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Dr Anne Schumacher : «Nous avons besoin de tous les donneurs de sang»


«Par expérience, nous savons qu'à cette période de l'automne la situation va empirer.» (Photo : Hervé Montaigu)

En pleine période trouble pour les stocks de sang, le Dr Anne Schumacher, directrice médicale du centre de transfusion de la capitale, fait le point sur la situation.

Il y a deux semaines, la Croix-Rouge alertait sur les niveaux insuffisants des stocks de sang et lançait un appel à la mobilisation urgente des donneurs. «Ils sont au plus bas. Ils ne couvrent, aujourd’hui, qu’à peine une semaine des besoins des hôpitaux luxembourgeois», pointait l’ASBL dans son communiqué.

Plusieurs jours après, le Dr Anne Schumacher, médecin biologiste et directrice médicale du centre de transfusion de Luxembourg depuis 2018, revient sur la situation et sur le recrutement des donneurs de sang.

À quel point la situation est-elle préoccupante ?

Dr Anne Schumacher : Les stocks sont actuellement à la limite basse théorique. À cette période de l’automne, nous sommes confrontés aux problèmes d’infections des donneurs – rhume, grippe et covid par exemple. On est également à la sortie des vacances de la Toussaint et à l’approche des vacances de fin d’année. Par expérience, nous savons que la situation va empirer.

Il y a des moments où nous faisons des appels, car nous sommes dans des situations catastrophiques. Là, nous n’avons pas atteint ce seuil catastrophique, mais étions tout de même déjà à la limite inférieure, c’est-à-dire environ 450 poches et 8 à 10 jours de stock en termes d’activité de distribution dans les hôpitaux. Un stock considéré comme normal est de 15 jours.

Vous disiez également que les stocks étaient tendus depuis plusieurs mois déjà.

En 2025, le stock a toujours été légèrement au-dessus de la normale. Nous n’avons jamais eu de stocks vraiment excédentaires. Donc cela fait plusieurs mois que la situation est tendue, effectivement.

Est-ce une situation ponctuelle ou qui se répète ?

Le stock a pour habitude de fluctuer. Nous avons à peu près les mêmes variations chaque année. À chaque saison, il y a des perturbations. Il y a des difficultés au printemps au moment des jours fériés. Ensuite, il y a les vacances et les voyages en été, notamment pour les donneurs qui partent à l’étranger pour lesquels nous sommes obligés de mettre en place des interdictions, en général de quatre semaines. Et après, il y a la fin de l’année avec les vacances et les infections hivernales. Donc oui, c’est quelque chose de connu et de régulier.

Néanmoins, en 2025, le stock, sans être catastrophique, a toujours été bas. Nous avions moins de variation et sommes restés tout au long de l’année à la limite inférieure.

Le Luxembourg se veut autosuffisant.

C’est une exigence européenne : chaque pays européen doit être autosuffisant. Et je dois dire que, malgré nos difficultés de stock régulières, nous l’avons toujours été. Nous nous faisons parfois aider par les pays frontaliers pour des groupes très spécifiques ou des phénomènes très particuliers, mais à part ça, nous sommes toujours autosuffisants. La petite taille du pays aide sûrement. Nous avons quatre hôpitaux à fournir et même en allant à Ettelbruck, ce n’est pas très loin. Les petites distances facilitent les choses.

Quelles sont les conséquences concrètes de cette situation pour les hôpitaux et les patients ?

Normalement, chaque hôpital a un quota défini en fonction de son activité, de ce qu’il a consommé ces dernières années et de la distance. Mais effectivement, lorsque nous avons des difficultés, nous les alertons et les prévenons. Si nous sommes tendus sur certains groupes, nous leur demandons de faire attention à la répartition des poches.

Quand les stocks sont très bas et descendent en dessous du seuil inférieur, nous sommes obligés de demander aux hôpitaux de faire attention à leur stock et de reporter certaines transfusions. Parfois, c’est possible. Une hémorragie, on ne peut pas la reporter. Mais par exemple, pour un patient qui a une chimiothérapie, si on doit reporter de 24 ou 48 heures, on leur demande de le faire. Ce sont essentiellement les hématologues qui agissent dans ces cas-là, ils jouent le jeu. Il y a une bonne solidarité entre la Croix-Rouge et les prescripteurs. Sachant que le CHL, notamment en raison de son activité en hématologie et cancérologie, consomme la moitié des produits sanguins.

