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«Eis Groussmammen» : ces femmes «oubliées» racontées par leurs petites-filles


L’association Femmes Pionnières du Luxembourg ASBL a sorti son livre Eis Groussmammen – 15 Enkelinnen erzählen von ihren Großmüttern.

Quinze autrices retracent la vie de leurs grands-mères dans le livre Eis Groussmammen. L’objectif est double : rendre les femmes plus visibles dans l’Histoire et souligner les liens entre grand-mère et petite-fille.

«Les grands-mères ont plus d’influence qu’on ne le pense sur la personnalité de leurs petits-enfants», disait Robert Badinter. Voilà une phrase qui sied à l’ASBL Femmes Pionnières du Luxembourg, puisqu’elle dédie son nouveau livre aux grands-mères luxembourgeoises. L’idée est venue d’une constatation : les livres d’histoire ne parlent pas des femmes. «Ici, au Luxembourg, il y a très peu de traces sur la vie des femmes d’il y a 100 ans», commence Joëlle Letsch, présidente de l’ASBL.

L’association a été créée en 2016 avec, justement, l’objectif de rendre les femmes plus visibles dans la société et de lutter pour l’égalité entre les genres, au travers de conférences, d’expositions et de livres. «On ne parle que de ce que les hommes ont réalisé. Les femmes sont les oubliées de l’Histoire. Et ça, ça me gêne depuis 50 ans. C’est pour cela que je m’engage depuis 50 ans», dit-elle avec conviction.

Une grande diversité de portraits

Le livre «Eis Groussmammen – 15 Enkelinnen erzählen von ihren Großmüttern» (en français : Nos grands-mères – 15 petites-filles parlent de leurs grands-mères), dernier projet de l’ASBL, le fait avec des récits concrets : quinze femmes racontent les histoires de leurs grands-mères, vivantes au XXe siècle, entre 1880 et 1930.

Le choix des portraits s’est fait avec la volonté de dépeindre une grande diversité de trajectoires de vie. Toutes ces femmes venaient de régions et de milieux différents et avaient des métiers variés. «Nous nous sommes demandé quels étaient leurs rêves et leurs ambitions, ce qu’elles voulaient réaliser… », relate Joëlle Letsch.  Il lui semblait alors important de parler de leur projet de vie, de la manière dont elles ont grandi ou encore des choses qu’elles ont vécues.

C’est un fait : au XXe siècle, les femmes n’avaient pas les libertés qu’elles ont aujourd’hui. «Ces grands-mères sont nées à une époque qui, contrairement à aujourd’hui, n’était pas caractérisée par l’égalité politique, juridique, sociale et économique entre les femmes et les hommes», explique l’historienne Josiane Weber.

Joëlle Letsch est présidente de l’ASBL Femmes Pionnières du Luxembourg. Elle s’engage depuis 50 ans pour la cause des femmes.

Pourtant, les recherches ont permis de dévoiler une tout autre version de l’histoire : «En se penchant sur leurs vies, nous avons constaté que leurs ambitions étaient bien plus que d’avoir des enfants et une vie de famille, elles avaient d’autres activités et notamment des métiers», révèle la présidente.

En 1907, 30,3 % des femmes luxembourgeoises travaillaient, alors qu’elles n’étaient que 19,5 % en 1970. «La plupart de nos grands-mères étaient probablement plus émancipées que nos mères», souligne Josiane Weber. La sienne a travaillé comme sage-femme indépendante toute sa vie. «Ma grand-mère, Josephine Kaslel-Irrthum, était une femme très forte.»

En tournant les pages du livre, on découvre les portraits d’agricultrices, vigneronnes ou encore de femmes au foyer. «Ma grand-mère travaillait dans un hôtel à Mondorf, puis dans un magasin, elle était très orientée vers les clients et les langues», illustre Joëlle Letsch.

Des modèles et sources d’inspiration

Le livre n’est pas qu’une histoire de mémoire, c’est aussi une source d’inspiration. «Chaque femme ressent une transmission, non seulement de savoir, mais aussi d’expérience. Dans une certaine mesure, ces grands-mères sont des modèles», sourit Joëlle Letsch. Elle, avait une grande complicité avec la sienne, Elise Frantz-Paulké. «Elle a toujours été l’instance où j’allais lorsque ce n’était pas facile pour moi, car elle avait cette façon de gérer les moments difficiles avec toute son expérience.»

Elles ont également voyagé ensemble, notamment en France. C’est là-bas que sa grand-mère lui a fait découvrir la cuisine comme elle l’aimait. Et elle lui a appris ce qu’était le courage : «Pendant la Seconde Guerre mondiale, les gens n’avaient pas le droit d’étudier le français à cause des nazis. Mais ma grand-mère a fait le nécessaire en cachette pour que ma mère l’étudie parce que c’était très important, selon elle, de connaître les langues.»

Quinze Luxembourgeoises content l’histoire de leurs grands-mères, vivantes au XXe siècle, entre 1880 et 1930.

Cette transmission, Sandie Lahure la ressent aussi. Sa grand-mère, Catherine Lahure-Schmitz, était l’aînée de huit enfants. Pour s’occuper de sa mère, elle a dû travailler très tôt. «Elle a aimé travailler et c’est ça que j’ai appris d’elle : de le faire avec une certaine joie, de ne jamais se plaindre et de faire sa vie tout simplement», dit Sandie, un sourire nostalgique accroché aux lèvres.

Elle décrit sa grand-mère comme une femme forte, qui osait dire son opinion, qui n’avait pas peur des autres et qui avait beaucoup d’énergie. «Elle m’a appris à être engagée à 100 % dans la vie.» Mais ce n’est que lorsqu’elle a commencé à écrire que Sandie s’est rendu compte de l’impact de sa grand-mère sur sa vie. «Je n’étais pas tout à fait consciente de l’emprise qu’elle avait sur moi… Elle m’a tellement marquée dans la vie, et ça, avant, je ne le savais pas.»

Réapprendre à les connaître

Écrire sur sa grand-mère a également été l’occasion de la redécouvrir. Pour retracer sa vie, Sandie a beaucoup discuté avec sa tante. «Je ne savais pas grand-chose d’elle, j’avais surtout des souvenirs très personnels», avoue-t-elle. «Quand on parle aux autres femmes, elles, aussi, disent avoir réappris à connaître leur grand-mère !»

Christiane Kremer le confirme : «En m’intéressant à la vie de ma grand-mère, en discutant avec ma tante et mon oncle qui vivent encore, j’ai remarqué que je ne la connaissais pas comme elle était vraiment.» Elle avait toujours vu sa grand-mère, Anne Kremer-Feyder, comme une femme calme et gentille. Mais elle a découvert une femme énergique au caractère bien trempé lorsqu’il le fallait. «C’est important de rendre hommage à ces femmes», conclut Joëlle Letsch.