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Des Francofolies «naturellement» féminines


Le programmateur des Francofolies se reconnaît une «appétence pour les voix féminines». D'ailleurs, Angèle sera de la partie au Gaalgebierg au mois de juin. (Photo : Manuel Obadia-Wills)

Recherche de parité dans la programmation et prévention contre le harcèlement : les «Francos» d’Esch-sur-Alzette répondent, sans forcer le geste, aux exigences de l’époque et donnent la voix aux femmes, sur scène et en dehors.

Il y a quelques jours, les Eurockéennes de Belfort, l’un des festivals majeurs de musique en France, avouaient par la voix de leur directeur, Jean-Paul Roland, mettre cette année un «accent fort» sur l’équilibre entre hommes et femmes dans la programmation. Et ce, en raison, notamment, d’un chiffre «édifiant» : en 2019, seulement 17 % des entités artistiques programmées (hors festivals) dans l’Hexagone étaient menées par des femmes.

Aujourd’hui, face à une industrie qui se met doucement à bouger mais qui reste encore dans sa composition (salles, labels…) largement masculine, les grands rendez-vous estivaux se mettent au diapason et épousent les élans initiés par le mouvement MeToo.

Les Francofolies «made in Esch-sur-Alzette», depuis leurs débuts pénétrées de leurs «engagements sociaux», rappelle Loïc Clairet, leur directeur artistique, suivent elles aussi le courant, comme le démontre l’affiche de 2023 avec au casting Angèle, Izia, Jeanne Added, Émilie Simon, Suzane, Angel Cara ou C’est Karma…

Mieux : avec quatre nouvelles invitées bientôt annoncées, précise le programmateur Pierre Pauly, le festival «va se rapprocher des 40 %» d’artistes femmes, qui seront sur scène du 8 au 11 juin prochains. Sur place, le symbole fait plaisir mais n’est pas porté en bannière.

Tous préfèrent parler d’une évolution naturelle. «On est de notre temps, sensibles à ce qui passe autour de nous», commente ainsi Loïc Clairet.

L’égalité, l’ADN même des «Francos»

Il en veut pour preuve son équipe de travail, «mixte», composée de «sept femmes et cinq hommes», aux responsabilités partagées. L’égalité, «ça fait partie de l’ADN du projet. Ce n’est pas un geste forcé». Et si aujourd’hui, l’équilibre se dit, se défend et se compte, il convient tout de même de manier le concept avec finesse, afin de ne pas avoir l’effet inverse et «stigmatiser» toute une population.

Non, l’important, selon lui, c’est d’abord de faire «comprendre que l’égalité existe» et ensuite de «la faire respecter». Pierre Pauly ne dit pas le contraire : «Face à cette évolution, ma première réaction a été : « Enfin, on y met des mots! » Car avant qu’on le verbalise, il n’y avait pas de véritable conscience de la situation».

Les Francofolies se saisissent donc «du mouvement» sans en faire trop. Pour plusieurs raisons. Déjà, selon ses aveux, Pierre Pauly se reconnaît une «appétence pour les voix féminines», ce qui peut s’observer dans ses choix présents pour d’autres périphériques du festival – La Rochelle (France), Nouméa (Nouvelle-Calédonie), Blagoevgrad (Roumanie) – ou anciens pour des manifestions dont il avait la charge (Le Jardin du Michel).

Des «affinités artistiques» plus assorties, également, à ce que sont les «Francos» : un rendez-vous «consensuel» qui brasse «différents styles de musique», tous «francophones». «Pour ce qui est du pop-rock, les propositions restent assez équilibrées», témoigne-t-il.

Loïc Clairet confirme, en fan : «Oui, il y a beaucoup d’albums de qualité», faits par des femmes, «plus visibles du grand public». Une bonne raison, alors, de les «mettre en lumière». Pierre Pauly a la formule appropriée : «L’actualité musicale nous amène à une diversité, et ce festival en est une simple vitrine!».

Seul hic de cette histoire de quotas, terme qu’il «déteste» : le renouvellement des têtes d’affiche, d’un été à l’autre : «Si une année, on a par exemple Clara Luciani, Angèle et Juliette Armanet, l’édition suivante, on peut manquer parfois d’idées et d’opportunités».

Comprendre que les artistes francophones connues, capables de remplir une grande salle par leur seul nom, ne courent pas les rues. Il faut donc creuser et souvent privilégier les artistes «émergentes».

Dans le rap, les femmes loin des radars

C’est le cas, souvent, pour la musique dite «urbaine», à savoir le rap et ses dérivés, où les femmes, bien qu’aussi «talentueuses» que leurs homologues masculins, peinent à être sur les «radars», estime Pierre Pauly, en dehors de rares exceptions comme Diam’s ou Keny Arkana.

Une question de «densité» : «À la différence des hommes qui émergent d’un coup, arrivent à remplir des Zénith et disparaissent parfois aussi vite, les femmes, elles, peinent à passer un cap». Des situations qui peuvent se retrouver, selon lui, dans le milieu du metal ou de l’electro. «Dans certaines cultures musicales, il y a encore du chemin à faire», souffle-t-il.

Le travail de Pierre Pauly, pour qui ces questions de parité «sont l’extension de nos propres préoccupations», ne s’arrête pas à un simple ajustement. Son processus de sélection répond lui aussi à une certaine rigueur, selon l’équation «à artistes de qualité égale, on préférera toujours celui qui est le plus proche de nos valeurs».

Il précise : «Quand je programme une ou un artiste, je demande toujours quelle est la part d’hommes et de femmes dans son équipe. Sans juger, juste comme ça, mais ça peut conduire à des réflexions.» Il ajoute qu’il existe, sur les contrats, «un article dédié au comportement de l’artiste et de son environnement», qui, en cas justement de problème, permet de s’en détacher.

La bible des Psychotic Monks

Un sens de la transparence qui, apparemment, marche dans les deux sens : «De plus en plus d’artistes sont très regardants et exigent de savoir où ils vont jouer, avec qui, comment va être accueilli le public…»

Ainsi, la semaine dernière, à la veille de démarrer sa tournée, The Psychotic Monks (qui lancera les «Francos» 2023 d’Esch à la Kulturfabrik) a géré la problématique tout seul, publiant sur les réseaux sociaux dix principes à respecter (sur le sexisme, le racisme, l’homophobie, l’alcool, le consentement…) afin de faire de ses concerts un espace sain et sûr, pour toutes et pour tous.

Une prévention qui va s’appliquer aussi au Gaalgebierg, avec des mesures contre le harcèlement et les violences sexistes (et sexuelles). «On se forme en interne» auprès d’associations locales, «afin d’avoir les bons protocoles et les bons réflexes», confie Loïc Clairet.

Certaines seront même sur le site, comme Pipapo, qui prévoit plusieurs types d’intervention : près des scènes grâce à une «brigade de maraude» et plus loin par le biais d’un espace consacré à la médiation et au soutien psychologique. Avec, au besoin, agents de sécurité et police en renfort.

Comme tout n’est pas encore «réglé» dans les détails, le festival eschois continue de regarder «ce qui se passe ailleurs», ne serait-ce que pour savoir ce qu’il ne faut pas faire… «Certains font des zones réservées aux femmes, mais selon moi, cet abri privé les marginalise. J’en ai vu un autre au Danemark où, quand quelqu’un fait un acte répréhensible, on lui change son bracelet de couleur… C’est un peu comme si on lui écrivait dessus « agresseur sexuel ».»

Ce n’est pas à Esch qu’on risque de voir ça : le «naturel» en prendrait un coup.