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Dépistage à grande échelle : des failles dans la gestion Covid


Le dépistage s’est fait sur base volontaire et en mode «drive-in», dans des stations éparpillées à travers le pays.

La Cour des comptes émet une série de critiques concernant la gestion administrative et financière du «Large Scale Testing», la mesure phare pour endiguer la propagation du covid au Luxembourg.

L’apport sanitaire du dépistage à grande échelle (ou «Large Scale Testing», abrégé LST) de la population (résidents et frontaliers), mené du 27 avril 2020 au 15 septembre 2021, n’est pas vraiment remis en question.

Selon un bilan scientifique ayant porté sur la première phase, la campagne aurait permis d’éviter des milliers d’infections au coronavirus.

L’analyse réalisée par la task force Covid-19 est venue à la conclusion que sans le LST, le nombre de contaminations survenues entre mai et septembre 2020 aurait été 43 % plus élevé. En chiffres absolus, cela représentait quelque 1 800 infections.

De plus, 46 % d’hospitalisations supplémentaires en soins intensifs auraient pu être évitées. «Le LST a permis de briser la dynamique pandémique», concluait à mi-mars 2021 le Pr Dr Paul Wilmes, le porte-parole de la task force.

Coût total : 133,69 millions d’euros

Le bilan au niveau de la gestion administrative, logistique et financière est cependant moins positif. C’est ce qui ressort du rapport spécial de la Cour des comptes sur le «Large Scale Testing», sollicité fin juin 2021 par la Chambre et remis, hier, aux députés de la commission de l’Exécution budgétaire.

Le coût total de l’opération se chiffre finalement à 133,69 millions d’euros, soit moins que les quelque 165 millions d’euros initialement budgétisés par le gouvernement. Un surdimensionnement du projet est en cause : «La Cour constate que pour les trois phases du LST, les infrastructures mises en place étaient sensiblement surdimensionnées. L’infrastructure a toujours reposé sur une capacité de test théorique surestimée et n’a pas été redimensionnée en fonction du nombre de tests réellement effectués lors des phases précédentes».

Lors de la première phase, le réseau de 17 stations de test avait une capacité d’accueil comprise entre 1,2 et 1,8 million de personnes, avec à la clé 600 000 tests effectués. Lors de la seconde phase, l’ensemble des centres était dimensionné pour pouvoir accueillir au total 1,43 million de personnes et 1,12 million de prélèvements ont été effectués (78 % de la capacité théorique).

Pour la troisième phase, l’ensemble des centres de test était dimensionné pour pouvoir accueillir au total 1,33 million d’usagers, toutefois uniquement 0,74 million de prélèvements ont été effectués (56 % de la capacité théorique).

Le rapport tient aussi à préciser qu’à peine 41,64 % des personnes invitées à se faire tester au cours de la première phase ont répondu favorablement à l’invitation. Pour les phases 2 et 3, le taux de participation se chiffrait respectivement à 29,3 % et 31,28 %.

En soi, les objectifs du dépistage à grande échelle «consistaient à identifier davantage de cas de Covid-19 positifs, notamment les sujets asymptomatiques, afin de les isoler avant qu’ils ne puissent infecter d’autres personnes, d’interrompre les chaînes de transmission et ainsi empêcher la mise en place d’un nouveau confinement». La surveillance de l’évolution des infections dans la population a constitué le fil rouge des trois phases du LST.

Malgré l’urgence qui persistait pour trouver des réponses à la propagation du virus, du moins dans les premiers mois de la pandémie – la première infection détectée au Luxembourg date du 29 février 2020 – la Cour des comptes aurait souhaité voir le gouvernement agir de manière plus structurée et cohérente.

Pour lancer la première phase, la décision aurait été prise de procéder à un «saucissonnage des dépenses» afin d’éviter l’obligation de soumettre une loi de financement à la Chambre. Le seuil est fixé à 40 millions d’euros.

Finalement, l’exécutif a défini une enveloppe de 39,5 millions d’euros avec, en plus, le don de 486 000 tests PCR au prestataire du LST, les Laboratoires réunis (LRL). Ces tests auraient eu une valeur de 3,66 millions d’euros, faisant augmenter le budget théorique à 43,16 millions d’euros.

Les phases 2 et 3 ont bien fait l’objet d’une loi de financement, avec des enveloppes maximales chiffrées à 60,7 millions d’euros et 64,24 millions d’euros. Si ces montants n’ont pas été dépassés, la Cour déplore que les décomptes finaux ne tiennent pas compte de «toutes les dépenses et recettes» en relation avec les différentes phases du LST, dont le coût d’acquisition des tests PCR.

Le choix du prestataire pose question

La Cour des comptes voit aussi d’un œil critique le choix des Laboratoires réunis, considéré comme seul prestataire capable de mettre en place le dispositif de dépistage à grande échelle.

«Un rapport individuel justificatif et expliquant qu’une seule entreprise est en mesure de respecter les contraintes techniques et de temps imposées par l’urgence impérieuse (…) n’a pas pu être présenté», déplore un communiqué.

Des irrégularités ont aussi été constatées lors des appels d’offres pour les phases 2 et 3 du LST. La ministre de la Santé, Paulette Lenert, aurait ainsi, en raison d’une erreur administrative, dû annuler le marché public pour négocier directement avec le prestataire retenu pour la première phase.

La Cour tient à souligner que «la différence fondamentale entre le cahier des charges et le protocole de négociation consiste dans le système de rémunération des LRL». L’absence de procédure européenne pour obtenir des offres pour la dernière phase est aussi critiquée.

Mécontent des conditions d’attribution du marché public du dépistage à grande échelle, le laboratoire Bionext Lab avait attaqué, dès septembre 2021, en justice l’État et la société Laboratoires réunis.

Les trois phases du LST déchiffrées

LST 1
(27 avril 2020 – 15 septembre 2020)

Coût : 31,28 millions d’euros
Invitations envoyées : 1,5 million
Rendez-vous pris : 619 190
Dépistages effectués : 589 892
Tests positifs : 902

LST 2
(16 septembre 2020 – 24 mars 2021)

Coût : 55,15 millions d’euros
Invitations envoyées : 3 448 865
Rendez-vous pris : 1 076 644
Dépistages «drive-in» : 1 010 519
Dépistages totaux (*) : 1 115 440
Tests positifs : 10 924

LST 3
(25 mars 2021 – 15 septembre 2021)

Coût : 47,26 millions d’euros
Invitations envoyées : 2 362 598
Rendez-vous pris : 791 771
Dépistages «drive-in» :  739 052
Dépistages totaux (*) : 841 278
Tests positifs : 3 265

(*) Équipes mobiles incluses