Les résultats de deux sondages sur le harcèlement moral menés par l’OGBL au sein de la fonction publique ont été dévoilés ce mardi.
«Le travail, c’est la santé», chantait ironiquement Henri Salvador dans les années soixante. Si les intervenants s’exprimant ce mardi matin ne sont pas allés jusqu’à reprendre la suite des paroles – «rien faire, c’est la conserver» – leurs propos ont dévoilé en chiffres une réalité peu glorieuse du monde du travail.
L’OGBL a livré les résultats d’un sondage portant sur le harcèlement moral dans la fonction publique luxembourgeoise. Un sujet qui l’occupe surtout depuis que le ministre Serge Wilmes a refusé, fin 2024, la création d’une commission d’enquête indépendante pour traiter ces cas.
En ligne dès le mois de juin pour le personnel de l’enseignement et juillet pour celui de la fonction publique, les deux questionnaires ont été remplis par 930 personnes. Un échantillon suffisant pour Joëlle Damé, la présidente du service éducation et sciences (SEW), puisque les résultats «se situent autour des pourcentages de toutes les études internationales».
Beaucoup de violence verbale
À la lecture des réponses, certaines données sautent aux yeux : 68,23 % des enseignants estiment que les gens ne communiquent jamais ou pas toujours respectueusement sur leur lieu de travail. Un chiffre qui passe à 71 % chez les salariés de la fonction publique, la plupart de ces répondants expliquant être constamment interrompus ou rabaissés.
Les atteintes à la réputation sont fréquentes, comme l’indiquent 64 % des enseignants. Et plus d’un tiers rapportent des formes d’exclusion sociale, certains se disant traités comme «un figurant». Critiques constantes ou rumeurs persistantes sont aussi citées comme comportement minant petit à petit le salarié.
Mais ce qui «choque» Joëlle Damé, c’est que plusieurs actes franchissent les limites de la violence verbale : 22 % des répondants disent s’être fait crier dessus, 16 % signalent des menaces verbales, 7 % des menaces écrites. Chez les enseignants, des cas d’atteinte à l’intégrité sexuelle – rares mais scandaleux – apparaissent aussi dans le sondage.
«Des symptômes corporels et une grande détresse psychique»
Il n’existe pas de profil type de harceleur, explique encore Joëlle Damé, certains n’ayant même pas conscience que leur comportement est problématique. Dans le sondage, 243 personnes mentionnent leurs collègues, 142 leurs supérieurs, 61 leurs élèves et 80 les parents de leurs élèves.
«Pour les services publics, dans la majorité des cas, les harceleurs sont les supérieurs hiérarchiques. Dans l’enseignement, un tiers vient du supérieur, sinon ce sont majoritairement les collègues», précise Joëlle Damé, avant de nuancer «si on met en relation le fait qu’on a plus de collègues que de supérieurs… c’est souvent le supérieur quand même».
Une chose est néanmoins certaine, assure encore Joëlle Damé : pour que le harcèlement ait lieu, c’est qu’un climat de confiance n’a pas été instauré au sein de l’environnement de travail. Et ces relations de travail ne sont pas sans conséquence sur la santé des victimes.
«En tant que syndicaliste, reprend Joëlle Damé, les gens m’appellent. Ils ont des phobies, des crises de panique. Ils ne dorment plus, ont mal au ventre. Il y a plein de symptômes corporels et puis une grande détresse psychique. Alors beaucoup ont un congé de maladie, mais ça ne résout pas le problème, parce qu’à leur retour, ça reprend. C’est très éprouvant. Souvent, les gens pleurent au téléphone.»
Un recours est possible
En plus, «les victimes ne savent pas vers qui se tourner», soupire Joëlle Damé, rappelant au passage les absences d’un cadre légal et d’un point de contact indépendant protégeant les fonctionnaires et employés de l’État du harcèlement moral au travail.
Elles sont souvent renvoyées vers le service psychosocial ou l’Institut de formation de l’éducation nationale (IFEN) où on les écoute et où on leur donne des moyens de se sentir plus fortes. «On peut se demander si la résilience, ce n’est pas un instrument pour mieux masquer les injustices», sourit Joëlle Damé.
Il existe bien la possibilité de déposer une «réclamation», mais elle n’est pas bien adaptée surtout parce qu’elle doit avoir lieu dans le mois suivant l’incident. Or le harcèlement moral est constitué de répétitions, de systématisation, il ne doit pas être confondu avec un conflit ou un désaccord.
Une fois la réclamation lancée, un mois peut s’écouler avant d’obtenir une réponse et il faut encore bien compter un autre mois pour pouvoir répondre à nouveau. «On essaie d’utiliser cet instrument qui est le seul», poursuit Joëlle Damé. Si les gens s’en saisissent, «ça va changer l’ambiance globale», assure-t-elle.
«Si on sait que j’ai des droits, que je peux y avoir recours sans être punie, ce sera bénéfique pour tout le monde.» D’ailleurs, l’OGBL pousse à la création d’un cadre juridique pour que pendant ce laps de temps, «les victimes ne risquent pas, par exemple, d’avoir une mauvaise évaluation».