Au moment de l’entrée en application des nouvelles règles concernant l’utilisation des smartphones au lycée, l’établissement de Grevenmacher avait déjà une longueur d’avance. Rencontre avec son directeur.
Au sol, dans certains endroits du Maacher Lycée à Grevenmacher, des lignes vertes délimitent des zones où l’utilisation du téléphone portable est proscrite. Dans ces aires dédiées à la déconnexion, les quelque 1 300 élèves qui fréquentent le lieu ont le loisir de jouer à des jeux de société, participer à des parties de babyfoot ou d’échecs ou tout simplement prendre le temps de se détendre et de bavarder entre eux installés sur de confortables canapés.
«Au début, ces zones étaient vides. Personne n’y allait, les lycéens se mettaient même juste à côté du marquage au sol pour jouer avec le GSM. Maintenant, ils se précipitent pendant les pauses pour y jouer au babyfoot et pour accéder aux jeux d’échecs ou aux jeux de société. Ce sont eux qui font le choix!», appuie le directeur de l’établissement, Pierre Weissgerber.
Après dix ans à enseigner au Maacher Lycée, l’homme âgé de 43 ans en a pris la tête en octobre 2024, impulsant avec son équipe une nouvelle approche pédagogique centrée sur les élèves. «Nous avons voulu changer l’image du lieu avec la volonté de créer de la confiance pour mieux vivre ensemble», décrit Pierre Weissgerber. «L’idée est de mettre l’élève au centre de nos préoccupations grâce à une approche plus ouverte et une présence accrue sur le terrain.»
Responsabiliser les élèves
Ces nouvelles ambitions ont rapidement pu être testées au cours d’un projet, nommé «Digital Balance», qui devançait de plus d’un an les souhaits du ministère de l’Éducation nationale quant à l’éducation aux médias et aux rapports que doivent entretenir les adolescents avec leur smartphone.
«Digital Balance» veut établir un équilibre entre le monde numérique et le monde analogique. Il se déploie autour de quatre axes : la rédaction d’un journal étudiant numérique, des zones sans téléphone, des ateliers et, enfin, des espaces qui permettent aux élèves de travailler tranquillement, de préparer leurs devoirs ensemble ou simplement de discuter. Une stratégie qui vaut au Maacher Lycée de posséder le titre de lycée pilote en matière de bien-être numérique. «On est content que le ministère ait poussé, par la suite, dans la même direction et il nous a aidé à fortifier ces idées dans le lycée», assure Mike Moro, le directeur adjoint.
Nous ne voulions pas contraindre les élèves, mais plutôt leur donner le choix
Alors, le lundi 2 juin dernier, lorsque les nouvelles règles concernant l’utilisation des smartphones sont entrées en vigueur dans les établissements scolaires du secondaire, le lycée de Grevenmacher était déjà bien préparé. Depuis cette date et comme le veut la loi, les élèves passant les portes de l’établissement ont l’obligation de ne plus toucher à leur téléphone dès le début des cours, à 7 h 30, et jusqu’à la fin de ces derniers, à 11 h 20.
Durant ces quatre heures et même lors des déplacements, les GSM doivent rester invisibles. Soit ils sont placés dans des boîtes prévues pour les recueillir pendant les heures de cours, soit ils sont dissimulés dans les poches des adolescents lorsqu’ils se rendent en salle de classe.
Cette interdiction est ferme, mais le directeur et son équipe ont décidé de laisser le choix aux élèves quant à l’utilisation de leur smartphone pendant les différentes pauses qui ponctuent la journée. «Nous ne voulions pas obliger ou contraindre les élèves, mais plutôt leur donner le choix. Cela permet d’éviter le clash et de les responsabiliser, explique Pierre Weissgerber. C’est un processus continu qui est voué à évoluer avec le temps et grâce aux échanges avec les élèves. Peut-être que notre dispositif ne sera plus le même dans quelques mois.»
