Accueil | A la Une | Débrouille et « survie » : dans la vallée de la Fensch, la présidentielle ne parle pas

Débrouille et « survie » : dans la vallée de la Fensch, la présidentielle ne parle pas


À Hayange, la défiance envers les politiques atteint des sommets. (photo AFP)

Dans la vallée de la Fensch, d’Algrange à Florange, on n’y croit plus. Trop loin, trop déconnectés, les candidats à la présidentielle ne donnent plus envie et la politique semble incapable de régler les problèmes.

Au fond d’une cour que se partagent le Secours populaire, un abri d’urgence et une association d’aide aux chômeurs de longue durée, une poignée de jeunes attend le début d’une formation à la mission locale de Thionville. Ils ont entre 17 et 26 ans, des diplômes pour la plupart, mais ne trouvent pas d’emploi.

Aucun ne sait s’il va aller voter. « Je n’ai pas envie de participer, parce qu’après, s’ils sont élus, ils vont être les premiers à se vanter : regardez, grâce à moi, il y a moins de chômage, alors que c’est juste qu’ils envoient des gens faire des petits stages, des petites formations de quelques semaines », explique Elodie, 20 ans. « Après, ils se retrouvent sans travail, ils n’ont rien de fixe, et leurs problèmes ne sont pas arrangés. »

Dans la vallée, le chômage tourne autour de 20% et des milliers de gens s’en sortent grâce au Luxembourg voisin, qui, lui, embauche. La jeune femme, qui a obtenu son bac ES en candidate libre, croise les doigts pour intégrer une formation d’éducatrice: « C’est dommage, mais j’ai pas trop d’espoir que ça change. »

« J’ai l’impression que y a beaucoup d’énergie pour protéger les personnes qui ont beaucoup d’argent… Mais les classes moyennes, les classes populaires… on est ensemble, il y a de l’entraide. On se débrouille, on se démerde… »

Voter? « Ça sert à rien »

« On survit », coupe Alex, 21 ans, qui n’a rien trouvé avec son Bac pro menuiserie, et tente de se reconvertir en agent de sécurité. Une survie de plus en plus difficile, à en croire les responsables du centre communal d’action sociale (CCAS) à Algrange, à quelques kilomètres. Sur les 6.000 habitants de la commune, plus de 16% vivaient sous le seuil de pauvreté en 2013.

Jacqueline Lelan, élue municipale depuis 2008, reçoit « beaucoup plus de monde » au fil des ans. « Beaucoup plus de retraités, qui ne s’en sortent plus, mais aussi plus de jeunes, des moins de 25 ans qui ne perçoivent rien, des plus de 25 ans tout juste au RSA… » La ville compte 17 emplois aidés. Des contrats de deux, trois ans. Mais après? « On ne sait pas. Il y aura peut-être une embauche. »

Pour la première fois cette année, le service a dû fermer le 15 décembre: il n’y avait plus d’argent à distribuer. « Ce qu’on entend, c’est : on ne va pas voter, ça sert à rien. Et qu’est-ce que vous voulez que je leur réponde? Que ça va changer leur situation? », reconnaît l’élue.

En longeant la vallée de la Fensch, devenue synonyme de plans de licenciements et de promesses trahies, on arrive à Florange. Ses hauts fourneaux étaient au coeur de la campagne de 2012 et du début du quinquennat. Ils sont aujourd’hui à l’arrêt, et s’il n’y a eu aucun licenciement, Frédéric Weber l’assure, 1.000 emplois en CDI ont disparu en 5 ans. Les politiques? « On en a largement soupé en 2011-2012, donc ça suffit », explique le responsable Force ouvrière d’Arcelor Mittal – le syndicat a d’ailleurs décidé de n’accueillir aucun candidat. « On ne va pas remettre une pièce dans le juke-box. »

Autour de lui, dit-il, on a perdu confiance. « Au total, ça fait deux déceptions successives », le quinquennat de Nicolas Sarkozy puis celui de François Hollande. « On a beaucoup d’angoisse pour nos emplois, on se demande quel chef de l’Etat demain va réussir à défendre l’industrie en France. »

Selon un récent sondage Elabe, un peu plus d’un ouvrier sur deux est certain d’aller voter en avril. « Je crois qu’on s’en fout un peu de la politique, parce que ça ne nous concerne pas », résume Elodie. « On a l’impression que c’est les gens qui ont de l’argent qui vont être protégés, représentés. Et nous, voilà. On n’a rien à dire. » A force de se sentir « oubliés », Frédéric Weber prévient: « C’est surtout les politiques qu’on va oublier. »

Le Quotidien / AFP