Tom Wirtgen revient sur sa décision d’arrêter sa carrière professionnelle. Il raconte son expérience et explique qu’il aimerait «rester dans le sport».
Revenu tout juste de vacances familiales avec femme et enfant du côté de Copenhague où Tom Wirtgen, dans une sorte de clin d’œil, s’est plu à pédaler sur un vélo cargo dans une ville dédiée aux vélos, il explique sa fraîche décision de stopper à 28 ans sa carrière professionnelle.
Vous avez donc décidé de tourner la page…
Tom Wirtgen : Oui, j’ai décidé d’arrêter ma carrière. Cette année, j’étais super content de mon équipe autrichienne, Felt Felbermayr, le projet étant fixé à long terme. Malheureusement, le sponsor a sauté au dernier moment et l’équipe ne pouvait plus redresser le budget.
Les dirigeants ne voulaient pas d’une équipe au rabais. Soit on avait une équipe, soit on arrêtait l’histoire. Ils voulaient continuer de payer des salaires et cela n’est pas leur faute. Moi, j’ai décidé d’arrêter, car ce projet me tenait à cœur et je pense que j’ai vécu en 2024 ma plus belle expérience chez les professionnels
J’arrête sans regret avec un bon feeling. Je savais que c’était ma dernière équipe professionnelle en signant pour eux. Le but était de rester le plus longtemps possible actif avec eux. Le destin en a décidé autrement.
Dès que je suis passé pro, je me suis mis en tête que j’aimerais devenir l’un des meilleurs équipiers du monde
Vous n’avez que 28 ans. Lorsque vous vous êtes lancé dans le cyclisme professionnel, vous ne vous attendiez sans doute pas à en sortir si jeune…
Je crois que, dans cinq ans, je paraîtrais vieux. Car le cyclisme est en train de beaucoup changer. Des équipiers comme moi n’existeront plus. Des coureurs contents de suivre leur passion, je ne crois pas qu’il y en aura encore beaucoup. Certes, 28 ans, c’est jeune. Mais j’ai atteint mes objectifs personnels, participer à des courses professionnels et remporter des courses UCI.
Par exemple, participer un jour à Paris-Roubaix (NDLR : il l’a fait en 2021, il a aussi participé à trois reprises au Tour des Flandres) était l’un de mes buts en passant pro. J’ai connu des moments durs, mais aussi de bons moments. Lorsqu’on remportait une course et que je savais que j’avais été l’une des clés du succès, cela me satisfaisait. C’était ma personnalité.
En privé, j’aime bien donner. Je me suis souvent mis en arrière. Les gens pensent qu’un professionnel doit être soit le meilleur grimpeur, soir le meilleur rouleur, soit le meilleur sprinteur. Moi, dès que je suis passé pro chez Wallonie Bruxelles, je me suis mis en tête que j’aimerais devenir l’un des meilleurs équipiers du monde. Je me suis mis sur cette ligne.
Après, j’ai tenté de remporter des courses en me glissant dans des échappées, je n’ai jamais vraiment perdu la rage de vaincre. Mais si j’étais à l’avant d’une course dans un groupe de vingt coureurs avec un coéquipier plus rapide que moi, je me mettais directement à son service.
Vous venez de dire que vous n’aviez pas de regrets…
Je n’en ai pas. Je me suis longuement posé la question avant de décider de stopper ma carrière. J’ai saisi toutes les opportunités que je pouvais. Je suis resté moi-même. Mon plus grand rêve était que ma famille, ma femme, mon enfant puissent me voir courir. C’était un rêve d’enfant et je l’ai réalisé.
Cette année, sur le podium des championnats nationaux (à Harlange, il avait terminé troisième du contre-la-montre), ma fille était présente avec moi. Parfois, les gens voient grand. Moi, j’ai connu beaucoup de bonheur sur le vélo. Cela avait commencé en juniors, où je côtoyais en stage beaucoup de grands coureurs de chez Quick-Step. Puis je suis passé pro. Beaucoup n’ont jamais réussi à le devenir. Ce serait égoïste de dire que j’ai des regrets.
C’est un milieu très dur. Mais j’imagine que c’est la même chose partout
Lorsque vous êtes passé professionnel en 2018, vous attendiez-vous à ce que cela soit aussi dur?
