Le Dr Alain Schmit a quitté la présidence de l’Association des médecins et médecins-dentistes (AMMD) pour consacrer son énergie à trouver des solutions concrètes pour améliorer l’accès aux soins des patients. Mal lui en a pris. La FindelClinic qu’il a cofondée lui attire des critiques de toutes parts.
L’annonce de la prochaine ouverture de la FindelClinic, que vous fondez avec le Dr Philippe Wilmes, a déclenché une vive polémique. Était-ce le but ?
Dr Alain Schmit : Nous n’avons pas provoqué cette polémique et ne sommes pas à l’origine de cette fuite dans les médias, alors que nous cherchions à initier un projet, que nous étions dans les préparatifs. Aujourd’hui, les discours politiques partent dans tous les sens. C’est la situation que l’on vit actuellement.
Les conseils médicaux des hôpitaux du pays ont admis, dans une récente lettre ouverte, que l’évolution dans le secteur de la santé, avec la dénonciation de la convention entre les médecins et la Caisse nationale de santé, n’avait rien de surprenant…
La dénonciation est le résultat d’un cadre légal trop rigide et il est bien connu que les patients attendent souvent longtemps pour avoir un rendez-vous auprès d’un spécialiste. Mais la médecine générale et dentaire connaît également des soucis sérieux. Aujourd’hui, nous assistons à des conflits de tous les côtés. Le monde politique discute en commission Santé sur le nom de notre FindelClinic, comme si c’était le sujet le plus important dans le domaine de la santé. Nous avons choisi tout simplement d’utiliser la terminologie anglaise : la FindelClinic n’est rien d’autre que l’équivalent d’un cabinet en français. Une « dental clinic« , c’est un cabinet dentaire.
Honnêtement, ce n’était pas une provocation de notre part. De plus, nous n’avons rien fait qui puisse mettre en concurrence l’hôpital. Nous ne réalisons pas d’IRM, d’endoscopie ou d’autres actes réservés au milieu hospitalier. Rien de tout cela. Nous ne cherchons pas la concurrence, au contraire nous cherchons les partenariats, du côté tant des hôpitaux que des médecins généralistes. Une bonne relation avec les hôpitaux est nécessaire pour rendre fluide le parcours des patients nécessitant certaines prestations hospitalières.
Nous sommes une start-up en quelque sorte
L’opposition a effectivement longuement évoqué la question du nom de la FindelClinic, mais elle était intégrée dans un débat plus vaste sur la médecine commerciale…
C’est quoi une médecine commerciale? Les médecins ne veulent pas « vendre« des prestations comme un vulgaire bien de consommation. Et si la mise à disposition d’un cabinet médical avec la logistique était déjà à considérer comme médecine commerciale, nous l’aurions déjà depuis longtemps. Combien de médecins qui travaillent dans un cabinet en sont propriétaires? L’écrasante majorité sont en effet des locataires et il y a un propriétaire qui loue les locaux. Qui est le propriétaire de la plupart des cabinets des médecins libéraux? Souvent, ce ne sont pas eux-mêmes. Ce n’est vraiment pas un argument pour dire que l’on est sur la voie de la commercialisation de la médecine. On nous reproche d’avoir recherché des investisseurs qui sont dans notre actionnariat pour monter notre projet. Nous sommes une start-up en quelque sorte et nous avions besoin de leur savoir-faire.
Quel savoir-faire exactement ?
Il y a beaucoup de paramètres à considérer. Il y a un plan financier, la manière de structurer, de gérer, et nos investisseurs sont des gens qui ont fait leurs preuves dans l’entrepreneuriat et qui ont le savoir-faire pour ces choses-là. Nous, nous sommes médecins et pas forcément les mieux placés pour ce genre de réflexion. Ces investisseurs que nous sommes allés chercher ont adhéré au projet parce qu’ils croyaient en notre idée et ont décidé de nous aider, surtout au sujet de la gestion même du projet.
Les hôpitaux craignent pourtant d’être dépouillés de certains actes médicaux qu’ils disent plus rentables pour assurer leur survie financière. L’AMMD, que vous avez présidée pendant dix ans, en est-elle consciente ?
