Des cas plus complexes. Des processus plus rapides. La radicalisation continue de faire des vagues, y compris au Grand-Duché. Analyse avec Karin Weyer, chargée de direction pour respect.lu.
Voilà huit ans que le centre contre la radicalisation a été créé au Luxembourg, avec pour objectif de «contrer, par tous les moyens et mesures à sa disposition, les menaces que fait peser sur la société luxembourgeoise la radicalisation violente, et celle qui résulte de l’appel à la haine». Une mission particulièrement complexe, puisque étroitement liée à l’actualité.
La pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine ou encore les conflits au Proche-Orient ont en effet contribué à la montée des extrêmes ces dernières années. 2024 n’a pas échappé à la règle. La polarisation politique, les défis économiques et les diverses crises mondiales ont eu un impact sur les débats de société et les tendances de radicalisation.
«Nous avons des sortes de vagues, souvent liées à des situations d’actualité, appuie Karin Weyer, psychothérapeute et chargée de direction pour respect.lu. Elles arrivent après un certain délai, lié au fonctionnement du système juridique. Mais on les voit venir.» L’an dernier, 71 cas de radicalisation ont ainsi été traités par le centre au Luxembourg. Des dossiers jugés «plus complexes» qu’auparavant par l’association, avec notamment des «processus et dynamiques de radicalisation intensifiés».
Islamisme et extrême droite
En janvier dernier, un rapport d’Europol pointait du doigt l’émergence d’une «nouvelle génération de djihadistes au Luxembourg». Une tendance que ne peut pas confirmer le centre pour la radicalisation. «Nous ne faisons pas de tendance ou de projection. Nous ne recherchons pas proactivement nos clients, ce sont eux qui nous trouvent. Donc, je ne peux pas vous dire si cette affirmation est vraie ou non.»
En revanche, les données de respect.lu permettent de voir deux mouvements particulièrement actifs chez les plus jeunes : la radicalisation religieuse, majoritairement islamique, et les mouvements d’extrême droite.
Les réseaux, principale préoccupation
La faute aux réseaux sociaux? Depuis de nombreuses années, les discours haineux gagnent en effet du terrain sur internet. Le Luxembourg n’est pas épargné, avec plus de 448 signalements sur le site BeeSecure, rien que pour l’année 2024. Un chiffre en nette augmentation.
Pour palier cette hausse, respect.lu a donc lancé son programme «Dialoguer au lieu de haïr», qui vise directement les auteurs de discours haineux, envoyés par le parquet. S’ils participent, ils reçoivent un certificat et ne passent pas devant le tribunal. Compétences médiatiques, liberté d’expression, algorithmes, émojis, discriminations, changement de perspective… «L’objectif est d’analyser ensemble l’acte, d’initier une autoréflexion, de comprendre les causes possibles et de promouvoir un comportement plus respectueux», explique la psychothérapeute.
Si, pour elle, les réseaux sociaux peuvent avoir un impact sur les processus de radicalisation, c’est surtout le développement rapide de l’intelligence artificielle qui soulève de nouvelles questions sur la manipulation de l’information et la diffusion de contenus extrémistes. «Ce n’est pas l’intelligence artificielle en elle-même qui est problématique, mais son instrumentalisation par les acteurs extrémistes qui l’utilisent pour propager la désinformation», explique-t-elle.
Les réseaux sociaux augmentent le nombre de possibilités d’influencer les personnes
La multiplication des «deepfakes» (NDLR : ces enregistrements vidéo ou audio réalisés ou modifiés grâce à l’intelligence artificielle) n’est qu’un exemple parmi d’autres de moyen déployé pour enrôler de nouveaux adeptes. «Les réseaux sociaux augmentent tout simplement le nombre de possibilités d’influencer les personnes et donc l’opinion publique», appuie l’association.
Des nouveaux moyens qui touchent surtout les plus jeunes. Selon les derniers chiffres de respect.lu, les cas de radicalisation concernent désormais davantage les 12-17 ans au sein de la population luxembourgeoise. Une nouveauté par rapport aux années précédentes, qui inquiète, notamment au ministère de l’Éducation nationale. «Les risques liés à l’utilisation d’internet, et en particulier l’impact des médias sociaux sur les jeunes, constituent une préoccupation centrale et une priorité politique du ministère», a affirmé une porte-parole.
Le rôle important de l’école
Vous l’aurez compris : tout (ou presque) se passe sur internet et va beaucoup plus vite. Karin Weyer le confirme. Un cas de radicalisation qui pouvait en moyenne se faire en un an et demi ne prend plus que quelques mois, à présent. Difficile alors d’intervenir à temps pour l’entourage, comme pour l’équipe de respect.lu.
«Nous devons comprendre le processus pour adapter notre suivi. Comment est-il entré en contact avec les mouvements radicaux? Quelle position avait-il au sein du groupe? Nous essayons ensuite de créer une relation de confiance, une ouverture pour une distanciation, un changement d’idée», détaille la chargée de direction. Mais l’offre des acteurs extrémistes reste sensiblement similaire : un endroit où tout le monde est écouté, une appartenance à un groupe, une place de victime réservée à d’autres.
Que faire alors pour ralentir ce processus toujours plus rapide? Pour Karin Weyer, c’est sur les réseaux sociaux que cela doit se passer… et dans les écoles. «Je crois qu’il faudrait une réglementation. Je sais que c’est difficile, mais cela pourrait aider. Il existe des ados qui parlent à leurs parents et leur disent ce qu’ils font sur internet. C’est bien. Mais s’ils ne parlent pas, ce n’est pas bon», analyse-t-elle.

Le centre contre la radicalisation s’est ainsi déplacé dans diverses écoles du pays pour sensibiliser à la fois les élèves et les professeurs. Des échanges toujours «intéressants» pour Karin Weyer, mais encore trop peu nombreux, respect.lu n’intervenant que dans des classes où des discriminations ou situations liées à la radicalisation ont déjà eu lieu.
Alors que les dynamiques de radicalisation évoluent rapidement, notamment sous l’influence d’internet et des bouleversements géopolitiques, le rôle du centre contre la radicalisation reste central au Luxembourg. Les efforts menés, qu’ils soient préventifs ou éducatifs, montrent l’importance d’une approche à la fois réactive et proactive. Toutefois, les défis restent nombreux, en particulier face à la vitesse à laquelle les comportements peuvent évoluer en ligne.
Donner l’exemple
La haine en ligne et les cas de radicalisation ne restent pas l’apanage des plus jeunes. La haine en ligne est particulièrement présente chez les plus de 30 ans. «Nous avons l’hypothèse que c’est dû à des compétences médiatiques et numériques un peu plus limitées, peut-être avec des personnes qui n’ont pas eu la chance de grandir avec les réseaux sociaux», analyse Karin Weyer.
Les politiques commencent d’ailleurs à emprunter la pente glissante. En témoigne le récent scandale des publications Facebook du député de l’ADR Tom Weidig. Un épisode qui fait légèrement sourire à respect.lu, mais qui illustre très bien le pouvoir des réseaux sociaux. «Tout un chacun devrait réfléchir avant de poster quelque chose en ligne, d’autant plus lorsqu’on a un rôle plus exposé. Ce serait bien de peser ses mots et de donner l’exemple.»