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[Cyclisme] «Vingegaard est là pour gagner», juge Andy Schleck


«Je me pose beaucoup de questions concernant ma propre carrière», explique Andy Schleck.

Le vainqueur luxembourgeois du Tour 2010 a fait sa valise pour suivre la Grande Boucle en tant qu’ambassadeur de la firme Skoda. Il dresse un état des lieux avec passion.

Comme chaque année désormais, Andy Schleck (39 ans) replonge dans l’ambiance du Tour pour un peu plus de trois semaines où il tient le rôle d’ambassadeur pour Skoda. Durant les 21 étapes, il va décrypter la course pour les invités de choix de la firme automobile. Sa valise bouclée, le vainqueur du Tour de France 2010 a pris hier la voie des airs pour rejoindre Florence.

Lorsque vous rejoignez chaque année la caravane des suiveurs du Tour de France, que ressentez-vous ?

Andy Schleck : Je dois dire que c’est toujours compliqué de partir pour ce périple de trois semaines loin de la famille. C’est une habitude que je n’ai plus. Lorsque je courais, c’était mon job, c’était facile. Désormais, j’ai d’autres occupations (il rit). Les derniers jours, c’est un peu le stress, mais dès que je serai sur place, je vais replonger dedans et il faut dire que pendant trois semaines, j’ai des journées bien chargées. Je ne vais pas m’ennuyer. Et d’ailleurs, je suis curieux de voir le premier départ à Florence. Ces dernières années, on a eu le Danemark, le Pays basque. Ça sera intéressant de voir comment le public va réagir avec ce grand départ en Italie, un pays où le cyclisme est mythique. Ce sera un beau départ, je pense.

Vous suivez mieux la course dans votre voiture d’invités que si vous étiez chez vous devant votre télévision ?

De toute façon, sur le Tour, je suis dans la voiture, je ne conduis pas et on suit l’évolution de la course en suivant l’écran installé. Mon job est de faire comprendre la course aux invités. Mais en étant sur place, on fait d’autres analyses, je pense. C’est toujours magique. Par exemple, tu croises un coureur et tu vois mieux sa physionomie, son état de fatigue. On a une autre vue.

En cyclisme, les meilleurs se préparent pour le Tour. Cela a toujours été comme ça et cela ne va pas changer

Justement, rentrons dans ce Tour de France 2024. Vous pensez que la course va se passer de quelle façon ?

J’ai lu les interviews des derniers jours et les déclarations par exemple de Marc Madiot (le patron de Groupama-FDJ) qui pense que le Tour sera plié au soir de la 4e étape. Je ne pense pas ça et je crois en (Jonas) Vingegaard. Cela ne sera pas fini pour lui après la 4e étape, même s’il perdait une ou deux minutes. En haute montagne, il aura des armes. Il aura du temps pour venir en forme. C’est ce qu’il a fait dans les deux éditions qu’il a remportées (2022 et 2023). Il est toujours très fort dans la dernière semaine. Le Tour de France n’est pas le Tour d’Italie ni le Tour d’Espagne. Les routes, le public, la pression, sont différents. Cela reste plus dur que les autres Grands Tours. On peut regarder le profil du Giro et se dire, « oui, c’est plus dur que le Tour ». Mais ce n’est pas le profil qui définit la dureté d’une course. Ce sont les coureurs qui la définissent. C’est comme pour les Jeux olympiques. Les meilleurs athlètes se préparent pour les JO. Et en cyclisme, les meilleurs se préparent pour le Tour. Cela a toujours été comme ça et cela ne va pas changer.

Donc pour vous, Jonas Vingegaard, qui revient tout juste de blessure, reste le favori ?

Pourquoi une équipe comme Visma-Lease a Bike, qui a des sprinteurs, des coureurs pour gagner des étapes, emmène Jonas Vingegaard? C’est bien pour gagner. Il reste un coureur 5 étoiles. On ne va pas sur le Tour si on est à 90 %. Franchement, je pensais qu’on ne le verrait pas sur ce Tour, mais qu’il reprendrait plus doucement l’entraînement pour ensuite se diriger vers le Tour d’Espagne. Je le vois bien finir en jaune à Nice. Et il faut se souvenir du contre-la-montre qu’il avait réalisé l’an passé (16e étape entre Passy et Combloux). Cela reste à mes yeux la plus grande performance que j’aie jamais vue de mes yeux sur le Tour. Un coureur qui possède une telle classe peut toujours revenir et s’imposer. Il n’est pas là pour jouer, mais bien pour la gagne.

Vous pensez donc qu’on peut se passer de la compétition en préparation, car il n’a plus couru depuis sa chute sur le Tour du Pays basque ?