C’est une question difficile (rire). Il faut savoir jouer des coudes, c’est sûr. À tous les points de vue. Pour avoir sa place dans le peloton, puis en course pour se placer. C’est un boulot à temps plein. Je savais qu’à partir du moment où je passerais pro, je n’aurais plus le moindre temps pour étudier par exemple.
D’ailleurs, je suis bien content d’avoir passé mon bac avant de rouler chez les pros, cela va m’ouvrir des portes. Pour revenir à la question, c’est vrai que c’est un milieu très dur. Mais j’imagine que c’est la même chose partout. Et j’imagine que cela sera la même chose dans ma nouvelle vie professionnelle par exemple.
Je vais sans doute devoir jouer des coudes comme tout le monde, je pense. Au moins, j’aurai appris ça du vélo. Si on veut arriver à quelque chose, on ne doit d’abord compter que sur soi. Et foncer pour trouver des solutions. C’est peut-être l’avantage que j’aurai.
On sait que le destin des sportifs de haut niveau tient parfois à des riens. Avez-vous eu ce sentiment à un moment de votre carrière?
Oui, souvent. Par exemple, au moment de signer dans telle ou telle équipe. J’ai eu beaucoup de contacts qui n’ont pas abouti. On ne sait pas pourquoi et personne ne te l’explique par après. En course aussi parfois. Tu te dis que tu as beau avoir la meilleure forme qui soit, il y a une part de chance.
Dans ma carrière, Christophe Brandt (manager de Wallonie Bruxelles), puis les Autrichiens (de Felt Felbermayr) m’ont donné ma chance. Certainement qu’alors d’autres coureurs que je ne connaissais pas ne l’ont pas eue. Mais je ne perds pas d’énergie avec ça.
Lorsque vous voyez de jeunes coureurs qui cherchent absolument à devenir professionnel, cela vous inspire quoi?
Je leur dirais de vivre leur rêve à fond. Si on peut réaliser son rêve, on ne peut pas avoir plus de satisfaction. Je me souviens de cette phrase de l’horloger luxembourgeois Jean-Claude Biver : « si tu peux faire de ton travail une passion et pas un travail, fais-le… » C’est ce qu’on peut faire lorsqu’on est sportif professionnel. Peut-être que des coureurs pros ne gagnent pas bien leur vie. Mais un jeune coureur peut tenter de réaliser son rêve.
Si un jour je devais me lancer sur l’Étape du Tour (une épreuve cyclosportive), ce serait en couple
L’an prochain, il restera votre jeune frère Luc chez les pros…
Oui (rire), je vais peut-être lui manquer un peu lors des entraînements hivernaux sous la pluie! C’est la vie. Et on sait séparer la vie privée de la vie professionnelle.
Votre nouvelle vie, ce sera quoi?
Je suis ouvert à toute proposition. J’ai déjà eu quelques discussions. Fatalement, la passion du sport reste. J’aimerais bien rester dans le sport, le cyclisme ou le sport pour tous. Je suis ouvert, je n’ai pas d’idée fixe et j’ai plusieurs rendez-vous. Il y a de cela un mois, je restais focus sur ma carrière. Je n’imaginais pas devoir m’arrêter. Mais l’équipe s’est arrêtée.
Et le cyclisme, ce sera quoi pour vous désormais?
Ce sera ma façon de me déstresser. J’irai sans doute courir trois fois par semaine, mais quand je vais travailler, je n’aurai pas le temps de faire plus qu’une petite sortie de deux heures par week-end. Sportif, c’est un art de vivre, même si on n’est plus professionnel. Je ne vais pas dire à ma femme un dimanche matin que je pars faire six heures avec des intervalles (rire).
Mais le plaisir de rouler deux heures avec des amis et d’attaquer dans une bosse, ça restera, personne ne va me changer! Je ne ferai plus de compétition. Je ne vois plus que la passion et le plaisir. Si un jour, je devais me lancer sur l’Étape du Tour (l’épreuve cyclosportive), ce serait en couple. Et la veille, je me vois aller au restaurant pour passer une belle soirée. C’est ce qui m’intéresse désormais dans le monde du vélo.