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Écotaxe sur l’A31 : «On surveille la situation»


L’écotaxe pour les poids lourds circulant sur l’A31 devrait être mise en place par la région Grand Est en 2027, voire 2028. (Photo : archives lq/fabrizio pizzolante)

Passée sous le giron de la région Grand Est le 1er janvier dernier, l’A31 s’apprête à devenir payante pour les poids lourds. La mesure, qui reste en réflexion, inquiète déjà les syndicats et entreprises luxembourgeoises.

Le 1er janvier dernier, l’A31 a changé de propriétaire, passant ainsi des mains de l’État français à celles de la région Grand Est dans le cadre d’une expérimentation de cinq ans. Durant cette période, la collectivité compte mettre la main à la poche en allouant un budget de 92 millions d’euros pour 2025, le triple du montant prévu par l’État, afin de rénover la chaussée notamment. Et pour financer les futurs chantiers se trouve un épouvantail : l’écotaxe pour poids lourds.

Tandis que certains affirment que l’écotaxe sera appliquée jusqu’aux portes du Grand-Duché, l’emploi du conditionnel reste de mise. À ce jour, aucune annonce officielle sur les portions concernées de l’A31, qui s’étend sur 349 kilomètres de Beaune (Côte-d’Or) à la frontière, n’a été réalisée. Mais ce ne saurait tarder. Interrogé par nos confrères de Tout Metz, Franck Leroy, président du Grand Est, a précisé le 7 janvier dernier que «la taxe poids lourds est en train de s’étudier puisqu’un appel d’offres est lancé et aboutira très certainement au cours de l’année 2025».

Effet indésirable sur les axes secondaires?

L’objectif affiché est de mettre en vigueur la taxe en 2027 ou, dernier délai, en 2028. Le compte à rebours est donc lancé et, dans l’attente d’annonces, questionnements et inquiétudes s’entremêlent au Luxembourg. «On surveille la situation et on se pose déjà pas mal de questions», confie Paul Glouchitski, secrétaire syndical à la fédération LCGB-Transport. Ce dernier pointe du doigt les conséquences d’une écotaxe qui pourrait congestionner le réseau secondaire, au détriment d’une A31 payante. «Est-ce que cela ne va pas conduire des camions à passer par Hettange-Grande, Zoufftgen et tous ces axes-là? Est-ce que cela ne va pas déplacer le problème?»

Sveinn Graas, secrétaire central du syndicat Transport sur Route & Navigation/ACAL de l’OGBL, est du même avis : «Si c’est trop cher, ils vont juste utiliser d’autres axes».

Sans mauvaise foi, Paul Glouchitski ne nie pas les besoins de financement côté français. «Effectivement, ils disent qu’il faut bien financer et entretenir leurs autoroutes et cela, on peut le comprendre. Mais est-ce le meilleur moyen de le faire?» Sveinn Graas interpelle, lui, sur les retombées d’une possible écotaxe. «Si on veut implémenter quelque chose dans ce genre, il faudra dire aux gens pourquoi on va l’utiliser et, surtout, cela doit être à des fins qui profitent aux chauffeurs», prévient-il. Tandis que la Région parle de rénovation de la chaussée, le syndicaliste attend des annonces sur l’amélioration des aires de repos, où «beaucoup de conducteurs déplorent des problèmes de sécurité et d’hygiène, comme partout en Europe».

«Cela va tuer l’économie locale»

Outre l’impact sur le travail des chauffeurs, ce sont les transporteurs luxembourgeois qui ressentiront l’effet d’une telle mesure qui, selon la Région, concernerait entre 60 et 80 % de véhicules de transport étrangers. Pour Ben Frin, directeur financier d’Arthur Welter, cela n’augure rien de bon. Déjà confrontée à «l’augmentation drastique des coûts opérationnels de ces derniers mois», la société aux 800 camions craint que «tout projet d’imposition additionnel met en péril l’existence des maillons les plus faibles de notre secteur». Forcément, «comme nous sommes obligés de répercuter tôt ou tard tous les coûts supplémentaires sur nos prix de transport, ils finissent par se répercuter sur le consommateur».

Ce sont donc les clients qui, par ricochet, payeraient la note de l’écotaxe pour des produits transportés sur l’A31. Un membre du secteur, souhaitant garder l’anonymat, n’y voit aucune autre issue : «Les entreprises ne pourront absorber ces coûts dans leurs marges, de fait cela va augmenter le prix des produits». Pis encore, selon lui, «cela va tuer l’économie locale». «Imaginez ceux qui vont prendre des produits à Metz et qui font deux à trois rotations par jour. Au lieu d’aller chercher des œufs en banlieue de Metz, ça sera ailleurs», prédit celui dont la moitié de sa flotte est quotidiennement sur l’A31.

Des questions en suspens

La défection des entreprises luxembourgeoises envers le marché français pourrait se jouer au niveau du prix et du système de taxation qui restent inconnus, hormis quelques pistes (lire ci-contre). En Belgique, «on ne paye pas pour aller à Arlon puisque le premier péage est à 30 kilomètres de la frontière» et un système de prix existe selon la zone, de 8 centimes par kilomètre en réseau proche à 15 centimes ailleurs. L’application d’une écotaxe sur toute l’A31, quel que soit le nombre de kilomètres parcourus, a donc son importance.

Dans l’attente d’une communication officielle, de nombreux détails restent en suspens. Paul Glouchitski s’interroge par exemple sur la taxation des véhicules dits «propres». «On sait que les camions électriques vont arriver prochainement sur les routes. Comment cela va se passer? Seront-ils taxés ou dans une moindre mesure?» C’est à la région Grand Est d’éclaircir tous ces points qui seront attentivement scrutés de l’autre côté de la frontière.

Même système qu’en Alsace?

Selon les discours actuels, la France ne devrait pas adopter un système de redevance et suivrait plutôt les modèles allemand et belge, où les camions sont facturés grâce à un système de géolocalisation à partir d’un boîtier embarqué à bord appelé l’On-Board-Unit (OBU). Pour ce qui est du prix, des indices pourraient se trouver en Alsace, où les élus ont voté à l’unanimité le retour de l’écotaxe en novembre 2024.

Cette dernière, appelée «R-Pass», doit également entrer en vigueur en 2027 et prévoit une contribution de 15 centimes par kilomètre. Si le même tarif est appliqué pour l’ensemble de l’A31, un trajet aller-retour de la frontière jusqu’à Metz pourrait coûter environ 14 euros. Jusqu’à Nancy, à 100 kilomètres, ce serait près du double.

L’Eurovignette au Luxembourg

En dépit des critiques, la Région Grand Est légitime sa future taxe en prenant pour exemple ce qui se fait dans les pays voisins, à commencer par le Grand-Duché, l’un des États membres de l’«accord Eurovignette» signé en 2008.

Ce dernier oblige les véhicules de transport de marchandises, même à vide, d’un poids maximal ou supérieur à 12 tonnes, à s’acquitter d’un droit d’usage afin de circuler sur des autoroutes ou des routes assimilées des États associés (Pays-Bas et Suède). Calculée en fonction du nombre d’essieux, de la classe d’émissions du poids lourd et de la durée de validité, le coût annuel de l’Eurovignette s’élève à 750 euros minimum et 2 359 euros maximum. Pour la journée seulement, c’est 12 euros.