En 2019, Luxaviation avait testé son drone pulvérisateur au-dessus de parcelles travaillées par L&R Kox, à Remich. Cette année, six domaines se lancent à leur tour, dont celui de Raphaël Hannart : Happy Duchy.
Le Scheierberg, à Erpeldange, est un vignoble peu connu mais qui offre un cadre absolument ravissant. En deuxième rideau de la Moselle, derrière la route qui mène de Remich à Mondorf, les vignes bien cachées se dispersent en éventail pour former comme un amphithéâtre naturel. La particularité géologique de l’endroit est de posséder des veines de gypse qui était autrefois exploité pour se transformer en plâtre. On chargeait le minerai dans les wagons du Jängli à la gare d’Erpeldange.
La nature du sol et l’exposition au soleil rendent cet endroit particulièrement indiqué pour la production de raisins et de fruits en général. «Vous voyez, les rangées de vignes s’étagent sur la partie supérieure du coteau, en dessous il y a les fruitiers (cerisiers, pruniers, pommiers, cognassiers…) et en bas, il y a les saules dont les jeunes branches servaient à palisser les vignes», fait remarquer Raphaël Hannart qui s’est pris d’amour pour ce terroir en 2010. «C’était malin parce que le gel arrive par en bas, ajoute-t-il. Grâce à cette structuration du paysage, les vignes qui sont les plus fragiles sont les plantes les mieux protégées !»
Le vigneron belge, installé au Grand-Duché depuis 1995, a fait carrière dans l’alimentaire bio. Il a notamment créé sa société d’enrobage de fruits secs avec du chocolat bio fairtrade en 2010 dans le Brabant wallon, à Enghien. Fidèle autant à son esprit d’entreprise qu’à sa volonté de concevoir des produits sains, il a longtemps cherché les bonnes vignes qui permettraient de rendre hommage à ses grands-parents qui, en Belgique, «nous servaient le week-end du jus de raisin et du crémant luxembourgeois». Des aïeux qui tenaient le Grand-Duché en haute estime, «ils étaient même venus en voyage de noces sur la Moselle luxembourgeoise !»
«Il s’agit d’une excellente solution !»
Tuyauté par des vignerons et des agriculteurs du coin contactés au culot, Raphaël Hannart a dégotté ses 30 premiers ares en 2010. Il ne fait aucun doute pour lui que sa production sera bio. À vrai dire, l’affaire ne fait même pas débat. Mais une de ses premières sorties au cœur de sa nouvelle parcelle n’est pas loin de le traumatiser : «Alors que je travaillais dans la vigne, j’ai entendu un hélico arriver. Je me suis demandé ce qu’il faisait là parce qu’il était vraiment bas… J’ai soudain vu qu’il faisait de l’épandage, je n’étais absolument pas au courant que c’était autorisé ici ! J’ai juste eu le temps de sortir en courant pour ne pas me faire arroser…»
Bref, ça commence mal. «On m’a expliqué ensuite que les dates de passage et les produits répandus était affichés à l’abribus, en bas. Ça ne m’a pas plu et, heureusement, j’ai réussi à échanger ma parcelle contre une autre qui n’était pas dans le périmètre de l’hélicoptère.» Libéré de ce poids, il commence petit à petit à acquérir d’autres vignes adjacentes. Pinot gris, elbling, rivaner, pinot noir… la palette s’étoffe et le voilà aujourd’hui avec 1,5 hectare.
Raphaël Hannart, d’habitude, travaille le sol dans ses vignes avec des chevaux. Son tracteur a brûlé avec son petit hangar il y a peu et, finalement, c’est plutôt un soulagement pour lui tant il ne l’aimait pas. «Il était plus en panne qu’autre chose.» Lui qui prend soin de semer précisément des plantes entre les vignes pour aérer le sol (de la moutarde, du trèfle, du sarrasin…) exécrait de tout écraser avec les grosses roues indélicates de sa machine.
Alors, lorsqu’il a vu que Luxaviation lançait sa division de drones pulvérisateurs de vignes, il n’y a vu que des avantages. «Le travail est rapide et précis, la dispersion des produits est bonne – il suffit d’aller voir les gouttelettes sur les feuilles pour s’en assurer –, j’utilise trois à quatre fois moins d’eau qu’avant, il peut se rendre au-dessus de n’importe quelle parcelle, même les plus difficiles d’accès et il ne fait pratiquement aucun bruit ce qui est une bonne chose pour les voisins : je crois qu’il s’agit d’une excellente solution !»
À ses côtés, Christophe Lapierre qui pilote notamment ce projet pour Luxaviation boit du petit-lait. S’il pouvait se demander l’an dernier, lorsqu’il a lancé le projet de la pulvérisation par drone avec Corinne Kox (domaine Laurent & Rita Kox, à Remich), si l’idée séduirait les vignerons, il a désormais la réponse. «Nous travaillons avec sept vignerons mais il aurait pu y en avoir dix ou douze, avance-t-il. Dans le but de garantir la qualité du service, nous avons préféré limiter le nombre de partenaires.» Christophe Lapierre se félicite par exemple de l’esprit de curiosité de la profession : «Lorsque le drone vole, il y a quasiment toujours des vignerons qui viennent se renseigner pour savoir comment cela fonctionne, apprécie-t-il. L’intérêt est là, c’est une évidence !»
Peu avant cette rencontre sur le Scheierberg, il avait fait le compte : «Nous en sommes déjà à 500 vols cette année et il y en aura certainement près de 800 à la fin de l’année. Quand on y réfléchit, pour une deuxième année seulement, c’est déjà beaucoup !»
Et la croissance ne s’arrêtera pas là. Mieux, la profession est même en train de s’organiser pour faciliter l’usage de ces engins volants. Ainsi, des domaines devraient bientôt acheter des drones en commun, des appareils qui seront toujours pilotés par Luxaviation. En effet, seuls des pilotes expérimentés et spécialement formés peuvent être aux commandes. «Ce n’est pas forcément un mode d’organisation auquel nous sommes habitués, reconnaît Christophe Lapierre, mais il fait sens ici. C’est aussi à nous de nous adapter aux habitudes de la profession.»
Pour l’année prochaine, le grand objectif est d’envoyer les drones sur l’autre rive de la Moselle. «La législation est en train de se mettre en place et nous devrions pouvoir intervenir en Allemagne à partir de 2021», précise Christophe Lapierre. Les contacts sont déjà pris et un vigneron est déjà prêt à se lancer. D’autres suivent de près.
Le Luxembourg est le premier pays de l’Union européenne à avoir testé la pulvérisation des vignes par drones, mais il y a fort à parier qu’au fur et à mesure de l’évolution des législations nationales, le succès de l’opération fasse tache d’encre. Surtout dans les régions viticoles où les vignes sont plantées sur des terrains accidentés, et cela ne manque pas !
Erwan Nonet