Le Conseil d’État retoque sérieusement le projet de loi rendant la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans. En plus des neuf oppositions formelles, c’est tout l’argumentaire qui interroge les Sages.
Pourquoi vouloir porter à 18 ans l’obligation scolaire au Luxembourg? Les Sages comprennent, à la lecture de l’exposé des motifs, que «la constante évolution démographique et sociologique», la «complexification de la société luxembourgeoise», une «hétérogénéité accrue» des étudiants, liée au taux élevé d’habitants étrangers, sont autant de constats à l’appui de cette décision.
Certes, mais quoi de neuf? «La multiculturalité et le multilinguisme ne constituent pas des éléments nouveaux dans le cadre du contexte scolaire luxembourgeois depuis la dernière réforme de l’obligation scolaire datant de 2009», remarque le Conseil d’État en balançant les chiffres qui le démontrent.
Pour soutenir sa position, le ministère de l’Éducation nationale avance encore, comme argument, l’évolution des sciences, et les «progrès extraordinaire en matière de développement des méthodes didactiques alternatives s’adressant de manière attrayante aux jeunes qui ont abandonné leur cursus scolaire». Pourquoi ces méthodes ne sont-elles pas appliquées aujourd’hui, avant tout pour ceux qui courent le risque d’un décrochage scolaire, s’interrogent les Sages, en substance.
Pire encore, ils trouvent dans l’argumentaire du ministère matière à plutôt renoncer à un relèvement de l’obligation scolaire en appliquant tout simplement ce qu’il préconise pour l’avenir, à savoir des contrôles mensuels de l’obligation scolaire censés remédier au décrochage scolaire. Les auteurs du projet de loi estiment aussi qu’un contrôle mensuel, et non plus annuel, favoriserait une augmentation de la responsabilisation des parents en ce qui concerne la scolarisation de leurs enfants.
Enfin, les auteurs du projet de loi reconnaissent que trop de jeunes se retrouvent au chômage à 16 ans, après avoir quitté l’école. Pas tous, pourtant, puisque 10 % d’entre eux sont entrés dans la vie active. Le Conseil d’État s’étonne qu’aucune possibilité de dispense de l’obligation scolaire ne soit prévue pour ces jeunes avec un contrat de travail. Pour les Sages, «l’État interdit de fait l’engagement sous contrat de travail de ces jeunes, y compris ceux qui briguent aujourd’hui des postes des carrières C et D dès l’âge de 17 ans accomplis. Il faudrait donc, parallèlement, procéder à un relèvement de l’âge de début de carrière.
Comme la Chambre des métiers et la Chambre des salariés, avant eux, les Sages ne sont pas avares de critiques. La première pense aux jeunes qui, actuellement, ont la possibilité de choisir librement leur voie, notamment l’intégration du marché du travail mais qui, à l’avenir, «seront forcés à fréquenter l’école, engendrant ainsi une baisse de motivation auprès de ces personnes».
Investir
au fondamental
La Chambre des salariés, quant à elle, note que les problèmes scolaires qui poussent les jeunes à quitter l’enseignement à 16 ans ont souvent leur origine à l’enseignement fondamental et c’est là qu’il faut investir, plutôt que d’entrevoir un allongement de la scolarité obligatoire, avise-t-elle. «Cela inclut l’engagement de personnel qualifié au niveau de l’enseignement fondamental», ajoute-t-elle.
De son côté, la Chambre des fonctionnaires et employés publics, déplore que le projet de loi ne donne pas de précisions quant aux structures alternatives pour accueillir les jeunes jusqu’à 18 ans.
Le Conseil d’État estime nécessaire «de fixer davantage les finalités justifiant une telle prolongation» et invite les auteurs du projet de loi à revoir leur copie, d’autant que le texte tel qu’il est rédigé actuellement, «risque de ne plus être en phase avec la future loi portant aide, soutien et protection aux mineurs, aux jeunes et aux familles qui est en cours d’instance», concluent les Sages.
En collant neuf oppositions formelles pour insécurité juridique au projet de loi, le Conseil d’État l’a définitivement achevé. Voilà qui augure du travail en commission parlementaire.