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DAP tatoueur : «Le plus dur, c’est de trouver un patron»


Tatoueur depuis douze ans, Yann Neumann a vécu, à ses débuts, quelques déboires pour gagner la confiance des studios.  (Photo : alain rischard)

Le nouveau DAP tatoueur fait sa rentrée au lycée technique du Centre. Retour sur les détails de cette formation unique dans la Grande Région.

Grande première pour cette rentrée au lycée technique du Centre à Luxembourg. L’établissement accueille les débuts du DAP tatoueur. Annoncée en mai dernier, cette formation qui se déroule en classe et dans les studios de tatouage vise à normer et mieux protéger le métier et ceux qui l’exercent. Yann Neumann, tatoueur et secrétaire de l’équipe curriculaire, revient sur les motivations et les objectifs de cette formation.

Qu’est-ce qui a motivé la création de ce DAP ?

Yann Neumann : La fédération, dont je suis membre, voulait changer la loi d’accès au métier. Par exemple, lorsque j’ai ouvert mon studio, il fallait avoir une maîtrise en coiffure ou en esthétique pour pouvoir le faire. Cela n’avait pas beaucoup de sens. La fédération a décidé que les tatoueurs devaient créer une voie qui leur est propre pour entrer dans ce métier. Nous avons établi qu’il fallait au moins trois ans d’expérience dans un studio pour démontrer que l’on possède toutes les connaissances nécessaires. Là-dessus, le ministère nous a informés qu’en l’absence de diplôme ou de formation, il était impossible de vraiment protéger notre métier. Il nous a alors proposé de créer et d’organiser une formation pour devenir tatoueur. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de lancer le DAP.

Quels sont les objectifs de cette formation ?

Le premier objectif de la formation est de donner une base plus approfondie à tous ces nouveaux artistes. Cette base se concentre sur l’art, l’hygiène et le relationnel. Pour la base artistique, nous verrons un peu tous les styles pour ensuite laisser les gens développer leurs propres idées, leur propre style. Cette palette leur permettra, par la suite, de s’adapter. Nous ne souhaitons pas que les élèves se spécialisent dans un style pour, ensuite, être piégés si, dans cinq ans, ce genre n’est plus demandé. Sur le relationnel, nous proposons un cours qui s’appelle « accueil client » où on aborde la façon de parler à un client, l’encadrement, comment faire attention à ne pas gêner le client et à rester neutre et ouvert.

Quels sont les prérequis pour y entrer ?

Il faut avoir au moins un niveau 5P avec au moins 45 modules ou avoir réussi une classe de niveau 5AD/5G. La barre n’est pas très haute, mais le plus dur, c’est de trouver un patron. Cela a toujours été compliqué dans ce métier. Il est nécessaire d’avoir un patron pour commencer notre formation, car cela nous permet de nous différencier des écoles présentes sur internet, dans lesquelles il faut simplement avancer une grosse somme d’argent pour devenir tatoueur. L’obligation d’avoir un patron nous permet aussi de filtrer. L’exigence des studios va permettre de voir si la personne a le niveau ou pas. Aussi, les élèves doivent obligatoirement avoir une expérience en dessin. On ne peut pas commencer cette formation si on n’a pas déjà une expérience.

Faut-il déjà avoir tenu une machine à tatouer pour entrer dans ce DAP ?

Non, pas du tout. Les élèves apprendront à se servir d’une machine à tatouer chez leur patron. Là, ils pourront s’exercer sur des peaux synthétiques ou des fruits et non pas sur leurs jambes ou sur leur meilleur ami.

Pourquoi pensez-vous qu’il est difficile pour les élèves de trouver un patron ?

Le fait que cette formation soit nouvelle ajoute de la difficulté. Personne n’est sûr à 100 % de comment ça va se passer. Aujourd’hui, personne ne peut témoigner de la qualité de la formation. En fait, le métier est tellement non réglementé que c’est vraiment quelque chose de très abstrait d’accepter de le normer. D’ici à trois ou quatre ans, beaucoup de gens seront passés par ce DAP et les patrons auront profité de ces expériences. Ensuite, il sera beaucoup plus simple de motiver les gens, car les témoignages iront dans le sens de la formation.

Combien d’élèves sont déjà inscrits ?

Nous verrons dans les prochaines semaines combien d’élèves seront présents dans cette formation. Au niveau des DAP, les étudiants ont jusqu’au 1er novembre pour trouver un patron. Il est donc possible que des élèves s’ajoutent après cette date. Comme dans tous les autres apprentissages, si on n’a pas de patron, on ne peut pas intégrer la formation.

Le flou quant au nombre d’élèves inscrits n’est-il pas un peu inquiétant ? 

Avec la crise économique, tout le monde était un peu inquiet quant au lancement d’une telle formation cette année. Dans le même temps, la première année est toujours un peu difficile de toute façon. Le ministère a validé la possibilité de n’accepter qu’un ou deux élèves pour la rentrée 2024/2025. Nous allons attendre que cela se développe et que la formation soit davantage connue.

Comment se dérouleront les semaines de cours ?

Pendant les trois premiers semestres, les élèves iront à l’école deux fois par semaine et durant les trois autres jours, ils seront en studio. Puis, les trois semestres suivants, ils seront une fois par semaine à l’école et le reste du temps chez les patrons.

Les cours seront donnés en quelle langue ? 

La première année, les cours seront donnés en allemand. Ensuite, nous verrons avec le ministère s’il y a besoin de créer une deuxième formation en français. C’est le ministère qui décide.

Il faut être ouvert et aimer travailler avec les gens

En quoi consistera la partie théorique des cours ?

Cette partie théorique va se centrer sur les machines, les outils, les aiguilles, le matériel en général que l’on utilise. C’est une introduction qui permet de soulager un peu les patrons. Les élèves y apprendront aussi à installer une table de travail. C’est une manière de bien préparer les apprentis à la vie en studio. Pour la partie pratique, celle-ci se passe uniquement dans les studios.

Et la partie artistique ?

Il y aura deux cours ciblés sur l’art. L’un sera plus classique, comme on le connaît déjà à l’école, mais tout de même plus ciblé sur le tatouage, avec les grands thèmes de la profession. Il sera donné par une professeure d’art. Pour ma part, je donnerai un cours basé sur le dessin et le corps. Par exemple, on a un dessin quelconque, où faut-il le placer sur le corps, comment le développer, comment l’adapter pour que le tatouage soit réalisable à un endroit spécifique. On part d’une image et on apprend comment faire un tatouage.

Selon vous, quelles sont les qualités d’un bon tatoueur ?

Je pense qu’il faut d’abord être ouvert par rapport à toutes les sortes de demandes des clients. Il est aussi nécessaire de se montrer intéressé et de ne pas se bloquer sur un style unique. On peut décider, un jour, de développer un style en se disant : « voilà ce que je veux faire pour les vingt ans qui viennent », mais après cinq ans, il est fort possible que l’on voie les choses différemment. En résumé, il faut être ouvert, il faut aimer travailler avec les gens et il ne faut pas se dire qu’on a déjà tout appris. C’est primordial d’être critique envers soi-même et d’essayer de s’améliorer. On ne cesse jamais d’apprendre.

Ce genre de formation existe-t-il dans d’autres pays ?

Quand nous avons lancé cette formation, nous pensions que nous étions le premier pays à proposer une telle formation. En cherchant un peu, je crois que cela existe déjà en Scandinavie, mais je ne suis pas certain qu’ils aient déjà commencé. En tout cas, on peut au moins dire que nous faisons partie des premiers.

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