Maud Théobald est la directrice adjointe du centre LGBTIQ+ Cigale. À l’occasion de la Pride Week 2025, elle fait le point en matière de droits LGBTIQ+ au Grand-Duché.
Cette semaine, le Luxembourg se pare des couleurs de l’arc-en-ciel pour célébrer la Pride Week 2025 – un rendez-vous festif mais aussi militant, qui met en lumière les luttes, les victoires et les défis toujours présents pour les personnes LGBTIQ+. Dans un pays souvent cité comme l’un des plus progressistes en matière de droits des personnes queers, cette semaine est l’occasion de faire le point sur leur situation réelle.
Maud Théobald, la directrice adjointe du centre LGBTIQ+ Cigale, pose son œil sur l’état des droits LGBTIQ+ au Luxembourg – alors que le climat à l’international s’obscurcit avec la montée des extrêmes –, sur les avancées qu’il reste encore à faire et sur les revendications du centre pour cette Pride Week 2025.
Selon vous, quel est l’état général des droits des personnes LGBTIQ+ au Luxembourg ?
Maud Théobald : Globalement, si l’on se repose sur la parole de nos bénéficiaires, je dirais que les droits des personnes LGBTIQ+ au Luxembourg sont plutôt respectés. Il y a de belles avancées, à l’instar de la ville de Luxembourg qui est passée en zone « LGBTIQ+ friendly ». Je n’ai pas envie de dire qu’il y a peu de discriminations, mais globalement il fait bon vivre quand on est une personne LGBTIQ+ au Luxembourg. Le Centre Cigale est aussi très soutenu par le ministère de l’Égalité des genres et de la Diversité (MEGA), notre ministère de tutelle, qui est très réactif et qui fait très attention à prendre en considération les besoins et les volontés du terrain.
En revanche, s’il n’y a pas de régression par rapport aux droits LGBTIQ+ et qu’il fait plutôt bon vivre au Luxembourg, il reste tout de même des vides juridiques. La filiation des familles arc-en-ciel n’est notamment toujours pas prise en compte. C’est-à-dire qu’aujourd’hui le deuxième parent est censé adopter son enfant, ce qui est un vrai problème.
Évidemment, nous souhaitons qu’un texte de loi vienne bannir les thérapies de conversion. Il y a aussi toujours la question des personnes intersexes et leur visibilité, qui est encore toute relative ici au Luxembourg. Et en termes de discrimination, il manque un cadre légal qui criminalise les actes discriminants sur les réseaux sociaux. C’est une vraie problématique qui impacte beaucoup les jeunes.
Un droit n’est jamais acquis, il faut toujours rester vigilant
Comment le Grand-Duché se situe-t-il par rapport aux autres pays européens ?
Dans le classement de l’ILGA-Europe (NDLR : branche européenne de l’association internationale lesbienne et gay), le Luxembourg a reculé de trois positions, justement à cause des vides juridiques et d’une certaine stagnation légale. Il est désormais dixième. Certains pays voisins comme la Belgique et l’Allemagne sont plus avancés. Ou encore la Suède et la Norvège, où les choses bougent. Mais le Luxembourg se positionne toujours mieux que d’autres pays tels que la France, l’Italie ou encore la Hongrie, grâce aux services, aux évènements et au soutien qu’il offre. C’est un pays très cosmopolite culturellement parlant. Il a une ouverture sur le monde qui fait qu’il reste une zone « LGBTIQ+ friendly » pour beaucoup d’autres pays. Je connais des gens de France et même de Tanzanie qui sont venus s’installer ici pour se sentir plus safe.
Le recul luxembourgeois entraîne-t-il une crainte d’un retour en arrière ?
Un droit n’est jamais acquis, il faut toujours rester vigilant. Si on considère que les droits sont des acquis, c’est là que ça devient dangereux. Donc, il faudra toujours lutter, mettre en avant, informer, éduquer sur ces thématiques-là pour que les droits restent des droits. Mais, à l’heure actuelle, je ne crains pas une régression, et l’association non plus.
Bien sûr que certaines personnes ont pris des positions dans les médias, bien sûr qu’il y a eu un certain nombre de likes, et bien sûr que des personnalités politiques se sont permis de dire des choses qui sont de l’ordre de la discrimination… Pour autant, il y a aussi beaucoup de personnes qui vont à leur encontre et apportent leur soutien.
Nous avons notamment eu l’exemple des pétitions de l’année dernière : même si ça a été très difficile à vivre pour nous et l’ensemble de la communauté, elles nous ont permis de voir tous les soutiens, et surtout ceux des politiques. Que ce soit le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, le MEGA, le ministère de la Famille, il y a vraiment eu un consensus politique pour soutenir l’accès à l’information et à l’éducation des jeunes personnes aux thématiques LGBTIQ+, et montrer que c’est une volonté politique du Luxembourg.
