Las du système patriarcal dans lequel ils ne se reconnaissent pas, une poignée d’hommes solidaires des luttes féministes se mobilisent à leur tour pour faire bouger les lignes et dénoncer ces codes d’un autre temps qu’on leur assène dès le plus jeune âge.
Ce mardi soir, ils étaient une quinzaine à se réunir, entre hommes, pour parler violences et patriarcat dans le cadre de l’Orange Week. Une première au Luxembourg. À l’initiative de cette rencontre «ouverte à toutes les masculinités» : quatre copains, qui ont l’habitude de débattre de ces sujets de société en privé, et prêts désormais à s’engager pour de bon aux côtés des militantes de la plateforme JIF.
«Les différentes masculinités, ce que ça représente d’être un homme : on en parle souvent parce qu’on est sensibles à ces thématiques et qu’on vit entourés de femmes féministes. On voulait agir et ne plus se contenter d’être spectateurs», explique Charles Vincent, l’un des quatre organisateurs.
Difficulté à s’exprimer
Pour ce barman et artiste visuel de 27 ans, il est aujourd’hui crucial que les hommes prennent activement part aux luttes féministes : «La violence, elle vient de nous. En parler sans le point de vue des hommes crée forcément un manque à un moment donné, dans le débat, mais aussi dans les actions à mener», tranche-t-il, déterminé à s’attaquer à la racine du problème, le patriarcat.
«Le système patriarcal nous modèle dès le plus jeune âge : on nous inculque les codes de conduite dont il ne faut pas s’écarter si on veut être considéré comme un garçon et pas une fille, comme hétérosexuel et pas homosexuel. La violence en fait partie et on l’accepte volontiers pour accéder à un tas de privilèges en tant qu’homme dans la société», déplore-t-il, en soulignant au passage à quel point il peut être difficile de s’exprimer quand on est un homme qui ne se reconnaît pas là-dedans.
Un prix à payer
«Refuser de jouer le jeu de ce système de domination, c’est le fragiliser, et c’est très mal perçu par les autres hommes. D’où le tabou autour des violences : impossible d’aborder la question au sein d’un groupe masculin sans y perdre son statut.»
C’est pourtant le cas de nombreux hommes, ce qui entraîne des souffrances. Lui-même n’a pas toujours été à l’aise avec la masculinité hégémonique qu’on lui a assénée : «Je ne m’y retrouvais pas du tout. C’est en lisant sur le sujet que je me suis libéré», confie-t-il. «J’ai compris que je fais partie du club des hommes blancs et hétérosexuels que je le veuille ou non. Mais suis-je prêt à accepter d’en payer le prix?»
Un tribut particulièrement lourd selon lui : «Le patriarcat est une prison dorée. Certes, en tant qu’homme, on accède à des privilèges, à une sécurité, au plus haut statut dans la hiérarchie de nos sociétés, avec cette idée qu’on est intouchable – c’est bien pourquoi rien ne change. Mais arriver là-haut, ça veut aussi dire flinguer son empathie, sacrifier toutes ses relations amoureuses ou encore faire une croix sur son monde intérieur, sa vie émotionnelle. Le voilà le prix à payer.»
Tous concernés par les violences
Parmi les jeunes de la génération Z, qui ont une vingtaine d’années aujourd’hui, Charles Vincent dit observer moins de tensions en rapport avec ce carcan : «Ils sont très au fait de tout ce qui touche au genre, à la sexualité ou aux injustices. Ils s’habillent comme ça leur chante, se comportent comme ils l’entendent. On voit des mecs se faire des câlins et c’est normal», sourit-il.
En plus des différentes masculinités, mardi soir, le thème des violences faites aux femmes a occupé une bonne partie des débats. De la blague sexiste aux insultes, des coups au féminicide, des inégalités de salaire au harcèlement de rue, le groupe a passé au crible toutes les formes que prend la violence. «On se situe tous quelque part là-dedans», affirme Charles Vincent, qui balaie d’un revers de la main le réflexe défensif qu’ont souvent les hommes face à ces questions.
«L’argument « pas tous les hommes » ou « pas moi » ne fonctionne plus aujourd’hui : on est tous confrontés à des violences, tous les jours. Quand elles ne viennent pas de nous, on en est témoins», martèle le militant, qui reconnaît que dénoncer ou intervenir est encore un pas qui reste à franchir, surtout en ce qui concerne le sexisme ordinaire, sans doute parce qu’il n’est pas perçu comme un danger. «Même les hommes sensibilisés restent encore trop passifs», estime-t-il.
Le thème pourrait bien faire l’objet d’une future rencontre, mixte cette fois, car le groupe a déjà des projets bien concrets : «On a tous dépassé depuis longtemps le stade de la honte ou de la culpabilité. On veut agir.» Et contrairement à ce que laisse entendre le nom de leur groupe de travail, la démarche de ces «Hommes solidaires» va plus loin : «Ce n’est pas qu’une question de solidarité avec les féministes. Ça nous apporte aussi quelque chose de militer.»
Christelle Brucker
«Pour ma génération, c’était différent»
Seul homme engagé au sein de la JIF depuis trois ans à travers le parti déi gréng, Paul Zens est très enthousiaste face à ce mouvement qui prend forme, côté hommes. À 56 ans, il fait partie des plus âgés du groupe et mesure combien certaines choses ont déjà changé : «Pour les jeunes, il est normal de ne pas différencier hommes et femmes à travers des stéréotypes. Ils grandissent autrement, dans un contexte plus favorable sur ces questions. Pour ma génération, c’était différent», confie-t-il.
«Je me suis reconnu dans certaines microagressions présentées mardi soir, comme le mansplaining (NDLR : lorsqu’un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte) – ou encore les blagues sexistes. Moi, j’ai dû apprendre au fil du temps que cela ne se fait pas, tandis que les jeunes n’ont pas besoin de cette déconstruction», note cet expert en sciences humaines, qui voit par ailleurs d’un bon œil l’élan de nombreux hommes expatriés ou étrangers, sensibilisés et informés sur ces questions. «Ils aident la société luxembourgeoise à évoluer», se réjouit-il.
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