Ses tatouages en font une personnalité marquante dans le milieu étoilé de la gastronomie : la sommelière Dominique Rizzi retrace son parcours étincelant avant un tout nouveau défi.
C’est dans le décor feutré du Grand Café à Bertrange – dont elle a conçu la carte des vins – qu’elle nous a donné rendez-vous, à l’heure où les clients du midi saucent leur assiette.
Regard charbonneux, cheveux ultra-courts, bras tatoués et blouse rose bonbon : à 59 ans, Dominique Rizzi soigne son look atypique, reflet de sa sensibilité à fleur de peau, emballée dans un caractère bien trempé.
Sommelière connue et reconnue, bien au-delà des frontières grand-ducales, cette épicurienne à la carrière étincelante, aujourd’hui en retraite, a toujours l’œil qui brille lorsqu’il s’agit de parler vin : une passion «surprise», reçue comme un cadeau, à 18 ans, lorsqu’elle faisait ses premiers pas en salle dans un restaurant des bords de Moselle.
Élue à la tête de l’Association luxembourgeoise des sommeliers en juin dernier – une première pour cette institution essentiellement masculine – elle fourmille d’idées pour valoriser davantage le métier.
Avant de prendre quelques jours de vacances, elle évoque avec nous son parcours, celui d’une enfant d’immigrés italiens dans la Lorraine des années 1960, que rien ne prédestinait à ce parcours d’excellence.
On parle de vous comme une «référence dans le monde du vin». Ça vous inspire quoi ?
Dominique Rizzi : J’en suis très heureuse, mais je dois dire que j’ai toujours un peu le syndrome de l’imposteur (elle sourit) J’ai cette impression qu’on parle de quelqu’un d’autre que moi. C’est tellement incroyable et gratifiant!
Bien sûr, je suis aussi très fière, car j’ai beaucoup travaillé pour ça, avec cette passion qui m’anime depuis si longtemps… Tout est allé si vite, je n’ai pas vu le temps passer.
Pouvez-vous décrire les multiples facettes du métier de sommelier ?
Le sommelier, c’est la personne qui est habilitée à conseiller le vin dans les restaurants. Elle assure le service, élabore la carte des vins, collabore aux achats, aux négociations commerciales en rapport avec le vin, et bien sûr, travaille en étroite relation avec le chef de cuisine pour créer la plus belle harmonie entre mets et vins.
Ce qu’on aime le plus faire en général, parce que c’est là qu’on peut révéler ses talents, faire découvrir des choses, prendre des risques, et proposer aux clients un véritable voyage!
Quelles qualités sont indispensables ?
Déjà, il faut aimer manger! Apprécier tous les produits et les connaître. Un sommelier doit avoir une connaissance très large des produits culinaires, des cuissons, des assaisonnements, des textures : c’est capital pour obtenir les meilleurs accords.
Il doit aussi avoir des connaissances géographiques et historiques – le vin ayant cette ancestralité – et s’il parle plusieurs langues, c’est toujours mieux, puisqu’on a affaire à une clientèle cosmopolite, surtout ici au Luxembourg.
Pour créer de l’émotion, les livres ne suffisent pas, il faut y aller avec ses tripes
En parallèle, on doit bien comprendre l’identité culinaire du chef pour pouvoir mettre en valeur ses produits : c’est à nous de sublimer la cuisine du restaurant. On travaille en symbiose, l’un ne dépasse pas l’autre.
Tout le monde peut y arriver, même sans un bon nez ?
Je pense que ça se travaille. Ce qui est essentiel, c’est la passion. Si on s’investit dans ce métier corps et âme, on y arrive. Pour créer de l’émotion, les livres ne suffisent pas, il faut y aller avec ses tripes!
C’est aussi une grande école de l’humilité, car il arrive souvent de tomber sur des clients amateurs de vin, bien plus pointus que nous.
Vous avez grandi en Lorraine, avec un papa sidérurgiste et une maman au foyer. C’était comment à la maison ?
L’ambiance était géniale. Avec mon frère et ma sœur, on a eu cette chance d’avoir notre maman disponible pour nous. Elle était un vrai cordon bleu et nous préparait tous les jours des petits plats frais, du terroir, du jardin, de saison.
Elle avait envie de nous faire plaisir parce qu’elle avait connu la faim étant petite. Moi, j’adorais manger et j’étais surtout fascinée par toutes ces odeurs qui embaumaient la maison quand on rentrait de l’école. C’est ça qui m’a donné envie de travailler dans la restauration.