Le débat n’est plus le mien, mais quand j’étais encore président de l’AMMD, j’avais fait des propositions sur le développement de l’extrahospitalier en intégrant toujours cette notion de ne pas délaisser les hôpitaux de leurs missions essentielles. Sortir certaines activités de l’hôpital est un débat politique toujours en cours. Le problème financier structurel pour la CNS n’est pas résolu non plus. Les sociétés d’exercice libéral pourraient développer l’extrahospitalier par les mêmes médecins, en gardant ainsi un lien avec les structures hospitalières pour assurer la médecine hospitalière comme on l’a toujours fait. Le problème, c’est que l’on n’a jamais considéré ou discuté ces arguments pour trouver une solution cohérente à tous les niveaux. Mais pour être très clair, notre projet se limite à l’activité strictement extrahospitalière.
J’ai tenté de contribuer à améliorer l’accès aux soins
La médecine de classe, c’est un vrai ou un faux débat ?
C’est un vrai débat, parce que 90 % des assurés aujourd’hui n’ont pas accès à une médecine conviviale. Ce sont les 5 à 10 % de politiciens, de journalistes, de médecins, d’infirmières qui ont un accès privilégié et les autres attendent souvent des mois et des mois. Quand j’entends la ministre déclarer à la radio qu’elle ne dispose pas de chiffres indiquant que les temps d’attente sont longs, le retour quotidien de très nombreux patients en peine parle de lui-même.
Avec Philippe Wilmes, nous avons œuvré pendant des années pour améliorer l’accès aux soins de médecine. Nous restons convaincus qu’il manque dans ce pays une offre supplémentaire pour les patients, donc il faut des médecins spécialistes. Nous avons cherché des solutions pour les attirer au Luxembourg et nous sommes arrivés à ce concept de plateforme pluridisciplinaire, une communauté de médecins de différentes spécialités avec des heures d’ouverture élargies pour permettre à ces professionnels de venir et repartir en dehors des heures de pointe et des bouchons sur les routes.
C’est aussi offrir plus de confort pour les patients, qui ne sont pas obligés de prendre une journée de congé pour se rendre chez un médecin. Les patients pourront consulter différents spécialistes dans des délais plutôt courts au lieu d’attendre des mois. Notre souhait, c’est d’améliorer l’accès aux soins des patients pour ces 90 % qui ne sont pas des privilégiés.
Nous travaillons dans le même cadre légal que tous les médecins du pays, donc nous ne créons pas une médecine de classe, nous la combattons aussi. D’ailleurs, la société que nous avons créée est une société de prestations de service et non une société d’exercice libéral de la médecine telle qu’elle est actuellement débattue. Il ne faut donc pas confondre ces types de société qui n’ont rien en commun.
Que va vous apporter cette nouvelle société ?
Elle va mettre à notre disposition l’infrastructure, l’informatique, les appareils, le personnel pour que les médecins qui viennent chez nous se concentrent sur leur travail. C’est un obstacle important pour un médecin libéral de mettre tout cela en place. Nous ne pourrons recruter de bons médecins qu’à la condition d’être très attractifs. On ne va pas les attirer avec des honoraires faramineux, nous sommes tenus de respecter la nomenclature existante. La seule marge de manœuvre que nous ayons, c’est de minimiser l’impact financier pour l’infrastructure et l’organisation. Nous sommes donc allés chercher des gens expérimentés dans ce domaine, à qui nous avons exposé notre idée.
La dénonciation des conventions avec la Caisse nationale de santé ne signifie pas une libéralisation totale des honoraires des médecins. Cependant, cela risque-t-il d’arriver ?
Non, c’est un faux débat. Le conventionnement est dans la loi et l’AMMD ne peut pas changer la loi de son propre chef. En revanche, d’après ce que j’ai compris, l’AMMD cherche à convaincre qu’il serait utile d’amender cette loi pour améliorer le conventionnement tout en favorisant le progrès médical en cabinet comme à l’hôpital. Ce qui ne signifie pas que le système de santé, basé sur la solidarité, soit en danger. Personne n’est contre la solidarité, mais le système devrait se moderniser, même si des opinions semblent diverger sur certains points particuliers.
