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Ballet national folklorique du Luxembourg : «On a tous un cheval intérieur !»


(photo : Kasaam Aziz)

Mais quel est donc ce Ballet national folklorique du Luxembourg, vieux de plus d’un demi-siècle, inconnu au pays mais à la résonance mondiale ? Réponse de ses deux figures de proue, Simone Mousset et le grand M. Chevalier.

Depuis 2017, Simone Mousset y fait référence dans ses pièces. Aujourd’hui, le Ballet national folklorique du Luxembourg, né en 1962 à l’initiative des deux sœurs Bal, selon cette dernière, se matérialise en la personne du chorégraphe star, M. Chevalier. Accompagné de la désormais codirectrice de la compagnie, ils cherchent ensemble à lui redonner ses lettres de noblesse, surtout au Grand-Duché où son nom et sa renommée restent un mystère. Mais tout ceci ne serait-il pas finalement une farce? Un pied de nez face à la résurgence du nationalisme? Une satire sur l’appropriation du pouvoir? Le mieux, c’est encore de leur demander.

Cette année, vous célébrez les 50 ans du ballet Josiane la Paysanne. Ça vous fait quoi ?

Simone Mousset : C’est extrêmement touchant! On va visiter tous les lieux qui ont contribué à faire de cette pièce un succès, dont la Villa Vauban, un demi-siècle jour pour jour. Ce n’était pas gagné d’avance : M. Chevalier est un homme très pris, vu que la compagnie est depuis un moment au Japon pour sa tournée mondiale, qui ne cesse d’être prolongée.

M. Chevalier : Oui, j’ai dû trouver un compromis dans mon agenda pour me rendre disponible. C’était important, car ce n’est pas tous les jours que le Ballet national folklorique du Luxembourg revient à ses origines, dans son pays.

Justement, pourquoi, au pays, on en sait si peu sur celui-ci, à la résonance pourtant internationale ? 

S. M. : Sûrement parce que la compagnie a une histoire turbulente : les deux sœurs qui l’ont fondée en 1962, Joséphine et Claudine Bal, ont mystérieusement disparu lors d’une tournée en Union soviétique dans les années 1980. Quant à leurs descendantes directes, elles sont mortes tragiquement. C’était comme si une malédiction pesait sur le Ballet. Du coup, il a disparu des mémoires jusqu‘à ce que je ne l’exhume en 2017, grâce aux archives que j’ai pu trouver et d’anciennes danseuses que j’ai rencontrées.

Pourquoi ce choix de lui redonner une seconde vie ?

S. M. : Pour son héritage! J’ai toujours été intéressée par les danses folkloriques, que j’ai joué sur scène en Russie, en Ukraine, en Angleterre ou au Liban. Le tout sans savoir qu’au Luxembourg, il y avait également cette histoire. Alors, s’occuper de ce Ballet, un temps disparu, et aux créations extrêmement riches, c’est une suite logique de mon parcours. Il mérite de retrouver sa notoriété chez lui, car à l’international, sa renommée n’est plus à faire.

À sa tête, aujourd’hui, on trouve celui que l’on appelle « l’enfant terrible«  du folklore. Est-ce un nom qui vous plaît ?

S. M. : (Elle coupe) Ce sont souvent les journaux qui en font un peu trop… Vous savez, M. Chevalier prend son rôle très au sérieux, et la discipline et la rigueur qu’il impose peuvent perturber. Et puis, on aime romancer, surtout avec un tel personnage : il n’est pas qu’une référence en danse, mais aussi dans la haute couture et le rock! Alors oui, parfois, ça choque, et ça gêne…

M. C. : C’est un résumé qui me va. Il y a un empire médiatique qui me tourne autour, exagérant la réalité, tout en reconnaissant mon côté hors circuit. Le terme « enfant terrible » tient sûrement du fait que j’aime faire des pas de côté, et voir toujours plus loin, toujours plus grand. Certains n’apprécient pas. Tout ça, c’est politique !

Il s’agit tout de même de replacer le Luxembourg sur la carte du monde!

On vous dit aussi charismatique et narcissique…

M. C. : Je me vois surtout comme une personne accomplie et entière. Et pour ce qui est du narcissisme, il en faut quand on est à la tête d’une compagnie aussi prestigieuse, et en pleine expansion. C’est ma mission, et pour ce faire, il faut garder la tête haute et ne pas se laisser abattre par les esprits rétrécis… J’ai de l’aura, alors oui, je m’en sers.

S. M. : Il fallait une figure forte à la tête du Ballet. Ce n’était pas négociable. Il s’agit tout de même de replacer le Luxembourg sur la carte du monde!

Le Ballet national folklorique du Luxembourg, parmi ses nombreuses sources d’inspiration, s’attache principalement à deux animaux. D’abord le pigeon…

M. C. : C’est la source même du ballet le plus connu, celui que l’on joue cette année, Josiane la Paysanne, avec la danse du pigeon, sorte de hit de la compagnie qui a permis de la propulser et de la faire connaître dans le monde entier.

Et le cheval…

M. C. : J’allais y venir. Cette danse, en son sein, témoigne du conflit entre les deux sœurs Bal : d’un côté, Joséphine adorait la figure du pigeon, alors que Claudine, victime à l’époque d’un accident de cheval, voulait rajouter ce symbole. Ce ballet, c’est un grand écart entre deux puissances animales!