Les stocks de sang tiennent-ils surtout grâce aux donneurs réguliers ?

C’est sûr que nous tenons beaucoup à notre fichier de donneurs réguliers. La majorité des personnes inscrites dans notre fichier sont des donneurs réguliers. Mais chaque année, il y a des donneurs qui dépassent l’âge autorisé pour donner leur sang et que nous sommes donc obligés de retirer du fichier, mais aussi des donneurs qui sont obligés d’arrêter en raison d’une maladie ou d’autres raisons. Donc forcément, chaque année, nous perdons des donneurs réguliers.

Il faut que toute la population soit sensibilisée au don de sang puisque c’est un besoin de société

Nous avons alors la préoccupation permanente non seulement de recruter des nouveaux donneurs, mais aussi d’augmenter la population de donneurs. Nous voulons qu’il y ait de plus en plus de donneurs inscrits sur notre fichier national pour que nous n’ayons pas besoin de les solliciter trop souvent. Et nous voulons toucher les jeunes. C’est important que nous recrutions parmi eux. Il faut que toute la population soit sensibilisée au don de sang puisque c’est vraiment un besoin de société.

Quel est le profil type des donneurs réguliers ?

C’est très stable tous les ans. Nous avons un peu plus d’hommes que de femmes. Dans les tranches d’âge plus jeunes, il y a plus de femmes. Puis, avec les années, à cause des bébés notamment, elles sont obligées d’arrêter. En 2024, sur nos 15 588 donneurs inscrits, 53,8 % étaient des hommes et 46,2 % des femmes. Et la moyenne d’âge était de 42,7 ans.

La population au Luxembourg est de plus en plus multiculturelle, alors nous avons de plus en plus de non-Luxembourgeois qui viennent donner leur sang. On essaye justement de les toucher via les entreprises où ils travaillent. C’est d’ailleurs une particularité du Luxembourg – comme dans tous les domaines, nous accueillons les donneurs dans trois langues, en plus du luxembourgeois : en français, allemand et anglais. Nous avons des infirmiers qui parlent plusieurs langues. Et c’est vrai que nous avons de plus en plus de donneurs qui s’expriment en anglais. Mais la majorité restent quand même des résidents.

«Nous voulons fluidifier le parcours du donneur et essayer de lui faire passer le moins de temps possible au centre.» (Photo : Hervé Montaigu)

Comment faites-vous pour attirer de nouveaux donneurs ?

Nous faisons régulièrement des campagnes de promotion du don du sang, que ce soit dans les abribus ou sur les réseaux sociaux. Nous nous y sommes mis depuis 3-4 ans… On va dire que nous nous sommes modernisés. Et puis, nous avons retravaillé notre image en dépoussiérant celle du centre de transfusion. Nous accueillons aussi beaucoup d’écoles, des collèges et des lycées, qui s’adressent à nous. Nous leur donnons des explications et leur faisons visiter le centre. Je pense que lorsque l’on entend parler du don du sang dès l’enfance, on en parle autour de soi et on est prêt à le faire dès 18 ans.

Pour donner des exemples de campagne : il y a quelque temps, un vélo électrique circulait sur les places du centre-ville avec notre image de campagne – la goutte de sang – et un QR code que les passants pouvaient scanner. Nous profitons aussi d’évènements tels que le Welcome Day des étudiants en début d’année, où nous avions un homme-sandwich, ou le marché de Noël l’année dernière où nous avions un stand.

Les nouveaux postulants étaient 2 528 en 2024, et 1 477 à faire leur premier don. Ces dernières années, le nombre de nouveaux donneurs continue d’augmenter. Lentement, mais ça augmente. Tout ce qu’on veut, c’est qu’il continue sur cette lancée !

Quels sont les principaux obstacles à la mobilisation des donneurs ?

Il y a la peur de la piqûre. C’est un obstacle que les gens ont du mal à surmonter, on arrive difficilement à les faire changer. Et il y a aussi le défaut d’information. Nous avions fait une étude il y a quelques années et elle montrait clairement que les non-donneurs ne savaient pas qui était l’acteur, ni les lieux de collecte, ni les horaires d’ouverture (voir encadré).

