Avec Kamarade, Jael Tavares aide à apprendre l’allemand, promeut la lecture et valorise les origines de chaque enfant.
Kamarade, fondé par Jael Tavares en 2024, cherche à réduire les inégalités scolaires et à lutter contre le manque d’accès à la lecture que peuvent rencontrer les enfants, notamment ceux issus de l’immigration.
Entre aide aux devoirs et vente de livres représentatifs de la diversité du Luxembourg, cette entreprise s’attache à transmettre le goût de lire pour que l’enfant puisse progresser avec confiance en allemand.
Concrètement, que proposez-vous comme services?
Jael Tavares : Kamarade, c’est avant tout du soutien scolaire et, si les conditions le permettent, de la vente de livres. L’objectif est de lutter contre le décrochage scolaire et de promouvoir la lecture.
Beaucoup d’enfants viennent de familles où les parents travaillent tôt et tard, ce qui laisse peu de temps pour les aider à faire leurs devoirs en langue allemande. Nous les accompagnons donc personnellement, également avec un club de lecture.
Chaque samedi, dans notre bureau à Esch-sur-Alzette, les enfants apportent un livre lu durant la semaine. Nous en lisons un autre ensemble, nous notons les mots difficiles, nous en faisons du vocabulaire et nous terminons le mois avec un petit quiz à récompenses.
Pouvez-vous raconter la genèse du projet?
Après plus de vingt ans dans le social, j’avais un besoin personnel de changement. J’ai touché à divers domaines – influence, télévision, radio —, puis en faisant les devoirs avec mes neveux, j’ai réalisé que le système scolaire n’avait pas progressé depuis mon passage.
Par exemple, l’apprentissage des verbes, pour un enfant non germanophone, c’est loin d’être automatique. Un enfant luxembourgeois entend de l’allemand partout et assimile vite. Les autres familles n’ont pas cette exposition. Arrivés en troisième année, beaucoup décrochent.
Vous essayez d’avoir un large spectre de langues au niveau des livres. Comment les sélectionnez-vous?
Je discute beaucoup avec les parents, les enfants et les auteurs. Je lis leurs ouvrages, je m’entretiens avec eux, puis je les commande. Je privilégie d’abord les auteurs présents au Luxembourg, car je peux les inviter à nos clubs de lecture.
Et si les enfants les croisent en dehors, ils peuvent intégrer qu’ils vivent de cette activité. Pour les langues de niche comme le wolof ou l’arabe, je me déplace à Paris ou Bruxelles, où il existe des librairies spécialisées.
Pourquoi est-il important de disposer de livres dans ces langues maternelles?
Au Luxembourg, la diversité explose. Avoir un livre dans sa langue maternelle, c’est important pour créer du lien avec les parents, comprendre ses origines et en être fier. Ça permet aussi d’entrer doucement dans la routine de la lecture avant d’attaquer l’allemand.
Les thèmes abordés dans ces livres sont larges et divers.
Oui, par exemple, j’aime beaucoup le livre Wenn meine Haare sprechen könnten (Si mes cheveux pouvaient parler), de Dayan Kodua, écrivaine allemande d’origine ghanéenne. Une petite fille n’aime pas qu’on touche ses cheveux et sa mère lui explique comment se défendre.
Ensuite, on peut aller plus loin en discutant avec les enfants de ce qu’il faut faire quand un étranger te touche, quand quelqu’un insiste… On aborde ainsi la question du consentement, de manière adaptée.
On essaie aussi de se différencier des thèmes populaires, comme les tracteurs, les pompiers, le foot pour les garçons.
Kamarade marque de sa présence certaines manifestations et vous êtes actuellement installée au Pop-Up Esch, rue de l’Alzette. Quel bilan en tirez-vous?
Le Pop-Up Esch souffre d’une météo peu clémente… Mais j’ai remarqué que j’ai attiré un public nouveau : les acheteurs venus depuis mardi ne connaissaient pas Kamarade. Lors d’événements, comme à un tournoi de foot à Beggen, certains Luxembourgeois découvrent avec surprise la diversité littéraire existante.
Montrer cette pluralité est ma façon à moi de protester dans la rue. Le racisme, c’est souvent la peur de l’inconnu. De toute manière, les revenus de ces ventes ne viennent pas directement dans ma poche, ils permettent de réduire les coûts du soutien scolaire, notamment pour les familles récemment arrivées.
Et quelle est la suite pour vous?
La principale difficulté reste l’absence d’un lieu fixe. Le soutien scolaire est devenu notre activité principale et les gens ne pensent pas à nous pour les livres.
Nous sommes actuellement deux, ce qui peut permettre d’organiser plus d’évènements de ce type. J’aimerais aussi davantage de clubs littéraires à travers le Luxembourg.
Kamarade est encore ouvert ce samedi au Pop-Up Esch, rue d’Alzette, de 11 h à 18 h.