Si le personnel hospitalier, en particulier le personnel infirmier, était vraiment satisfait de son lieu de travail, nous n’aurions pas un taux d’absentéisme de 18 % dans ce secteur. Si le système était tellement attirant pour les médecins, pourquoi note-t-on un taux de médecins parmi les plus faibles d’Europe. Il y a un problème d’accès à la santé, actuellement, dans ce système soi-disant solidaire. Quand vous attendez six mois pour avoir un rendez-vous et qu’un ministre ou un médecin peut l’obtenir tout de suite, est-ce solidaire?
Formation. Alain Schmit a effectué ses études de médecine à l’université libre de Bruxelles.
CHEM. Il est agréé au Centre hospitalier Émile-Mayrisch comme gastroentérologue depuis décembre 2001.
Conseils médicaux. Il est cofondateur de la Conférence nationale des conseils médicaux.
AMMD. Le Dr Alain Schmit a présidé l’Association des médecins et médecins-dentistes de 2014 à 2024.
Projet. Une récente fuite dans les médias révèle qu’il crée un cabinet pluridisciplinaire en partenariat avec des investisseurs privés.
La présidente de l’association des médecins hospitaliers s’est montrée très critique envers l’AMMD en rappelant que la profession s’est dotée d’une éthique et d’un code de déontologie et qu’elle n’est pas une branche classique de l’économie, comme elle l’a affirmé dans les médias. Vous sentez-vous visé par ses propos ?
Je ne représente plus l’AMMD, mais sous-entendre que les propositions de l’AMMD seraient contre la déontologie est absurde, car l’écrasante majorité des médecins tient fermement à notre déontologie.
Il n’empêche que les médecins hospitaliers, en grande majorité employés par le Centre hospitalier de Luxembourg, craignent réellement des ouvertures dans le système de santé. Les comprenez-vous ?
Oui. Les médecins salariés du CHL facturent leurs actes selon la même nomenclature que les libéraux et tous leurs actes sont répertoriés à la CNS. La différence, c’est que le CHL récupère tous les honoraires de chaque médecin et les redistribue sous forme de salaire selon une grille d’ancienneté, entre autres critères. Ce qui effraie certains médecins hospitaliers, c’est que la direction leur oppose l’activité, un peu comme si ces médecins n’étaient pas salariés. D’après ce que j’ai compris, la présidente souhaiterait une sorte de fonctionnariat de la médecine où les professionnels ne doivent pas toujours justifier le temps qu’ils jugent nécessaire pour certaines prestations. Je suis même d’avis qu’elle a raison pour ce qui concerne certaines activités, mais une telle modalité n’est pas prévue dans la convention qui vient d’être dénoncée. Ce sera peut-être l’occasion d’y réfléchir.
Au final, les médecins sont divisés sur le sujet, les politiques aussi et sans doute les patients. Cela ne doit pas vous réjouir…
En effet, c’est regrettable. Se mettre dans la position d’un médecin qui veut travailler à l’intérieur comme à l’extérieur de l’hôpital, dans la position de l’hôpital, de la CNS, du politicien et évidemment du patient est un exercice très difficile, mais nécessaire. C’est comme cela qu’il est possible de trouver des solutions à beaucoup de problèmes, sinon on n’en résout qu’un seul et on en crée d’autres ailleurs. Sans vouloir prétendre que j’ai tout bien fait, j’ai essayé, du moins tenté, de promouvoir une telle approche. Ça use, évidemment. N’empêche, j’espère que les dialogues constructifs entre les différents acteurs permettront de trouver les solutions adéquates dans un esprit de vraie compréhension. En attendant, et à travers ce projet, j’ai tenté de contribuer à améliorer l’accès aux soins de médecine spécialisée des patients dans le cadre légal actuel.
«Une bonne relation avec les hôpitaux est nécessaire pour rendre fluide le parcours des patients.»