Le 15 septembre 2008, la banque d’affaires américaine Lehman Brothers faisait faillite, entraînant dans sa chute le secteur financier et l’économie mondiale. Dix ans après, l’ancien ministre du Trésor et du Budget luxembourgeois, Luc Frieden (CSV), revient pour Le Quotidien sur cette crise qui a bouleversé la finance mondiale.
En 2008, Luc Frieden exerçait la fonction de ministre du Trésor et du Budget. Cette crise économique qui a démarré en 2007, il l’a vécue comme «une période extrêmement intensive et historique parce que je me rendais bien compte que depuis la Seconde Guerre mondiale les gens ne se posaient pas la question de savoir si les banques dans lesquelles ils avaient déposé leur argent survivraient le lendemain matin». Il nous dit d’ailleurs qu’il avait senti que cette crise «qui frappait» soudainement le Grand-Duché allait concerner « tout le monde » et non pas deux entreprises, à savoir, à l’époque Fortis Banque Luxembourg (aujourd’hui BGL BNP Paribas) et Dexia Banque internationale à Luxembourg (aujourd’hui BIL).
Pour l’ancien ministre CSV, ce tsunami financier concernait tout le pays parce que les firmes en question, des établissements financiers universels, couvrent « environ deux tiers du marché luxembourgeois et donc cela exigeait une prise de décision et une détermination particulière pour agir ». En cette période exceptionnelle, il fallait prendre des décisions difficiles. Elles étaient même « extrêmement difficiles parce qu’il fallait d’abord faire quelque chose qui n’avait jamais été fait, donc on n’avait pas de modèle à suivre », pointe-t-il. La décision cruciale était de savoir si l’État luxembourgeois allait intervenir ou non. Et si oui, ce qu’il devait « faire en sachant aussi que cela était une intervention qui était extrêmement chère et risquée dans un petit pays comme le nôtre ». «Nous l’avons fait parce que j’étais convaincu», affirme Luc Frieden. Il rappelle qu’à cette occasion l’État avait acquis des actions et donné des garanties bancaires «pour les deux groupes endéans deux semaines». Une période très courte.
Un acte exceptionnel
«Nous l’avons fait, non pas comme le disent les gens, afin de sauver les banques», avise-t-il. « Nous avons sauvé les banques parce que nous avons voulu sauver les clients des banques.» Si une banque disparaît, cela a des conséquences sur les entreprises qui y ont déposé leur argent et qui, par conséquent, ne peuvent pas payer leurs salariés. « Les gens qui ont mis dans ces banques leur épargne ne peuvent plus survivre, donc, ce que nous avons fait, c’était de veiller à maintenir la stabilité économique et sociale du pays. » Cette décision de sauver deux banques importantes de la place financière luxembourgeoise était exceptionnelle. « Ça ne s’était jamais fait avant et j’espère que ça ne devra plus se faire après », souligne Luc Frieden. Avec le recul que l’on a aujourd’hui sur cet événement historique, « c’était un grand succès, mais la nuit où nous avons pris ces décisions, nous ne savions pas si nous allions gagner ce match ou non. »
Pour sauver Fortis Banque Luxembourg et Dexia BIL, l’ancien homme politique, aujourd’hui avocat chez Elvinger Hoss Prussen, s’est concerté avec ses homologues européens : le Belge Didier Reynders et le Néerlandais Wouter Bos pour le dossier Fortis et avec le premier nommé et sa consœur française Christine Lagarde pour Dexia. Cette concertation entre «collègues» a été « fort utile pour échanger, mais aussi nécessaire parce qu’il s’agissait en fait de traiter un groupe actif dans ces trois pays », explique Luc Frieden. L’actionnariat de ces banques venant à l’époque de trois pays différents, « une concertation faisait partie de la solution de sauvetage, même si pour la partie luxembourgeoise, nous avons dû trouver une solution luxembourgeoise », continue-t-il. Il nous confie que cette excellente concertation entre ces acteurs a créé « une forte complicité, une amitié qui reste aujourd’hui ».
«Tout se serait écroulé»
Tout observateur de la vie économique et financière internationale ne pouvait pas ignorer ce bouleversement. « La crise des subprimes aux États-Unis était connue. Mi-septembre, il y a eu un problème chez Lehman Brothers, chez l’assureur AIG et dans d’autres banques américaine s». Luc Frieden se souvient d’avoir dit à la Chambre des députés, avant même que la crise éclate à Fortis et Dexia, que cela « allait avoir des répercussions sur la place financière luxembourgeoise ». « On savait qu’on était confronté à une crise internationale en provenance des États-Unis. » Mais à l’époque, personne ne pouvait savoir « la force avec laquelle cela allait frapper deux établissements financiers systémiques luxembourgeois ». L’ancien homme de pouvoir l’affirme : « Oui, on sentait que quelque chose allait venir, mais la façon dont cela allait venir au Luxembourg, je ne l’ai su que le 26 septembre quand la crise Fortis a commencé. »
À l’époque, Jean-Claude Juncker, alors président de l’Eurogroupe, avait déclaré que l’économie réelle ne serait pas touchée par ce séisme économique et financier. Luc Frieden ne fait aucun commentaire, mais certifie qu’en sauvant les banques au Luxembourg et ailleurs, les acteurs politiques ont « en fait évité que la crise frappe de plein fouet l’économie réelle». Il ajoute : «Si on avait fait ce que les Américains ont fait avec Lehman Brothers, certaines banques se seraient écroulées » et les entreprises n’auraient pas pu payer leurs employés, ni investir d’ailleurs. « Tout se serait écroulé , note Luc Frieden. Nous avons, dans les années 2008, 2009 et 2010, fait un programme de conjoncture qui a permis de continuer à soutenir l’économie réelle.»
Aujourd’hui, il n’est pas rare d’entendre que le Luxembourg a été épargné par la crise.
Le Luxembourg n’a pas été épargné
Luc Frieden balaye d’un revers de la main cette affirmation. Le fait que l’État ait dû intervenir «de façon si impressionnante» dans les dossiers Fortis et Dexia «montre bien que le Luxembourg n’a pas été épargné». « Évidemment, la façon dont nous avons géré cette crise, vu d’aujourd’hui, était je crois un grand succès, ce qui permet à ces gens qui connaissent mal les dossiers de dire que le Luxembourg a été épargné», dit-il. Si le pays n’a pas connu un grand drame, c’est parce que les établissements financiers ont été aidés et parce que l’économie a été soutenue pendant plusieurs années. « Le Luxembourg a bien navigué à travers cette crise grâce à des décisions politiques de très grande ampleur. » […]
À lire en intégralité dans Le Quotidien papier de ce week-end.
Aude Forestier