S. M. : D’ailleurs, à la Villa Vauban, il y a un tableau, Fauconnier arabe à chevalqui aurait inspiré les deux sœurs, de passage à Luxembourg à la suite d’une inondation de leur studio à Bruxelles. Il est signé Georges Washington. Non, ce n’est pas l’ancien président des États-Unis (elle rit). Et ce n’est pas non plus un pigeon, mais un faucon…

M. C. : Pour en revenir au cheval, c’est un animal qui m’inspire depuis longtemps. C’est un symbole de conquête et de panache. C’est un symbole artistique, cosmique même!

S. M. : Et il vaut mieux avoir à la tête de la compagnie quelqu’un qui est cheval, plus que pigeon…

M. C. : Pour terminer, j’emprunterai les mots de Claudine Bal qui répétait durant les répétitions : « C’est par le balancement chevalin de nos danseurs que le monde rencontrera le Luxembourg ».

Y a-t-il une démarche politique derrière le Ballet national folklorique du Luxembourg ? 

M. C. : Selon moi, le Luxembourg est sous-représenté : on le voit toujours comme un petit pays, alors qu’il peut aspirer à être une puissance mondiale au même titre que la Chine, la Russie ou les États-Unis. Il est comme moi : il doit voir plus grand! Et avec la superbe du Ballet national folklorique, il peut y arriver.

Vous dites vouloir mettre en avant le « vrai esprit luxembourgeois« . C’est quoi, exactement ?

S. M. : Regardez le nom des premières danses : celle du pigeon, une autre dite des hautes jambes ou des herbes et des fleurs… Ils ramènent à la campagne dans laquelle ont grandi les sœurs Bal, à Broderbour. Après, elles signent une pièce qui s’appelle Tusnelda, reine du Turkestan, fruit d’un long voyage à l’est de l’Europe. Cette confrontation est l’essence même du Luxembourg : un pays rural ouvert à la culture internationale. C’est la dynamique dans laquelle s’inscrit le Ballet national : poser les bases de ce nouveau folklore luxembourgeois, non pas en restant coincé dans ses prairies, mais avec la volonté de se répandre partout où c’est possible.

À Avignon, on va faire de l’ombre à beaucoup de compagnies…

Le public, avec lequel vous jouez, semble s’amuser durant vos représentations. Le rire et la danse font-ils bon ménage ?

M. C. : Je pense surtout que le public est heureux de retrouver le Ballet national et que ces rires ne sont pas moqueurs ou railleurs, mais bien l’expression d’une joie profonde. C’est aussi ce que je ressens quand je permets au public de me rencontrer à la fin de la représentation, qu’il vient me remercier pour cette ouverture que j’offre au monde de la danse. Il faut juste qu’il soit patient : la queue pour les autographes est très longue.

S. M. : Oui, ça tient sûrement à son charme qui envoûte les gens, les emporte dès ses premiers mots.

Cet été, le Ballet national folklorique du Luxembourg sera au festival d’Avignon. Cette même magie va-t-elle s’opérer ? 

S. M. : C’est un festival de renommée mondiale, on est donc à notre place. Je sais aussi que ce sera dur pour les autres spectacles, car on va leur faire de l’ombre.

M. C. : C’est sûr, mais je pense que les nombreuses compagnies qui seront sur place se plieront à ma présence. Il faut qu’elles fassent preuve de modestie et de reconnaissance.

Est-ce que tout ce qui a été dit est vrai et vérifiable ?

S. M. : Beaucoup de gens doutent de tout cet héritage puisqu’il est assez incroyable, et peu connu au pays. Mais allez voir en France, au Japon, en Russie, partout en Amérique du Sud et du Nord, le Ballet national folklorique du Luxembourg y est extrêmement connu. Il est temps que les Luxembourgeois s’emparent de leur passé, de leur Histoire. Ça leur appartient!

M.C. : Oui, allons de l’avant, galopons vers le futur! Car on a tous un cheval intérieur!

«The Great Chevalier» Vendredi à 18 h (en français). Dimanche à 11 h (en anglais) et 15 h (en français). Villa Vauban – Luxembourg. Dans le cadre du TalentLAB. 

Du 5 au 24 juillet. Théâtre du Train Bleu – Avignon.

TalentLAB 2025 : 10 ans déjà!

Motivés à l’idée de stimuler le dialogue entre artistes confirmé(es) et émergent(es), publics et institutions, comme d’encourager l’interdisciplinarité et les formes nouvelles, les Théâtres de la Ville de Luxembourg ont, dès 2016, mis en place le TalentLAB, laboratoire à projets pour les arts de la scène. En dix ans, il est devenu un rendez-vous qui compte pour la création contemporaine et un élément essentiel du travail d’accompagnement des artistes nationaux et internationaux auquel les Théâtres de la Ville se sont dédiés. Soutenant le processus de recherche, le TalentLAB est à voir comme une plateforme d’échange et de transmission où dialogue, formation et découvertes sont au premier plan. Espace de réflexion, d’ouverture et de partage, il mélange ainsi, sur dix jours, spectacles, rencontres, ateliers et tables rondes. Durant ce temps, six porteurs et porteuses de projet y développeront leurs propositions respectives. D’autres pièces, plus abouties, s’étaleront jusqu’au 8 juin, dont celle du Belarus Free Theatre (KS6 : Small Forward) ou de David Bobée et Éric Lacascade (Tragédie). Et pour fêter tout ça, deux soirées anniversaires sont prévues, aux Capucins et au Grand Théâtre, les 4 et 5 juin.

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