Mais dans l’absolu, ça ne va pas bien dans le monde par rapport à ces questions-là. Ce serait idiot que de ne pas être vigilant. Donc, promouvoir ne suffit pas, être vigilant ne suffit pas, il faut continuer à avancer légalement sur toutes ces questions-là.

Quels sont les principaux progrès réalisés ces dernières années ?
Il n’y a pas vraiment eu de gros progrès législatifs ces dernières années. Par contre, je peux parler d’une ambiance plus générale : même si on voit qu’effectivement il y a des détracteurs qui prennent plus facilement la parole sur ces thématiques-là, ce qu’on voit aussi, c’est une vraie volonté de la part des institutions et des politiques de se positionner.
Pour exemple, la Croix-Rouge luxembourgeoise inscrit les thématiques LGBTIQ+ dans ses formations obligatoires, ou encore des communes se positionnent, comme les villes de Dudelange et d’Esch qui nous demandent de venir faire des consultations externalisées, ou comme la ville de Luxembourg qui passe en zone « LGBTIQ+ friendly ».
Si effectivement le cadre légal, lui, stagne, et qu’on sent d’un autre côté une montée des extrêmes et une montée des détracteurs partout dans le monde, il y a quand même une volonté de la part du Luxembourg de montrer que ce sont des thématiques importantes, de société, et qu’il ne s’agit pas de faire du communautarisme, mais bien de l’inclusion des personnes à la société.
Pourquoi le pays stagne-t-il ainsi ?
Ce sont des questions interministérielles qui demandent une coordination entre le ministère de la Justice, le ministère de la Santé, le MEGA, le ministère de la Famille. Je pense que c’est cette connexion entre les différents ministères qui fait que ça prend du temps. Je pense que c’est plus une question de temps pour que tout se mette en œuvre qu’une question de volonté. En tout cas, parmi nos interlocuteurs, nous n’avons pas le sentiment d’un manque de volonté de bouger ou de freins liés à une société civile qui ne serait pas prête.
Si le Luxembourg est passé dixième dans le classement de l’ILGA, c’est aussi parce qu’il n’y a pas eu de réécriture du PAN (NDLR : Plan d’action national pour la promotion des droits des personnes LGBTI). Sauf que ce dernier dure cinq ans, il était donc valable de 2018 à 2023. En plus de ça, il y a eu un changement de gouvernement, ce qui explique aussi la prise de retard.
Le MEGA ne fait pas rien, ils nous ont sollicités pour qu’on le réécrive ensemble. Et surtout, la grande particularité de ce PAN, c’est que sa mise en œuvre est illimitée dans le temps. Et ça, ça montre un vrai engagement de la part du Luxembourg à vouloir que les politiques en faveur des personnes LGBTIQ+ perdurent, peu importe le gouvernement en place.
La législation protège-t-elle efficacement les personnes LGBTIQ+ contre les discriminations ?
Dans l’absolu et de façon généraliste, la loi de lutte contre les discriminations date de 2018. Elle aurait besoin d’être remaniée à l’aune des réalités actuelles, et notamment par rapport au cyberharcèlement. C’est la première des choses.
Et la deuxième, c’est qu’avoir des textes de loi, c’est très bien, mais il faut également avoir un personnel sensibilisé à ces questions-là pour qu’il comprenne bien les enjeux. Je parle des juges, des avocats, du personnel de police, du personnel administratif… En allant porter plainte, il est parfois difficile pour les personnes LGBTIQ+, les femmes, les personnes en situation de handicap ou racisées d’être entendues au moment du dépôt. Il y a des sensibilisations et une éducation à avoir pour éviter d’être discriminant. Je ne pense pas que les personnes aient une volonté de l’être, elles le sont par méconnaissance.
Comment les lois sont-elles appliquées concrètement ? Y a-t-il un écart entre la loi et la réalité ?
Ça rejoint la même idée. Je vais prendre l’exemple des réfugiés. Théoriquement, les réfugiés au titre de l’OSIEGCS (NDLR : orientation sexuelle, identité de genre, expression de genre et caractéristiques de sexe) ont une reconnaissance de vulnérabilité à leur arrivée sur le territoire. Mais dans les faits, beaucoup de personnes que j’accompagne n’ont pas eu cette reconnaissance de vulnérabilité en raison de leur orientation sexuelle. Ils se retrouvent alors dans des centres d’hébergement où elles peuvent potentiellement être à nouveau discriminées et en danger.