En cuisine ?
Oui, dès 12 ans, je voulais entrer dans ce métier, par la cuisine. Cependant, c’était loin d’être évident. Quand j’en ai parlé à mes parents, ils m’en ont dissuadé. Ils auraient préféré que je fasse de grandes études. Mais moi, j’aimais pas ça du tout!
J’ai un tempérament d’artiste… En classe, j’étais du genre turbulente, avec des problèmes de discipline. Ce qui m’a d’ailleurs valu un refus de la part de l’école hôtelière de Metz que je rêvais d’intégrer! J’ai dû persévérer et retenter ma chance l’année suivante pour être acceptée.

À quel moment arrive votre coup de foudre pour le vin ?
Bien plus tard, après ma formation en salle. À 18 ans, mon diplôme en poche, j’ai décroché un job dans un très bon restaurant, le Chalet de la Moselle à Machtum, puis chez Mathes à Ahn quelques années plus tard, en tant que maître d’hôtel – c’était rare à cette époque pour une femme.
Ce chef m’a donné ma chance, et c’est lui qui m’a soufflé cette idée de suivre des cours de sommellerie au lycée hôtelier de Diekirch.
Fernand Klee – un monstre dans le domaine – y donnait des cours. Il m’a tout de suite embarquée, il a senti mon potentiel. Il m’a poussée jusqu’au concours de Meilleur sommelier du Luxembourg, que j’ai remporté en 1992.
J’étais la seule femme parmi 25 candidats du monde entier
Une victoire qui m’a propulsé au Championnat du monde des vins de France à Paris la même année : j’étais alors la seule femme parmi 25 candidats du monde entier. Que des pointures. J’ai fini assez bien classée, et à partir de là, je n’ai plus cessé de me former et de m’améliorer.
Le Domaine thermal de Mondorf-les-Bains m’avait engagée, ils étaient super heureux de mon résultat et m’ont payé une formation à l’Université du vin de Bordeaux où j’ai appris l’œnologie. Maladies du vin, maître de chai, physiologie du goût : je voulais comprendre le vin dans sa globalité.
Ce prix prestigieux, comment l’avez-vous vécu ?
J’étais reconnaissante – comment ne pas l’être ? – mais consciente que ce n’était pas une fin en soi. Le vin ça change chaque année, on apprend toute notre vie : les techniques évoluent, les millésimes sont différents, on ne se lasse jamais dans ce métier, on reste novice. Et ça, j’adore!
Et pourquoi cette bascule, vous qui étiez si attirée par la cuisine ?
Je ne me l’explique pas, c’est drôle. (silence) Pour moi, le vin a quelque chose de mystique : il porte un message, des émotions, et c’est ça que j’aime exprimer. Quand on parle avec son cœur, on touche quelqu’un. Cette poésie du vin me fascine.
Ce milieu était très masculin à l’époque : ça a été difficile de se faire une place ?
C’est vrai qu’on n’était pas nombreuses! Je n’ai pas ressenti de misogynie personnellement, mais pour exercer ce métier en tant que femme, il faut avoir du caractère évidemment. Savoir s’imposer.
Avec mon prénom à la fois masculin et féminin, on m’annonçait parfois en conférence, tout le monde attendait un homme, et quand je débarquais sur scène, il y avait un silence… Puis, une fois que je me lançais, c’était gagné.
La chance que j’ai eue, c’est que les opportunités se sont succédé. J’ai été contactée pour participer à un débat télévisé à la fin des années 1990 sur une chaîne belge, et ensuite, tout s’est emballé médiatiquement : j’ai enchaîné les chroniques, les émissions radio, etc.
J’avais peur, mais j’avais aussi une certaine aisance en public. À la fin d’une soirée œnologique à Mondorf avec Fernand Klee, il m’a soufflé : «L’élève a dépassé le maître». Le plus beau compliment de ma vie.
Quelle place a la transmission dans votre approche du métier ?
C’est mon fil conducteur, mon but ultime. J’ai formé énormément de stagiaires, c’est ce qui me tient le plus à cœur, même aujourd’hui à la retraite. Je continue, si je peux aider un jeune, je le fais!
J’essaye de leur transmettre l’humilité, le courage, la pugnacité, car ils doivent avoir les épaules et s’investir à 200%. La passion ne ment pas : pour être embarqués, les clients doivent absolument la percevoir.

