L’histoire du naufrage et de la mutinerie du Wager, un navire britannique, est si incroyable que l’écrivain et journaliste américain David Grann a dû se battre pour la rendre «plausible».
Paru en août aux Éditions du Sous-Sol, quatre mois après sa version américaine, Les Naufragés du Wager est l’un des succès inattendus de la rentrée littéraire. Le livre va à l’encontre de certaines modes en littérature. Il ne romance pas les événements. Et David Grann, son auteur, admiré et adapté par de grands noms du cinéma américain, ne s’y met pas en scène pour raconter son enquête, si passionnante soit-elle.
Le journaliste du magazine The New Yorker dit résister sans mal à cette tentation. Pas une ligne sur son voyage début 2019 sur l’île Wager, au Chili, lieu constamment battu par les vents du Pacifique Sud, où il a vu des vestiges du navire. «Je n’écris pas sur mon propre voyage parce que je sentais que ç’aurait été une intrusion», a-t-il déclaré lors d’un passage à Paris pour y présenter son livre. «Pour autant, ce voyage a été essentiel dans toutes mes descriptions et pour y insuffler de la vie.»
En 1741, les naufragés ont passé, sur ce bout du monde décharné, seulement peuplé d’oiseaux, dans la famine et le froid, cinq mois d’hiver austral. Après avoir épluché les journaux de bord de plusieurs membres de l’équipage, David Grann, bien nourri, en été, se rend compte sur place combien le froid humide subantarctique y pénètre la peau, et combien il est dur de parcourir une île où alternent marécages, rochers et pentes raides. Que des marins en soient revenus vivants est à peine compréhensible.
«Leur corps comme voile»
«S’ils trouvent la bonne histoire, les gens aiment prendre des libertés. Je me dis, non!… Pourquoi prendrais-je des libertés? C’est monstrueux, il y a tellement de choses qui se passent», estime le journaliste. «Le plus dur, c’est de faire en sorte que le factuel ait l’air plausible.» Longtemps avant le naufrage, la mission du Wager tourne au fiasco, dans un bâtiment gagné dès l’Atlantique par le typhus puis le scorbut. Là arrivent les cinquantièmes hurlants…
«Il y a beaucoup d’ennui quand on fait des recherches. Mais le plaisir vient quand on tombe sur des choses qui nous laissent bouche bée», commente David Grann. Lors du passage du Cap Horn, aucune voile du Wager ne résiste à la furie des éléments. Pour retrouver un semblant de contrôle, que faire? «Le capitaine ordonne de grimper au mât dans cette tempête. Ils s’accrochent aux cordages du mât et ils utilisent leur corps comme voile», raconte David Grann. «On ne pourrait pas l’inventer, n’est-ce pas?»
Scorsese et DiCaprio adaptent David Grann
John Byron fut l’un des survivants de la catastrophe. S’il n’en était pas revenu, la poésie anglaise aurait été privée de Lord Byron, son petit-fils. C’est son récit qu’a d’abord lu David Grann, près de trois siècles plus tard, avant d’aller à Londres consulter de vieux documents de bord, miraculeusement parvenus à nous, mais qui partent en poussière. L’histoire promet de devenir un film extrêmement cher à réaliser. Les droits cinématographiques ont été achetés dès l’été 2022 par Apple Original Films, au profit de Leonardo DiCaprio et Martin Scorsese.
Le maître du cinéma américain et sa muse ont déjà adapté, du même David Grann, Killers of the Flower Moon, livre paru en 2017, et que les éditions françaises Globe font reparaître le 5 octobre sous le titre La Note américaine. Présentée au festival de Cannes, la fresque de 3 h 26, avec Robert De Niro et Leonardo DiCaprio, est attendue en salles à la mi-octobre, avant d’être distribué en streaming sur Apple TV+. Elle raconte les meurtres, il y a un siècle, des Osages, tribu de l’Oklahoma rendue richissime par le pétrole sur ses terres.
David Grann a adoré le film. «Les Osages ont été profondément impliqués dans la production. C’est ce qui rend le film si puissant. Il est tourné sur place, dans les lieux mêmes où cela s’est passé.»
Les Naufragés du Wager, de David Grann. Éditions du Sous-Sol.