Je suis nuancé. Je sais qu’avec les nouvelles méthodes d’entraînement, c’est possible. Surtout lorsqu’on est un coureur dans cette équipe Visma qui maîtrise beaucoup de choses. Physiquement, je suis sûr qu’il sera au top. Par contre, j’apporte une nuance. On voit de plus en plus de grosses chutes dans les premières étapes du Tour de France. Et de plus en plus de coureurs qui s’entraînent des heures et des heures sur le volcan Teide à Tenerife ou en Sierra Nevada. Mais on oublie les réflexes pour rouler dans un peloton, freiner au bon moment. Les équipes oublient ce paramètre. Le peloton du Tour de France n’est pas le peloton d’un critérium d’après Tour. C’est le peloton le plus nerveux du monde. Pour moi, les grosses chutes peuvent venir de là aussi. Si j’étais manager d’équipe, j’y penserais et j’inciterais mes coureurs à s’aligner dans une course de préparation avant un objectif. En cyclisme, on n’a pas de simulateurs comme en F1.

Revenons à Tadej Pogacar qui va tenter le doublé Giro-Tour. Vous auriez aimé le tenter à votre époque ?

Non, je dois être honnête. Je n’ai jamais regretté de ne pas l’avoir tenté. On a vu dans le passé beaucoup de coureurs qui n’ont pas réussi à le faire. Je me pose beaucoup de questions concernant ma propre carrière. Est-ce que j’aurais dû m’aligner sur Paris-Roubaix ou le Tour des Flandres (il n’a jamais disputé ces deux monuments)? Oui, c’est un peu un regret. J’étais bien à la maison, tranquille. J’allais à la pêche (il rit)….

Revenons au Tour, en dehors de Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, qui va s’illustrer ?

On ne parle que de deux coureurs, c’est vrai. Il y en a d’autres. Comme Primoz Roglic. On a toujours l’impression qu’il lui arrive quelque chose. Mais je me souviens qu’on disait ça de Cadel Evans en 2011 (Andy Schleck et Frank Schleck avaient terminé aux 2e et 3e places sur le podium à Paris, derrière le coureur australien). On disait exactement ça de lui. Et il s’est imposé (il rit). Roglic, il s’accroche partout, grimpe bien, roule bien. Mais la 21e et dernière étape, c’est un contre-la-montre et puis je pense qu’il aura un peu de mal en haute montagne. Je le vois moins fort que les deux grands favoris.

Un succès sur le Tour, ce n’est pas forcément la victoire. C’est le coureur qui définit ce que peut être un succès…

Quelle est l’équipe la plus forte ? 

L’équipe UAE est évidemment la plus forte. Le récent Tour de Suisse (succès d’Adam Yates devant son coéquipier João Almeida) l’a montré, mais le niveau y était inférieur au Dauphiné. Toutefois, je pense qu’UAE n’est pas encore au même niveau que Visma–Lease a Bike intellectuellement parlant. Je me suis posé une question en voyant Pogacar remporter le Tour d’Italie avec dix minutes d’avance (9’56 » sur le Colombien Daniel Martinez), alors qu’il devait enchaîner. Je ne comprends pas le raisonnement. L’équipe garde une mentalité italienne, il faut y aller encore, y aller encore… Il aurait pu rester dans le peloton pendant deux semaines et prendre le maillot rose en dernière semaine. Pour conserver des forces pour le Tour. Il vient de dire qu’il ne s’est jamais senti aussi bien qu’avant ce Tour de France. Mais la forme doit rester pendant 21 jours. Il ne prend pas le départ de Liège-Bastogne-Liège…

Quel autre coureur que Vingegaard et Pogacar avez-vous envie de voir à son avantage sur ce Tour ?

J’espère qu’on va voir un bon Bob (Jungels). En tant que coéquipier, on peut montrer son niveau, comme le faisait à mon époque Jens Voigt. On ne l’a pas trop vu ces derniers mois, mais si son équipe le prend au départ de ce Tour, ce n’est pas parce qu’il fait de belles photos! Il sait rouler et sait ce que c’est que le Tour de France. J’espère le voir briller, faire un petit come-back. Qu’il reste en montagne le plus longtemps possible avec Roglic. Bob a besoin de ça, je crois. Un succès sur le Tour, ce n’est pas forcément la victoire. C’est le coureur qui définit ce que peut être un succès… Je suis content qu’il ait été retenu avec son équipe (Red Bull-Bora-Hansgrohe) pour ce Tour.

Kevin Geniets, vous attendez quoi de lui ?

Je pense qu’il aura un peu carte blanche. Pour aller éventuellement dans des échappées. Il a bien commencé la saison avec son succès sur La Marseillaise et comme il a chuté (fracture du pisiforme de la main gauche sur Paris-Nice), il est frais, je pense. C’est en s’échappant qu’il peut tenter de remporter une étape. Il ne va pas gagner au sprint ni en montagne. Dans une étape, il aura ses chances. Mais tout d’abord, que tout le monde arrive en bonne santé à Nice! Surtout sans chute, quelque chose dont on parle de plus en plus aujourd’hui. Et j’espère qu’on verra des drapeaux luxembourgeois sur la route…

Finissons avec le parcours. Vous en dites quoi ?

Il paraît très intéressant. Ce sera très dur dès le début avec le Galibier dès la 4e étape. C’est tôt. Je pense que ce sera un Tour assez mouvementé jusqu’à l’arrivée à Nice.

Chaque année, Andy Schleck replonge pour trois semaines dans l'ambiance du Tour. Photo : anouk flesch