Un changement majeur dans la justice : un homme accusé de tentative de viol était jugé jeudi à Caen, non pas aux assises, mais par la toute première cour criminelle, un nouvelle juridiction permettant de juger des crimes sans jury populaire.
Cette audience a quelque chose d’historique : la présence de citoyens pour juger des crimes est un héritage de la Révolution française. Pas de tirage au sort de jurés donc pour démarrer ce procès. La présidente Jeanne Cheenne explique : « Pour la première fois en France s’ouvrent des débats judiciaires devant une cour criminelle. (…) Cette juridiction est composée exclusivement de magistrats professionnels. Elle jugera les crimes punis de 20 ans de réclusion au maximum, la cour d’assises composée de jurés étant elle en charge des crimes punis plus sévèrement ». Chose rare, les débats sont enregistrés « compte tenu de la nature expérimentale » de l’audience.
La cour d’appel de Caen a été candidate pour participer à l’expérimentation, qui aura lieu pendant trois ans dans sept départements : outre le Calvados, les Ardennes, le Cher, la Moselle, la Réunion, la Seine-Maritime et les Yvelines. Ces cours criminelles jugeront principalement les viols et les vols à main armée, soit environ 57% des affaires jugées aux assises.
Dans ses premiers mots à l’accusé, la présidente lui rappelle qu’il a le droit au silence, souligne qu’il comparaît libre « devant la cour d’assises ». Puis se reprend en souriant : « C’est un lapsus et je m’en excuse. Mais ça ne sera probablement pas le dernière fois ! ». Il y a moins de cinq personnes dans le public, mais une vingtaine de journalistes venus assister à cette première. Car les cours criminelles divisent le monde de la justice : pour le ministère de la Justice et de nombreux magistrats, c’est un moyen d’avoir une justice plus rapide et plus efficace, alors que les cours d’assises sont engorgées et de nombreuses affaires de viols jugées en correctionnelle. Pour les avocats pénalistes, elles représentent en revanche une justice au rabais et une régression démocratique.
Un entre-deux
L’affaire jugée par la cour criminelle concerne des faits de 2007. Une jeune femme avait alors déposé plainte pour tentative de viol. L’affaire avait été classée sans suite, mais en 2012, un rapprochement d’ADN a permis d’interpeller un suspect, qui est aujourd’hui un homme de 36 ans à la carrure massive. Pas de partie civile dans ce procès : la jeune femme est décédée accidentellement.
L’audience prend des allures de dialogue entre l’accusé et la présidente. La question centrale : le procès ressemble-t-il à une audience d’assises ou de tribunal correctionnel (ces tribunaux jugent des délits punis jusqu’à dix ans d’emprisonnement) ? Il se situe entre les deux. Le vocabulaire (accusé, verdict etc) est celui de la cour d’assises. Mais il manque la solennité de celle-ci. La présidente prend le temps d’interroger l’accusé, de le mettre face à ses contradictions, de revenir sur certains propos, mais aucun expert n’a fait le déplacement.
Aux assises, la procédure est orale : les jurés découvrent l’affaire dans toute sa complexité tout au long du procès. Là, les magistrats ont accès à tout le dossier, ce qui permet de raccourcir le temps d’audience. L’accusé a accepté de comparaître devant la cour criminelle. « Il pensait que le professionnalisme des juges était une très bonne chose pour lui », a expliqué à des journalistes son avocate Sophie Lechevrel. « Ça va durer une journée et ça l’arrange », a-t-elle ajouté avant l’ouverture du procès.
Cette nouvelle juridiction pourrait-elle être défavorable aux accusés ? « Il faut être vigilant mais les avocats sont là pour ça », assure Me Lechevrel. « Il faut veiller à ce que je puisse m’exprimer autant que possible, que mon client puisse s’exprimer comme il le souhaite ». Après environ trois heures de débats, la parole sera donnée à l’avocat général et à l’avocate de l’accusé. Puis la cour se retirera pour délibérer.
LQ/AFP