Depuis 15 ans, le photographe MonsieurKurtis parcourt la Grande Région, mais aussi le monde entier à la découverte du patrimoine abandonné. Un travail qu’il a condensé dans un nouveau livre.
Au Luxembourg et dans la Grande Région, les sites industriels à l’abandon font partie du paysage et nourrissent les souvenirs de ceux qui les ont connus, comme ils stimulent l’imaginaire des générations suivantes. Mathieu fait partie de cette deuxième catégorie.
Né à Metz en 1989, ce Franco-Luxembourgeois a vécu une grande partie de sa vie à Uckange à l’ombre du haut-fourneau U4. «À l’époque, il y en avait encore plusieurs et un jour, en passant devant, mon père m’a dit : « Regarde-les bien, demain il n’y en aura plus qu’un ». Moi, je me suis toujours demandé ce qu’il y avait derrière.»
Cette question, qui lui revient régulièrement en tête devant une friche industrielle, trouvera une réponse quelques années plus tard, vers l’âge de 20 ans. «À l’époque, je cherchais une passion après en avoir essayé plusieurs.» La photographie va rapidement s’imposer et avec elle l’intérêt pour ces lieux témoins de l’histoire de la région. «L’avantage avec les trois frontières, c’est qu’on a un grand bassin industriel, il y a beaucoup de fantômes.»
C’est aussi le moment où l’urbex commence à sortir de l’ombre et à s’afficher sur les réseaux sociaux. L’appareil en bandoulière, sous le pseudonyme de MonsieurKurtis, Mathieu va commencer à mitrailler ces endroits où plus personne ne va. Si c’est d’abord la curiosité qui le pousse à franchir les grilles, au fil des années, il va s’intéresser de plus en plus à ce patrimoine avec l’envie de le mettre en valeur et d’en garder une trace. «J’ai aussi commencé à faire les maisons abandonnées, mais j’ai vite arrêté. Je trouvais ça trop voyeuriste et trop limite avec la loi.»
D’Uckange au Pérou
Malgré l’énorme terrain de jeu que représentent la vallée de la Fensch et ses alentours, l’envie de découvrir des lieux d’un autre temps l’emmène sous d’autres latitudes. En 2014, MonsieurKurtis se lance dans un tour du monde, seul et en stop. D’Uckange, il part toujours plus loin vers l’est : Bulgarie, Estonie, Corée du Sud, Japon, Océanie… puis le Pérou, les États-Unis et le Canada avant de revenir en Europe par l’Ukraine.
«L’enjeu était de découvrir le monde et de se faire plaisir visuellement parlant. Et avec le stop, il y avait l’aspect humain.» Sur place, il découvre de nouveaux paysages et un patrimoine inconnu pour lui. De l’ancien Parti communiste bulgare à une église indonésienne en forme de poulet en passant par un parc d’attractions abandonné au Japon, le photographe va de découverte en découverte.
Mais il est aussi bien conscient qu’il ne faut pas prendre cette activité à la légère. Les rubriques faits divers des journaux relatent régulièrement les accidents liés à l’urbex. «Il faut ouvrir l’œil, il y a toujours des risques», prévient MonsieurKurtis.
S’il a pu lui-même en prendre, il essaye d’être le mieux préparé possible et de rester prudent. Il vérifie par exemple toujours l’état du plafond avant de monter à un étage pour éviter tout effondrement et ne pénètre jamais dans une mine sans un détecteur d’oxygène. «J’ai eu la chance de commencer avec des gens aguerris.»
«C’est beau mais aussi hyper triste»
De retour en France, il a encore multiplié les voyages avant de finir par se réinstaller dans sa région natale. «Aujourd’hui, je ne suis plus aussi actif, mais je continue d’aller visiter des choses tous les mois.» Ce qui l’intéresse dorénavant, c’est de témoigner de l’existence de ces sites et de montrer leur évolution en y retournant régulièrement pour faire de nouvelles photos.
«II y a 15 ans, il y avait de nombreuses friches au Luxembourg. Mais aujourd’hui beaucoup ont été détruites ou réhabilitées.» Belval et ses hauts-fourneaux intégrés au nouveau quartier ou le Fond-de-Gras témoignent de cette évolution.
Et même si cela restreint les possibilités d’exploration, MonsieurKurtis n’en éprouve aucune amertume, bien au contraire. «Il y a une esthétique de l’abandon, reconnaît-il. C’est beau, mais c’est aussi hyper-triste. Ce sont des emplois disparus.»
Il est donc heureux de voir ces lieux perdurer et continuer à faire vivre leur histoire et leurs souvenirs d’une autre manière. D’autant que ce n’est pas le cas dans tous les pays. Dans la région, si le Luxembourg et l’Allemagne font figure de bons élèves, la France, malgré quelques initiatives, n’est pas au même niveau. «Et côté belge, c’est la décadence !» Cela laisse au moins à MonsieurKurtis quelques espaces de liberté pour aller à la découverte de nouveaux coins et les raconter en images.
Un livre pour ses 15 ans de voyages
Au fil de ses expéditions, MonsieurKurtis n’a pas gardé toutes ses images pour lui. Animé par l’envie de témoigner du passé et de l’évolution des endroits qu’il a visités, il a publié plusieurs livres. Le dernier en date, Urbex face cachée, patrimoine mondial, vient de sortir. Il retrace 15 ans de pérégrinations autour du monde.
«C’est le livre dont je suis le plus fier. J’essaye de montrer la face cachée derrière les bâtiments.» De l’ex-RDA à l’Indonésie, du Portugal aux États-Unis, il montre ainsi à quoi servaient ces lieux dont les grandes heures ne sont qu’un lointain souvenir face à la fuite du temps.