Elu en septembre dernier président de l’UCI, sera invité demain au centenaire de la fédération luxembourgeoise de cyclisme (FSCL). L’occasion est belle pour faire le point avec le nouveau patron du cyclisme mondial.
Son élection le 21 septembre a fait l’objet d’un coup de tonnerre car le Français s’est imposé très facilement face au président sortant, le Britannique Brian Cookson (37 voix à 8). L’ancien président de la fédération française est un homme jeune (44 ans), résolu à faire évoluer le cyclisme dans le bon sens.
David Lappartient sera demain invité au centenaire de la FSL. Le nouveau président de la fédération internationale s’est promis d’appliquer un programme ambitieux.
Vous serez présent jeudi pour le centenaire de la FSCL. Quel est votre rapport au cyclisme luxembourgeois?
David Lappartient : J’ai toujours eu d’excellentes relations avec les dirigeants. Que ce soit avec Jean Regenwetter, l’ancien président, Camille Dahm, le nouveau. Ou encore Ed Buchette, le secrétaire général de la fédération, que je connais bien. Le Luxembourg est un pays où l’histoire du cyclisme est grande. C’est un petit pays par sa taille qui est très grand pour sa contribution au vélo. On connaît les succès au Tour de France avec Faber, Frantz, Gaul et Andy Schleck. Il y a toujours eu de grands athlètes au Grand-Duché. C’est un pays qui a une vraie tradition cycliste. On a parfois des petits pays qui sont très loin du haut niveau. Ce n’est évidemment pas le cas du Luxembourg. Il y a des athlètes de haut niveau, des évènements enracinés.
Au début de l’année, le Luxembourg a de nouveau organisé un championnat du monde de cyclo-cross. On se souvient aussi de son équipe professionnelle Leopard qui a évolué au plus haut niveau. La tradition est importante. Pour le centenaire de la fédération, j’étais sûr d’être là quel que soit l’élection. Si je n’avais pas été à la tête de l’UCI, je serais venu en tant que président de l’UEC (Union européenne de cyclisme). Je trouve bien que les instances honorent ce genre d’anniversaire, qui n’arrive pas souvent. C’est une marque de respect. Je serai très heureux d’être là.
Il faut que les équipes, les coureurs, les organisateurs arrivent enfin à porter une vision commune et non plus qu’ils soient toujours en train de batailler…
Vous êtes en fonction depuis le 22 septembre. Quel est votre ressenti?
Par rapport aux différents déplacements que j’ai pu faire, aux rencontres que j’ai eues, je m’aperçois de l’immense potentiel du cyclisme et de l’avenir prometteur de ce sport. Beaucoup de pays font du cyclisme un axe majeur du développement du sport chez eux. Je ressens cet engouement populaire autour de ce sport. Il y a la route qui attire toujours, le VTT, la piste qui est symbole de l’olympisme et toutes les composantes du cyclisme. On a une vraie possibilité de développer ce sport. On a un rôle à jouer. L’UCI fait partie des grosses fédérations mondiales.
Vous aviez notamment fait campagne sur les thèmes d’une meilleure gouvernance de l’UCI et d’une meilleure écoute des fédérations nationales. Cela reste vos priorités?
Plus que jamais. J’ai déjà rencontré beaucoup d’acteurs de différentes fédérations nationales ou les comités olympiques. Désormais, il me faut mettre en place le programme pour lequel je me suis engagé. Je veux passer d’un projet électoral à un agenda 2022. On va très prochainement annoncer des renforts au service des fédérations nationales. On a ce mercredi une réunion d’installation du nouveau fonctionnement du centre mondial du cyclisme. On a déjà eu des réunions internes, ce qui n’est pas visible pour le moment, pour structurer l’ensemble. L’objectif est d’être en ordre de marche vers la mi-2018. Je l’ai dit aux salariés de l’UCI : « N’oublions pas une chose, on est d’abord là pour être au service des fédérations nationales. »
J’aimerais qu’on arrive assez rapidement à l’interdiction des corticoïdes et du tramadol dans le monde du cyclisme
Fin 2018, il y aura une réforme du cyclisme sur route et du World Tour. Pouvez-vous en dire plus?
Pas pour le moment. Les premières réunions de travail se feront la semaine prochaine. Ce que je peux dire, c’est que notre modèle d’organisation du cyclisme professionnel commence à dater. On a besoin de faire du cyclisme professionnel un sport majeur à l’échelle planétaire. Pour ça, il faut que les acteurs de ce sport, les équipes, les coureurs, les organisateurs arrivent enfin à porter une vision commune et non plus être toujours en train de batailler, genre « je te prends ça, non ça c’est à moi… ». On a l’impression de débats un peu stériles entre ces différents acteurs. Personne d’autre que l’UCI n’est capable de les mettre autour de la table. L’objectif qu’on doit avoir c’est d’abord de se donner un calendrier et des objectifs de travail. Pour cela, il faudra qu’on soit d’accord sur le diagnostic. Quelles sont les visons stratégiques? Et enfin, comment on procède concrètement? Mais aujourd’hui, je ne peux pas en dire plus.
Vous aviez signifié être préoccupé par la manière de lutter contre la fraude technologique…
On a déjà avancé sur ce dossier. Mais on travaille en interne d’abord. Avant la fin de l’année, on devrait être en capacité de présenter un plan d’action. L’objectif, c’être prêt pour le début de saison 2018 avec le renforcement des moyens et des outils de contrôle. On aura ensuite à travailler de manière plus durable avec le monde scientifique pour trouver des solutions encore plus renforcées. Mais il y a urgence afin d’être opérationnel en début d’année. Pour l’instant, on ne communique pas avant d’avoir sérieusement travaillé le dossier.
