Marc* décrit «le climat pesant» qui règne actuellement au sein de la Fondation Kräizbierg de Dudelange.
Ce n’est plus le Kräizbierg comme il était avant…» En fauteuil depuis 11 ans, Marc* fréquente la Fondation Kräizbierg depuis plusieurs années. Il a d’abord suivi des cours au centre de formation pendant deux ans et demi avant d’intégrer, il y a quatre ans et demi, l’un des ateliers de la Fondation Kräizbierg, qui en compte plusieurs (broderie, imprimerie, multimédia, sérigraphie, Kreativ Bréck, poterie, jardinage, prestations de services ou encore comptabilité).
«Les choses ont changé depuis l’arrivée de la nouvelle direction il y a bientôt deux ans, explique Marc. Avant, les personnes handicapées étaient la priorité. Aujourd’hui, c’est la production qui est la priorité.» Et ce n’est pas tout. «L’ambiance a totalement changé. La direction menace, met la pression, dévalorise, dénigre, harcèle même… Résultat, la Fondation Kräizbierg est devenue un endroit d’angoisses. De nombreux salariés encadrants et handicapés ont peur.»
«Personne n’ose parler…»
Marc cite en exemple un épisode : «La direction voulait écarter une encadrante d’un atelier, mais les travailleurs handicapés n’étaient pas d’accord parce qu’ils avaient établi une relation de confiance avec elle depuis dix ans. Alors ils ont fait une pétition. Et un jour, dans le couloir, le directeur a pris les feuilles des mains d’un travailleur handicapé et l’a menacé…» Et Marc en a d’autres des exemples. «Beaucoup sont mis sous pression et dès qu’ils commettent une faute, ils sont convoqués et menacés. C’est un climat pesant. Il y a également un manque de confiance entre les membres du personnel eux-mêmes car quelques-uns soutiennent la direction, sont ses yeux et ses oreilles. Personne n’ose parler car personne ne veut être le prochain à être viré.» Marc évoque plusieurs licenciements et aussi des démissions. «Il y a un médecin qui a dit à une personne que pour guérir, il fallait changer de travail…» Il poursuit : «Pour ceux qui ont décidé de partir, cela a été une décision difficile à prendre. Mais ils n’en pouvaient plus.»
Marc parle aussi des règles qui ont changé et qui ne facilitent pas la vie des travailleurs handicapés : «Aujourd’hui, il faut demander cinq jours avant pour prendre un jour de congé et pour annuler un bus, il faut aussi le faire plusieurs jours avant. Cette rigidité ne facilite pas notre vie sociale.» Il dénonce également un manque de personnel au sein des foyers de la Fondation Kräizbierg ainsi que des abus de pouvoir de certains responsables des foyers.
«J’aime mon travail et je suis toujours motivé pour le faire, clame Marc. Mais aujourd’hui, il y a de la déception et de la frustration. Il faut qu’on soit à nouveau écoutés et que les travailleurs handicapés redeviennent la priorité.»
Guillaume Chassaing
*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat du témoin.
La Fondation Kräizbierg en bref
La Fondation Kräizbierg, ce sont des logements adaptés, des ateliers, un service de formation, un centre d’accueil de jour… à destination des handicapés à travers tout le pays.
Comme il est indiqué sur son site internet, la philosophie de la Fondation Kräizbierg s’articule autour du «droit à l’épanouissement». «Une personne handicapée doit être pleinement intégrée dans la vie quotidienne et participer au fonctionnement de notre société au même titre que les personnes plus valides, est-il explicité. Il faut aider ces personnes à atteindre une certaine autonomie.» La Fondation Kräizbierg «fournit à la personne handicapée les moyens de cette ambition. Pour cela, elle gère des structures complémentaires dont le rôle est d’abord de former, puis de donner un métier à des personnes handicapées. Par ailleurs, elle offre des structures d’hébergement adaptées».
Aujourd’hui, la Fondation Kräizbierg compte environ 370 salariés, dont une centaine de travailleurs handicapés au sein de la société coopérative des ateliers Kräizbierg (sis).
Prochain épisode cette semaine
Les membres du conseil d’administration de la Fondation Kräizbierg ont fait, lundi dernier, des annonces qui ne satisfont pas l’OGBL. Ils doivent se revoir cette semaine.
La rupture entre les salariés handicapés, les encadrants et les résidents, d’un côté, et la direction de la Fondation Kräizbierg, de l’autre, dure depuis près de deux ans maintenant. En juin dernier, les représentants du personnel et syndicaux ont fait parvenir un document de 400 pages aux membres du conseil d’administration de la structure. Dans ce document, la rupture du dialogue social, des faits présumés de harcèlement moral et de dénigrement de la part de la direction sont relatés (lire notre édition du samedi 12 septembre).
Lundi dernier, les membres des conseils d’administration de la Fondation Kräizbierg et de la société coopérative «Ateliers Kräizbierg» (SIS) se sont réunis et ont tout d’abord souligné que «l’objet primaire reste un accueil de qualité des personnes handicapées physiques dans leurs ateliers d’inclusion professionnelle et dans leurs structures d’hébergement ou de formation». Les conseils d’administration confirment en outre que «les ateliers d’inclusion professionnelle ne travaillent pas dans une logique d’optimisation des profits. Leur objet exclusif consiste à permettre aux salariés handicapés d’exercer au sein d’une unité économique de production une activité professionnelle salariée dans des conditions adaptées à leurs possibilités».
«Un besoin de changements profonds»
Face aux doléances exprimées, les conseils d’administration des deux entités ont décidé qu’«une évaluation par un expert indépendant externe sera réalisée dans les plus brefs délais, évaluation avec le but d’analyser objectivement la situation actuelle et de faire des propositions au conseil d’administration». Il a également été décidé «de mettre en place une offre de médiation externe pour faciliter le règlement de conflits à l’intérieur de la fondation, notamment entre des membres du personnel et des membres de la direction». Enfin, le conseil d’administration a fait part de sa volonté de renouer avec le dialogue social en permettant «à un représentant du personnel de la Fondation Kräizbierg et un représentant du personnel de la société coopérative « Ateliers Kräizbierg » (SIS) ainsi qu’un représentant des salariés handicapés de prendre part, avec voix consultative, à toutes les réunions des conseils d’administration». Ces mesures annoncées n’ont pas convaincu (lire notre édition du mercredi 16 septembre).
Et vendredi dernier, l’OGBL a souligné dans un communiqué, «la modestie» des solutions proposées par les conseils d’administration. Le syndicat, qui rappelle sa volonté de «reconstruire le dialogue social» au sein de la Fondation Kräizbierg, estime notamment que la «confiance est aujourd’hui rompue entre la direction et les personnels et que dans ces circonstances, cette confiance ne peut être rétablie par un intermédiaire externe». L’OGBL veut que les conseils d’administration prennent leurs responsabilités. Ensuite, «la proposition du conseil d’administration de donner à l’avenir un rôle consultatif au sein du conseil d’administration aux membres du personnel et aux personnes handicapées ne correspond pas aux exigences initiales. Il est essentiel que ces représentants ne soient pas seulement des consultants, mais des membres à part entière du conseil d’administration qui puissent avoir leur mot à dire et façonner l’image sur un pied d’égalité».
Le syndicat conclut en affirmant que «la Fondation Kräizbierg a un besoin urgent de changements profonds pour rétablir une atmosphère de travail saine». Sera-t-il entendu ? Éléments de réponse à l’issue de la prochaine réunion du conseil d’administration de la Fondation Kräizbierg, qui doit avoir lieu cette semaine.
G.Ch.