Encore une fois, il y a un cadre légal protecteur qui offre des droits et qui est appelé à évoluer, mais sur le terrain, il manque une sensibilisation du personnel. Idéalement, il faudrait que ça devienne un non-sujet, quelque chose dont on peut parler librement sans l’isoler du reste de la société. Le centre Cigale œuvre pour que, in fine, on ne soit plus dans un communautarisme, mais dans un mouvement d’inclusion des personnes discriminées.
Comment la société luxembourgeoise perçoit-elle, aujourd’hui, les personnes LGBTIQ+ ?
En règle générale, à Luxembourg et dans le sud du pays, ça se passe plutôt bien. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de discrimination. On a vu une montée des discriminations dans la rue, des paroles spontanées notamment, depuis l’élection de Trump. C’est présent dans chacun des entretiens avec nos bénéficiaires. On a bien vu que ce changement politique aux États-Unis a eu un impact même ici.
Vous parlez d’une montée des discriminations. À quel point ?
Malheureusement, je ne suis pas en mesure de donner des chiffres, alors je vais m’appuyer sur le ressenti de nos bénéficiaires. Entre 2023 et 2024, on a eu une augmentation du nombre d’entretiens de plus de 180 %. Ça s’explique par différentes choses, notamment la restructuration du service.
Et en réalité, ça ne vient pas vraiment du Luxembourg en lui-même, je ne pense pas que ce soit le pays qui soit problématique. C’est ce qui se passe dans le monde. Et comme le Luxembourg est un pays qui est tourné vers l’international, le climat qui a cours dans d’autres pays, comme en Italie, en Hongrie et bien sûr aux États-Unis, a un impact sur la santé mentale des personnes LGBTIQ+ ici. Ça les insécurise.
Et de nouveau, je pense que les réseaux sociaux et la liberté de parole sur les réseaux sociaux, la gravité de ce qui peut y être dit, rendent légitimes certains discours qui ne l’étaient pas avant. Cela peut sembler être des petites choses, pour lesquelles les gens ne vont pas forcément aller porter plainte. Les microagressions sont difficilement quantifiables. Il y a aussi eu quelques actes de violence, ils sont isolés, mais ils existent tout de même.
Les personnes les plus discriminées de la communauté LGBTIQ+ à l’heure actuelle, ce sont les personnes trans, et surtout les femmes trans, qui sont les plus à risque. Aujourd’hui, être gay, bi ou lesbienne, c’est plus facilement accepté grâce à 40 ans de lutte.
On parle beaucoup du sud du pays, mais qu’en est-il du Nord et des zones rurales ?
Est-ce que dans le Nord, c’est différent en termes d’inclusion par rapport au Sud? Oui, l’ouverture d’esprit n’est pas la même. Beaucoup de personnes sont nées dans le Nord, mais viennent vivre en ville, parce qu’elles ne trouvaient pas leur place là-bas, où il y a moins d’ouverture d’esprit.
On le ressent notamment quand on va faire des ateliers dans les écoles ou des formations au nord du pays. On voit les questions qui sont posées et les difficultés à entendre certaines choses. Dès que tu parles des familles arc-en-ciel, ça devient compliqué. Et dès que tu parles de transidentité, t’as perdu tout le monde. Mais ça, ça se résout avec de l’éducation et de l’information.
Quelles sont vos revendications pour cette Pride Week 2025 ?
Contrairement à Rosa, le Centre Cigale ne porte rien d’autre que nos communautés, et donc les revendications de nos communautés. Nous ne préparons pas de plaidoyer à proprement parler pour la Pride, parce que ce n’est pas notre rôle. Mais évidemment, nos revendications sont : la fin des thérapies de conversion, la reconnaissance de la filiation, la valorisation des personnes intersexes et la mise en place de textes légaux pour endiguer les actes de discrimination et de haine sur les réseaux. Et au sein du Centre Cigale, par son essence même, on vise à plus d’intersectionnalité et d’inclusion, globalement, sur l’ensemble de nos sujets.
État civil. Maud Théobald est née en France.
Formation. Elle est formatrice graduée.
Carrière. Elle travaille depuis douze ans dans la lutte contre les discriminations, dont dix années auprès de femmes en situation de grande marginalité, notamment pendant six ans à l’Abrigado (CNDS).
Formatrice. Formatrice à l’Institut régional du travail social (IRTS) de Lorraine depuis sept ans, elle intervient auprès de futurs travailleurs sociaux.
Cigale. En 2023, elle rejoint le centre LGBTIQ+ Cigale et sa communauté en tant que directrice adjointe. Le centre offre un espace d’accueil, de soutien, d’information et de sensibilisation pour promouvoir les droits et la visibilité des personnes LGBTIQ+.