Jusqu’où l’exposition de la nudité lors d’une performance artistique peut-elle aller sans enfreindre la loi? La question a de nouveau été posée mardi, au procès de l’artiste franco-luxembourgeoise Déborah de Robertis pour deux apparitions partiellement dénudée dans des musées.
Le 27 mars, l' »artiste performeuse » de 32 ans s’était invitée au dernier jour d’une exposition consacrée à Bettina Rheims à la Maison européenne de la photographie à Paris. Près d’un cliché de Monica Bellucci devant un plat de spaghettis, Déborah de Robertis, vêtue d’une longue veste de vinyle rouge ouverte, laissant apparaître ses seins, s’était renversé une bouteille de ketchup sur la poitrine.
Le 18 septembre, cette fois au dernier jour d’une exposition sur le thème de la poupée Barbie, perruque blonde sur la tête, l’artiste était arrivée dans une combinaison couleur chair, qui laissait à nouveau apparaître ses seins. En haut de ses cuisses, elle arborait une abondante toison pubienne factice. L’artiste prenait, selon une visiteuse qui a porté plainte, « une pose suggestive ».
Il y avait « peut-être des trucs philosophiques et féministes », mais que les enfants ne peuvent pas comprendre, en tout cas aux yeux des cette femme « des trucs qui sont quand-même choquants » pour un jeune public.
À la barre du tribunal correctionnel de Paris (lire son discours complet en fin d’article), Déborah de Robertis explique qu’elle voulait « montrer le corps d’une vraie femme », là où « Barbie n’a pas de tétons et pas de poils sur le sexe ». Elle rappelle l’omniprésence de la nudité dans l’art. La déclarer coupable serait à ses yeux « se tromper d’objet » et « mettre sur le même plan un geste mortifère », l’exhibition sexuelle, et un « geste de vie », sa performance.
« Parmi les plus chastes »
L’artiste, qui s’attache à réinterpréter une œuvre, ne demande pas d’autorisation aux musées. Elle assure qu »‘une partie du public en tout cas est enthousiaste ». Le contexte est différent par rapport à une « exhibition sexuelle classique », admet la magistrate du parquet, pour qui il s’agit néanmoins d’une « vision imposée » au public. La représentante du ministère public requiert une amende de 2.000 euros.
« Quid de l’intention? », réplique l’avocat de l’artiste, Tewfik Bouzenoune. Quand l’artiste montre sa poitrine, « ce n’est pas pour susciter du désir ». Préférant au terme d’exhibition celui de « monstration », il fait valoir que celle-ci ne suffit pas à caractériser l’infraction. Et souligne que la rétrospective Bettina Rheims était accompagnée d’un avertissement au public.
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Plaidant la relaxe, il estime que cela n’a « rien à faire » devant un tribunal. Le jugement sera rendu le 1er février. Comme l’avait noté la présidente, les deux performances au cœur du procès sont « parmi les plus chastes » de Déborah de Robertis.
En janvier au Musée d’Orsay, elle s’était allongée dénudée sous le tableau « L’Olympia », imitant ce chef d’œuvre d’Edouard Manet qui représente une jeune femme nue sur un divan avec, au second plan, une femme noire lui présentant un bouquet de fleurs. Peint en 1863, le tableau fit scandale à l’époque par sa représentation très prosaïque d’une prostituée.
Déjà à Orsay, en 2014, elle s’était mise en scène devant « L’Origine du monde » de Gustave Courbet, célébrissime tableau représentant un sexe de femme, dans la même posture.
À chaque fois, elle a fait l’objet d’un rappel à la loi. Déborah de Robertis n’est pas la seule artiste à avoir récemment fait l’objet de poursuites pour exhibition sexuelle.
En mai 2014, le Sud-Africain Steven Cohen, qui avait dansé le sexe enrubanné relié à un coq lors d’un spectacle sur le parvis du Trocadéro à Paris, a été déclaré coupable, mais dispensé de peine.
Le Quotidien / AFP
Promo- Teaser : « FEMIBARBIE « from Deborah De Robertis on Vimeo.
Le discours de Déborah de Robertis devant le tribunal
« Madame la présidente,
La nudité est une thématique usuelle de l’art, elle est omniprésente dans les musées: » Le sein nu de La liberté guidant le peuple de Delacroix au musée du Louvre ou le sexe de l’origine du monde de Gustave Courbet » au musée d’Orsay Pourtant je me trouve ici devant vous à la place où sont jugés les actes délictueux.
Dans les faits, il s’agit de mon jugement. Dans le fond, il s’agit du corps des femmes, de l’origine du monde. Oui, c’est bien du sexe féminin dont nous parlons ici. Ce creux où l’art et la loi s’entrechoquent aujourd’hui. Ce corps qui est l’origine de chaque homme et de chaque femme. Quand j’expose mon corps, il ne s’agit plus d’un corps privé mais d’un corps public qui restitue une scène . Ma nudité se regarde à travers le contexte de la création et de l’image. Je souhaite que mon geste soit jugé à la lumière de mon travail d’artiste, de mes films et mes performances, que j’y sois nue ou habillée.
Madame la présidente je ne dis pas que l’artiste est au-dessus des lois mais je soutiens que la création elle aussi s’inscrit dans le cadre de la loi et l’influence parfois dans son évolution.Inscrite dans un dispositif artistique, la nudité échappe à la qualification pénale: Pourquoi y aurait-il opposition entre vérité artistique et vérité judiciaire ? Ne serais pas ainsi qu’il faudrait appréhender la nudité que j’expose dans mon travail?
Me déclarer coupable serait se tromper d’objet. Me déclarer coupable, serait censurer une image, une représentation artistique du corps des femmes. Dans ce cas ne faudra-t-il pas également condamner les musées pour racolage et exhibitionnisme ?
Me déclarer coupable serait à mes yeux , mettre sur le même plan un geste mortifère avec un geste artistique, qui lui s’impose comme puissance de vie. Les mettre sur un même plan serait entretenir une confusion. Je ressens le geste créateur porteur de vie et nécessaire à l’élaboration d’une société juste et égalitaire. J’aimerais que la justice puisse faire cette distinction. Je crois profondément qu’aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin de l’Art pour nous éclairer.
Aujourd’hui, je souhaiterais que ce ne soit pas moi que vous jugiez, mais la nudité que je porte au cœur du débat. Le débat sur l’utilisation du corps des femmes dans l’espace public comme dans l’histoire de l’art; qu’elles soient nues ou habillées. Il ne s’agit pas seulement d’obtenir gain de cause devant le tribunal. Je crois qu’il Il ne s’agit pas de savoir si je suis nue ou habillée, à chaque performance il s’agit de faire le geste d’ouvrir un nouvel espace d’expression et de faire en sorte que ce geste de liberté soit accepté par la loi.
C’est pourquoi aujourd’hui, Madame la présidente, votre jugement est important, tant sur le plan juridique que politique et artistique.
Je n’ai rien à ajouter. »
Deborah de Robertis