La transmission est primordiale pour cette passionnée qui continue d’accompagner des jeunes talents.
Aujourd’hui, où en êtes-vous de toutes ces activités ?
J’ai terminé ma carrière à la Cour de justice européenne en tant que gérante-adjoint de la restauration : j’étais responsable des activités protocolaires, tous les grands dîners et déjeuners avec les magistrats. Ça a été une très belle expérience.
Je ne m’en croyais pas capable, mais j’ai été portée par leur confiance. Aujourd’hui, je continue à donner des conférences, je distille mes conseils, je suis jurée dans des concours partout dans le monde, avec un rythme moins effréné!
On vous imagine mal ralentir… Vous y arrivez ?
Oh oui! Je sais m’ennuyer devant des séries sur le canapé! J’ai également beaucoup de loisirs : la musique, sans laquelle je ne pourrais pas vivre, Dream Theatre, Pink Floyd, Deep Purple… Un peu de pop électro, Daft Punk, jusqu’au Requiem de Mozart, et toutes les messes de requiem d’ailleurs!
Je porte cette dualité en moi, une part plus sombre, tout en étant très solaire
Je m’occupe de mes animaux, de ma chienne Syrah, et je voyage pas mal autour du vin bien sûr. J’adore les langues : j’en parle cinq, et là, en ce moment, j’apprends l’espagnol.
Sur Instagram, vous partagez un peu de vous, côté privé. On peut ainsi voir votre dos tatoué !
Oui, c’est mon côté rock ! On a une image de moi très policée, hyper sévère, alors que je suis l’exact contraire : hypersensible, pleine d’empathie. Tout mon dos est tatoué, mes jambes – avec un grand phénix magnifique – mes bras…
Il y a des têtes de mort, c’est sûr, ça peut faire peur! Mais moi, je les vois comme un symbole de renaissance. Je porte cette dualité en moi, une part plus sombre, tout en étant très solaire.
Mes tatouages montrent aussi la vigne, qui meurt chaque année et renaît. La vie après la mort, j’y ai toujours cru. L’ensemble signifie puiser au fond de soi pour mieux rebondir et rayonner.
En tant que nouvelle présidente de l’ALS, comment comptez-vous apposer votre patte ?
C’est un honneur de reprendre le flambeau. Je veux transmettre, accompagner les jeunes dans le métier, créer des formations pour aider les restaurateurs en salle, en sommellerie. Aujourd’hui, ça manque.
Il faut dire qu’avec les pénuries de personnel, ça devient de plus en plus compliqué pour les structures de s’offrir un sommelier. Seuls les grands restaurants se permettent d’avoir une vraie brigade, avec directeur de salle, maître d’hôtel, chef de rang et sommelier. On a déjà lancé des réunions pour ce projet avec l’Horesca.
Et pour finir, quel vin nous recommandez-vous pour un barbecue cet été ?
Alors, tout dépend de ce qu’on met sur le barbecue, mais j’opterais pour un vin issu d’une appellation IGP, un label qui offre un très bon rapport qualité-prix. Ou alors un vin local : avec la Moselle, on a la chance ici d’avoir à notre porte toutes les couleurs de la palette! Ça compte beaucoup pour moi de mettre en valeur le vignoble luxembourgeois. (elle sourit)
État civil. Dominique Rizzi est née le 25 octobre 1965. Elle est mariée.
Formation. Après un BEP/CAP hôtellerie-restauration au lycée hôtelier Raymond-Mondon de Metz, elle commence à travailler et se forme spécifiquement à la sommellerie au lycée hôtelier de Diekirch, puis à l’œnologie, à l’université du Vin à Bordeaux.
Distinctions. En 1992, elle est consacrée Meilleure sommelière du Luxembourg. Et en 2015, le célèbre guide Gault & Millau la désigne personnalité de l’année, alors qu’elle est maître sommelière au restaurant gastronomique De Jangeli à Mondorf-les-Bains.
Médias. À l’aise en public, elle n’est pas intimidée par les caméras et participe à de nombreuses émissions télévisées, comme invitée, puis comme chroniqueuse, notamment aux côtés de Jean-Luc Bertrand dans Bienvenue chez vous sur AirTV dans les années 2000.
Présidente. Membre de l’Association luxembourgeoise des sommeliers (ALS) depuis une dizaine d’années, elle vient d’être élue présidente de cette institution en juin, succédant ainsi à Dino Totaro, son ami depuis près de 40 ans, qui va poursuivre en tant que vice-président.