme, dans un esprit constructif. Les Luxembourgeois ont toujours été constructifs dans l’histoire de la construction européenne.
Le Luxembourg est aussi regardé comme un modèle de la construction européenne. Parce que grâce à l’Europe, le pays a pu s’orienter sur le long terme pour son développement économique, pour la prospérité de sa population, et aussi pour son ouverture vers l’Europe et vers le monde.
Son point de vue sur le Luxembourg ne peut être plus erroné. Il n’est même pas permis de discuter de la corruption du gouvernement.