Trois militants de l’association Rosa Lëtzebuerg reviennent sur leur combat pour faire légaliser le mariage des couples homosexuels au Luxembourg.
Le mois de janvier 2025 marque un grand anniversaire. Celui des dix ans du mariage pour tous. Le 1er janvier 2015, les couples de même sexe pouvaient enfin se dire oui. Le Luxembourg devenait ainsi le onzième pays européen à légaliser ces unions. Aujourd’hui, le mariage des couples homosexuels fait partie intégrante du paysage luxembourgeois. Pourtant, le chemin pour y arriver n’a pas été de tout repos, notamment pour les militants. Lors d’une soirée table ronde organisée mercredi soir à Luxembourg au Rainbow Center par le Laboratoire d’études queer, sur le genre et les féminismes (LEQGF), trois militants sont revenus sur leur long combat de revendication du mariage pour les couples homosexuels au Luxembourg.
L’association Rosa Lëtzebuerg est créée en 1996 pour défendre les intérêts des personnes LGBTIQ+. À l’époque, le mariage est l’une de ses principales revendications. «Nous fêtons les dix ans du mariage pour tous, mais c’est une très longue histoire qui a débuté bien avant 2015», se remémore François Diderrich. Il rejoint l’association en 1999, puis en est longtemps le président à partir de 2002. Il se rappelle avoir vu le Danemark légaliser le partenariat entre deux personnes du même sexe dès la fin des années 80. Au Luxembourg, il faut attendre 2002 pour qu’un tel projet de loi soit écrit, et 2004 pour qu’il entre en vigueur.
Ce n’est que dix ans plus tard que le projet de loi sur le mariage pour tous arrive sur la table. «Le frein à la légalisation du mariage était l’adoption, puisque l’une des premières conditions pour adopter est d’être marié», estime Gabriele Schneider, une ancienne présidente de Rosa Lëtzebuerg. Selon son successeur, le grand tournant est l’accord de coalition CSV-LSAP en 2009. C’est à ce moment-là que le projet de loi sur le mariage pour tous commence à être travaillé. Quelques années et un nouveau ministre de la Justice plus tard, le projet est enfin déposé à la Chambre. Il est ensuite validé en janvier 2014 en commission parlementaire. En juin 2014, presque tous les députés votent en faveur du mariage pour tous : 56 d’entre eux soutiennent le projet de loi, l’ADR étant le seul parti à voter contre.
Où en est-on aujourd’hui?
Introduction du pacs en 2004, du mariage et de l’adoption en 2014, de la possibilité de changer de sexe et de prénom à l’état civil sans subir de traitement médical, opération chirurgicale ou stérilisation en 2018, et enfin, en 2023, d’une circonstance aggravante pour les infractions motivées par le sexe, l’orientation sexuelle, le changement de sexe ou l’identité de genre de la victime… Les avancées en matière de droits des personnes LGBTIQA+ ont continué leur route depuis la légalisation du pacs pour les couples homosexuels. Pourtant, parmi les activistes règne le sentiment d’une certaine stagnation.
Pire, la peur de faire machine arrière est bien présente. «Il ne faut pas que l’ignorance grandisse», dit François Diderrich. «Les droits ne sont jamais acquis à 100 %, il faut continuer à travailler pour ne pas faire machine arrière», complète Laurent Boquet. Les sujets portés par les militants aujourd’hui sont l’affiliation à la sécurité sociale et l’éducation.
«La majorité des gens étaient pour»
«Est-ce que cela serait arrivé sans la présence de Rosa?», se questionne son ancien président. L’association a fait beaucoup de travail pour pousser le gouvernement à légaliser le mariage pour tous. «Nous l’avons revendiqué lors d’un défilé», se rappelle Laurent Boquet, membre de Rosa Lëtzebuerg depuis 2007. Loin de ce qu’est la Luxembourg Pride aujourd’hui, il en a tout de même été les prémices. «Il était statique et nous étions peu, car ce n’était pas autorisé à l’époque.»
Le combat est donc mené moins par des actions physiques que par les armes de la sensibilisation et de la communication auprès des médias et des responsables politiques. Et différents évènements le mettent en lumière. «Nous avons toujours été gentils, peut-être un peu trop», sourit François Diderrich, qui avait aussi déposé en 2007 une pétition qui avait recueilli beaucoup de signatures : «La majorité des gens étaient pour le mariage, mais moins pour l’adoption.»
«Dans nos vies privées, le consensus était assez facile», note Laurent Boquet. Les trois militants en gardent d’ailleurs des souvenirs positifs. François a les larmes aux yeux en se remémorant la réaction de son père lorsqu’il s’est marié avec son compagnon. «La majorité de la population acceptait et tolérait, mais bien sûr certains étaient contre, notamment sur Facebook», ajoute Gabriele Schneider. «Il fallait juste que les gens comprennent que nous voulions fonder une vie et une famille ensemble, comme tout le monde.» En tout cas, une chose est sûre pour l’ancienne présidente de Rosa Lëtzebuerg : «Cela a été fantastique quand le mariage a été voté.»
Jean-Paul et Henri, premier couple marié
Eux aussi ont fêté un anniversaire ce 1er janvier. Jean-Paul et Henri ont soufflé les dix bougies de leur mariage. Et pas n’importe lequel : le premier mariage homosexuel du Luxembourg. Pour le couple, l’histoire de leur union est une «drôle d’histoire». Alors que la loi prenait effet au 1er janvier 2015, leur mariage était d’abord prévu le 17. «Xavier Bettel disait qu’il serait le premier à se marier», se rappelle Jean-Paul. Manque de peau pour l’ancien premier ministre, le bourgmestre de Differdange a décidé d’avancer le mariage de Jean-Paul et Henri : «Il m’a appelé et m’a dit qu’il changeait la date au 1er janvier 2015 à 11 h 11.» Il se souvient avoir été choqué lorsque le mariage avait été légalisé. «Nous étions pacsé, mais je n’aurais jamais imaginé que nous pourrions nous marier un jour!»
Une fois le jour venu, le couple a passé une heure et demie à la mairie, entouré de journalistes venus du Grand-Duché et même de France. «C’est comme ça que nous sommes rentrés dans l’histoire», sourit-il. Le mariage n’a pas été qu’un moment de célébrité pour Jean-Paul, il a aussi été marqué d’un beau souvenir. Il était parrain, mais sa filleule avait arrêté de lui parler lorsqu’elle avait appris son homosexualité. Mais lors du mariage, Jean-Paul un reçu un fax d’Italie. Sa filleule l’avait recontacté après 40 ans. «J’ai des frissons rien que le racontant», souffle-t-il.