C’est à nous d’apporter ces informations aux donneurs, il ne faut pas qu’ils aient à les chercher. Et c’est pour cela que nous avons mis en place notre site dondusang.lu, dédié à la transfusion, où nous expliquons justement les différents lieux de collecte et les horaires. Les gens peuvent également faire une simulation en ligne des principaux critères d’éligibilité pour ne pas avoir à se déplacer pour rien. Et nous avons aussi mis en place un système de rendez-vous en ligne via l’application Doctena. Un donneur peut évidemment toujours se présenter spontanément, il ne sera jamais refusé, mais un donneur ayant pris rendez-vous sera prioritaire. Nous avons mis cela en place pour fluidifier le parcours du donneur et essayer de lui faire passer le moins de temps possible au centre.

Est-ce qu’ouvrir d’autant plus les critères de sélection serait une autre piste pour recruter encore plus de donneurs, notamment pour les hommes homosexuels ?

Autrefois, au Luxembourg, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes étaient exclus à vie du don du sang. Les choses ont évolué, notamment autour de 2020, lorsque le pays s’est aligné sur le modèle français. Depuis, on ne parle plus de « donneurs homosexuels«  ni de catégories de donneurs : seules comptent les pratiques sexuelles, pas l’appartenance à une communauté. Concrètement, si un homme a eu une relation sexuelle avec un autre homme dans les 12 derniers mois, il peut donner son plasma. S’il n’a pas eu de relation homosexuelle dans cette période, il peut donner son sang total. Auparavant, il ne pouvait rien donner.

Si la situation n’a pas davantage évolué depuis, c’est parce que la Croix-Rouge discute encore avec le ministère au sujet de la responsabilité juridique, en référence notamment aux scandales de sang contaminé. L’enjeu dépasse la question du VIH ou des comportements à risque : un donneur peut aussi être porteur d’autres maladies qui rendent son sang impropre.

Les critères de sélection sont régulièrement révisés et mis à jour, donc rien n’est figé. Mais nous ne les ouvrons pas pour avoir plus de donneurs. Les critères sont juste faits pour sécuriser et protéger les donneurs et receveurs, pas pour restreindre.

Quel message souhaiteriez-vous adresser à la population en ce moment ?

Déjà, remercier tous nos donneurs réguliers parce que c’est grâce à eux que nous pouvons être autosuffisants. On ne remercie jamais assez les donneurs : sans eux, rien n’est possible. Et puis pour ceux qui n’ont pas encore sauté le pas, il ne faut pas avoir peur de venir donner son sang, même si c’est pour la première fois. Il y a la même répartition de groupes sanguins dans la population de donneurs que dans la population de patients. Donc, nous avons besoin de tous les donneurs !

OÙ ET COMMENT DONNER SON SANG ?

Qui peut donner ? 

  • Avoir entre 18 et 60 ans et peser au moins 50 kg.
  • Être en bonne santé, certaines contre-indications (tatouage, piercing récent, voyage, etc.) peuvent reporter votre don.

Où donner ?

  • Au Centre de transfusion sanguine de la Croix-Rouge : 42, boulevard Joseph-II, L-1840 Luxembourg.
  • Lors des collectes externes, organisées régulièrement à travers le pays (Esch-Belval, Wiltz, Ettelbruck, Grevenmacher, Colpach-Bas, Echternach, etc.).
  • Possibilité de don en entreprise : certaines entreprises organisent des collectes internes avec la Croix-Rouge.

Quand donner ?

  • Le centre de transfusion est ouvert du lundi au vendredi : ouverture à 8 h, fermeture à 16 h les lundis, mardis et vendredis, 18 h les mercredis et jeudis.
  • Les équipes se déplacent les mercredis, jeudis et vendredis sur des points de collecte externes différents selon le jour. Le calendrier est disponible sur le site du don du sang (dondusang.lu).
  • À Esch-Belval, il y a des collectes les lundis et mardis.

Types de dons :

  • Sang total : don classique.
  • Plasma/plaquettes : au centre de transfusion sur rendez-vous, le processus dure environ une heure.
  • Récupération : pour un don de plasma par aphérèse, il est possible de donner à nouveau après 4 semaines.

 

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