Le gouvernement entend revoir les règles du regroupement familial des bénéficiaires de protection internationale. Portée par le projet de loi n° 8586, la réforme suscite de vives critiques au sein de la société civile.
En juillet dernier, le projet de loi n° 8586 a été déposé à la Chambre des députés. Il vise à modifier la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et poursuit trois objectifs : transposer la directive européenne (UE) 2024/1233 sur le «permis unique», supprimer le visa doré et réformer le regroupement familial pour bénéficiaires de protection internationale.
C’est sur ce dernier point que le Collectif Réfugiés Luxembourg (LFR) a publié un avis. «Nous avons été surpris par ce projet de loi», avoue Marion Dubois, la directrice de Passerell, l’une des associations membres du collectif. Dans son communiqué, le LFR affirme que la publication du projet est «intervenue sans concertation préalable avec la société civile». «Lors de la mise en œuvre du Pacte migration et asile, nous avions instauré un dialogue constructif avec le gouvernement. Nous trouvons ça dommage qu’il ne se fasse pas sur tout, car la société civile apporte un autre regard intéressant», déplore Marion Dubois.
Un accès au regroupement familial plus limité
Le projet de loi prévoit de limiter l’accès au regroupement familial. Le texte le réduit aux seuls conjoints préexistants et enfants mineurs, tandis que les autres membres de la famille, tels que les parents et les enfants majeurs, devront remplir des conditions beaucoup plus strictes : logement approprié, ressources stables et suffisantes et assurance maladie.
Ces nouvelles restrictions viennent s’ajouter à celles déjà existantes : «Il faut être transparent sur la réalité du regroupement familial actuel. Il y a déjà des restrictions», rappelle la directrice de Passerell. Les bénéficiaires de protection internationale doivent en effet prouver que leurs parents sont dépendants financièrement d’eux ou encore que les enfants majeurs sont très malades et dépendants d’eux. «Dans les faits, il est déjà très compliqué de faire venir ses parents ou ses enfants majeurs.»
«Plus on va leur mettre des bâtons dans les roues, plus on va empêcher leur intégration»
Et cela, c’est compter sans les difficultés à trouver un travail stable et un logement approprié : «Nous avons vu plein de situations où le ministère refusait le regroupement familial à des réfugiés car ils avaient un logement social… Sauf que cela prend des années à avoir un logement», souffle Marion Dubois. D’autres se sont également vu refuser la venue de leurs enfants à cause de documents jugés non conformes. Selon la directrice de Passerell, le projet de loi dresse donc des «barrières bureaucratiques de plus en plus lourdes» face à des personnes qui y sont déjà durement confrontées.
Concrètement, ces restrictions auront un fort impact sur les bénéficiaires de protection internationale, notamment en termes d’intégration : «Les plus gros blocages à leur intégration complète et à leur projection dans l’avenir, ce sont les incertitudes administratives et l’absence de la famille, appuie Marion Dubois. Plus on va leur mettre des bâtons dans les roues, plus on va empêcher leur intégration.»
Les justifications du gouvernement critiquées
Le gouvernement justifie ces restrictions par la saturation des structures d’accueil. Elles permettraient de réduire la pression qui pèse sur elles, ainsi que de maîtriser les flux, notamment l’arrivée de familles élargies. «Cet argument n’a pas lieu d’être», fustige Marion Dubois. Si les associations du Collectif reconnaissent le problème de la saturation des structures d’accueil, elles ne trouvent pas que restreindre le droit au regroupement familial soit une solution miracle. «Il y a d’autres piliers sur lesquels agir, tels qu’ouvrir de nouvelles structures et travailler sur la question de l’intégration de manière globale.»
Les restrictions permettraient également au gouvernement luxembourgeois de se conformer pleinement à la directive européenne 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial. Une autre justification jugée «anachronique» par le LFR. «Nous suggérons donc des modifications», explique Marion Dubois. Le LFR invite le gouvernement à reconsidérer les dispositions du projet de loi «afin de garantir le plein respect du droit au regroupement familial des bénéficiaires de protection internationale, conformément aux engagements internationaux du Luxembourg, à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à la jurisprudence de la CJUE.»
395 permis de séjour délivrés à des membres de la famille
Selon le ministère des Affaires intérieures, interrogé par Le Quotidien, en 2023, 464 permis de séjour ont été délivrés aux membres de la famille de personnes ayant obtenu un permis de séjour permanent (BPI), et 469 en 2024. En 2025, on en compte déjà 395. Actuellement, environ 1 600 dossiers sont en cours de traitement. En considérant le nombre d’ascendants et de descendants majeurs arrivés au Luxembourg, on en comptait 40 en 2023, 62 en 2024 et 51 cette année. Cela représente 153 personnes en trois ans. «C’est considérable, surtout quand on sait que tous les lits de l’ONA sont nécessaires! 153 personnes, cela remplit plusieurs foyers pour l’ONA», commente le ministère.
Trois questions au ministère des Affaires intérieures
Comment justifiez-vous les nouvelles restrictions apportées au regroupement familial?
Au-delà de la mise en œuvre du Pacte migration et asile et de la mise en place de la Maison retour, il s’agit d’un élément parmi d’autres pour aider à améliorer la situation. Rappelons que les pays voisins ont également limité le regroupement familial, allant même plus loin en le réduisant au seul bénéficiaire du statut de réfugié, donc en excluant les bénéficiaires de la protection subsidiaire. Nous avons délibérément choisi de ne pas le faire, mais le Luxembourg ne peut pas rester les bras croisés pendant que les autres États membres ferment les vannes, au risque de provoquer des mouvements secondaires massifs, car le système luxembourgeois est bien plus avantageux.
Ensuite, il a été constaté que dans de nombreux cas où les couples se sont formés après l’arrivée au Grand-Duché, les personnes à regrouper ne se sont souvent jamais présentées au Luxembourg. Dans ces cas, on peut supposer que l’objectif était simplement de permettre à ces membres de la famille d’accéder à l’espace Schengen. Il s’agissait principalement de cas où le mariage avait eu lieu à l’étranger, ou par procuration, après que le regroupant eut obtenu une protection.
Comment le ministère concilie-t-il ces restrictions avec le droit au respect de la vie familiale?
Il est important de noter qu’il s’agit ici du regroupement familial élargi. Le bénéficiaire de protection internationale pourra toujours faire venir sa famille au-delà de la famille nucléaire (c’est-à-dire le conjoint et les enfants mineurs) s’il dispose des ressources et du logement nécessaires. Les modifications législatives sont conformes à la directive en la matière et donc compatibles avec le droit au respect de la vie familiale.
Même si les conditions deviennent moins favorables, le regroupement familial ne sera pas aboli. Il sera de la responsabilité du BPI de disposer des ressources financières nécessaires et d’un logement pour faire venir sa famille. Il devra alors satisfaire aux conditions normales de regroupement familial des ressortissants de pays tiers et disposer de ressources suffisantes et d’un logement convenable, comme tout autre ressortissant de pays tiers venant vivre et travailler au Luxembourg.
Pourquoi la société civile ne semble pas avoir été consultée lors de l’élaboration de ce projet de loi?
Des échanges réguliers ont lieu entre les ONG actives dans le domaine de la migration et de la protection internationale au Grand-Duché et le ministère des Affaires intérieures. Ceci dit, un avant-projet de loi a d’abord vocation à être soumis au et avalisé par le Conseil de gouvernement avant sa soumission à la Chambre des députés et sa transmission aux différents acteurs de la société civile. Il revient maintenant au pouvoir législatif de finaliser les travaux tout en ayant la possibilité de prendre en compte les avis de la société civile.