La pédagogie en première ligne
Les téléphones dorment bien au chaud loin des adolescents pendant les cours, mais les écrans peuvent trouver leur place dans le système pédagogique. La direction a déniché des alternatives suivant les âges. Pour les plus âgés, l’utilisation d’iPad en classe ou dans le bâtiment à des fins de travail est possible. «Il faut faire la différence entre une utilisation qui n’a aucun intérêt, comme scroller sur les réseaux sociaux, et une utilisation pédagogique, souligne Mike Moro. «On contrôle évidemment qu’il n’y ait pas d’accès aux réseaux sociaux ou à YouTube sur les appareils que nous prêtons aux élèves.» Les classes de 7e, 6e et 5e n’ont, elles, aucun accès à des tablettes classiques, mais uniquement à des boîtiers qui contiennent plusieurs iPad réservés à l’utilisation en classe.
Quant au réseau internet à l’intérieur de l’école, celui-ci est contrôlé par l’organisme qui donne accès aux réseaux wi-fi dans les établissements scolaires. «Pour les iPad qu’on distribue aux étudiants, un DMS est en place, c’est un système de gestion qui permet de contrôler ce qui est accessible ou non. Je tiens à souligner que nous respectons la protection des données : on ne voit pas les recherches des élèves, mais nous limitons les accès à certains sites», ajoute Mike Moro.
Des pistes pour l’avenir
En parallèle à ce qui est proposé à Grevenmacher, certains autres établissements du pays ont opté pour une politique encore plus souple avec seulement une distanciation physique entre l’élève et son téléphone pendant les cours. À l’inverse, des lycées ont choisi de serrer la vis au maximum en interdisant purement et simplement les GSM dans les lycées (lire encadré). Une option qui pourrait avoir un avenir au sein du Maacher Lycée.
«Maintenant, dans les écoles fondamentales, les élèves ont l’habitude de ne pas avoir de GSM. Nous sommes en train de réfléchir à un moyen de perpétuer cette habitude lorsqu’ils arrivent chez nous. Nous poursuivrons peut-être cela avec les nouveaux septièmes de l’année prochaine», indique Mike Moro. «Notre rôle est d’être le régulateur et le médiateur auprès des élèves dans ces domaines», conclut Pierre Weissgerber.
Différents niveaux de restrictions
Le premier niveau, obligatoire, mis en place par le ministère de l’Education nationale, prévoit au minimum une «séparation physique et obligatoire entre l’élève et son smartphone et d’autres appareils connectés pendant les cours». Les téléphones doivent être ainsi éteints ou rangés hors de portée et de vue. Six établissements du secondaire ont choisi cette première option. En majorité, ils n’ont pas de classes du cycle inférieur et accueillent des élèves ayant atteint une maturité digitale. Sont notamment concernées l’École nationale de santé du Luxembourg ou encore l’École d’hôtellerie et de tourisme du Luxembourg (EHTL).
La grande majorité des établissements (27 sur 38) ont, quant à eux, opté pour le niveau de restriction renforcé. Dans ce cas, les lycées ont la possibilité d’établir des zones dans lesquelles le téléphone portable est soit interdit, soit limité. Et ces espaces peuvent être très différents : le restaurant scolaire, le centre de documentation, des lieux de vie. Ces restrictions peuvent aussi s’appliquer à certains moments de la journée, par exemple, lors des pauses ou lors de la récréation.
Sur les modalités d’application, les établissements étaient libres de constituer leurs propres règles. Au lycée Aline-Mayrisch (Luxembourg), les smartphones sont rangés dans des armoires verrouillées et sont interdits dans le Jugendtreff, un espace de convivialité. Tandis qu’au lycée de garçons de Luxembourg, les élèves de certains niveaux doivent placer leur smartphone dans une pochette à fermeture magnétique. Le Maacher Lycée (Grevenmacher) a, quant à lui, instauré des zones de déconnexion identifiées par un marquage au sol.
D’autres lycées ont choisi d’interdire strictement le smartphone durant toute la journée. Les élèves déposent leur appareil le matin et le récupèrent à la fin des cours. Ce modèle a été choisi par cinq lycées au Luxembourg (lycée Bel-Val, Schengen-Lycée, lycée Ermesinde et écoles internationales Gaston-Thorn et Anne-Beffort).