La réduction du nombre de coureurs sur les grands tours (de neuf à huit par équipes) était actée avant votre arrivée à la tête de l’UCI. C’est une décision que vous approuvez?
J’ai soutenu cette idée et je trouve que c’est un bon compromis qui a été trouvé. Cela me semble aller dans le bon sens. Il n’y a pas de raison de modifier ça pour le moment.
En ce qui concerne l’utilisation des oreillettes en course, quelle est votre position?
Je n’ai jamais été un grand supporter des oreillettes. Pour autant, il faut appréhender ça dans un ensemble global des nouvelles technologies offertes aux coureurs. Il faut en définir les limites. Moi j’ai dit que je ne souhaitais pas qu’il y ait des oreillettes lors des championnats du monde et des Jeux olympiques, c’est clair. Mais je n’ai jamais été au-delà.
En ce moment, la réglementation concernant les corticoïdes et le tramadol, un puissant analgésique, fait débat…
J’aimerais qu’on arrive assez rapidement à l’interdiction des corticoïdes et du tramadol dans le monde du cyclisme. Que certaines substances comme le tramadol ne soient pas considérées comme des substances dopantes dans certains sports, peut-être… Mais au sein de l’AMA, il existe des interdictions globales et spécifiques dans certains sports. Moi, je ne demande pas à ce que ce soit interdit partout. Je ne m’occupe que du vélo. Il y a un problème dans le vélo, interdisons-le dans le vélo. Je pense également que les corticoïdes sont un problème. Il faut faire en sorte que si un coureur en a besoin, alors il s’arrête. Si on est malade, on se soigne. Et on est en repos. Et le problème se réglera. J’ai eu l’occasion d’en discuter récemment avec le président de l’AMA. Je voudrais qu’on avance sur le sujet pour 2019.
Brian Cookson, votre prédécesseur, a indiqué lundi qu’il entendait monter une équipe professionnelle de cyclisme féminin. Votre avis?
Je pense que Brian a toujours eu la passion du vélo. Qu’il veuille s’investir autour du cyclisme féminin est une bonne chose. Je ne peux que l’encourager. J’avais avec Brian des divergences sur la conduite de l’UCI. Pour autant, jamais on n’a eu de conflit personnel et jamais je n’ai mis en doute son attachement et son engagement pour notre sport.
Sur le sujet du cyclisme féminin, vous avez des idées pour le développer?
Il y a un gros potentiel pour le cyclisme féminin, mais il faut avoir des courses de référence. Il faudrait, je pense, que les équipes du World Tour soient plus solides financièrement. On a beaucoup développé des épreuves du World Tour. Mais toutes les équipes ne sont pas capables de suivre avec leur budget. Nous sommes allés un peu trop vite. Des avancées ont été faites et je pense qu’à l’avenir un certain nombre d’organisateurs devront se soucier davantage du cyclisme féminin. Il semble important que les grands organisateurs soient dans cette logique.
La sécurité en course est un thème récurrent car elle semble être mise à mal. Quelle est votre position?
C’est un sujet majeur qui revient de la part des coureurs. Des efforts ont été faits à la suite des évènements tragiques. Néanmoins, il en reste un certain nombre à faire. J’ai vu sur les réseaux sociaux un coureur qui était entouré par 15 motos. Ce n’est pas raisonnable. Les règles de circulation doivent être encore plus strictes. L’UCI a bien travaillé pour améliorer les choses au niveau du World Tour, mais cela n’a pas été encore le cas au niveau inférieur. Il faut avoir une sécurité accrue mais également un regard objectif sur le sujet. Des solutions ont été avancées.
Qu’on discute du nombre de coureurs par équipes, qu’on discute de la suppression ou non des oreillettes. Qu’on discute de la rigidité des vélos. Ce n’est pas non plus toujours que de la faute des véhicules suiveurs. Par exemple, qu’on n’entende plus les bruits de patins ou du frein à disque avec l’utilisation des oreillettes, ça peut sembler logique. Quand on pianote fréquemment sur son ordinateur de bord pour avoir toutes sortes de données, on est aussi moins attentif. En course, lorsque la route est sinueuse, ce n’est pas forcément là que ça tombe le plus. Par contre, ça arrive aussi en pleine ligne droite lorsque les coureurs regardent leurs données.
Jamais on n’a eu une vraie étude universitaire sur le sujet. D’abord, avons-nous plus de chutes qu’avant? Sont-elles, plus graves? À mon avis, oui. Quelles en sont les raisons? Je souhaite qu’on lance un vrai travail universitaire sur le sujet. C’est bien beau de phraser de manière générale. Et on prendra des mesures appropriées.
On a déjà avancé sur le dossier de la fraude technologique. Mais on travaille en interne d’abord. Avant la fin de l’année, on devrait être en capacité de présenter un plan d’action
Pour finir, le Tour de Luxembourg, qui reste l’épreuve par étapes majeure au pays, une épreuve historique du calendrier international classée hors catégorie, se retrouve fortement concurrencée. D’autres épreuves sont dans le même cas. Comment faire selon vous?
Dans l’absolu, on peut se dire que c’est bien qu’il y ait de plus en plus d’épreuves dans le calendrier mondial. Cela veut dire que le vélo se porte bien. Mais le nombre d’équipes n’étant pas exponentielles, cela pose la question de leurs participations sur les différentes épreuves du calendrier. Tout d’abord, la réduction du nombre de coureurs peut avoir un effet. Ensuite, pour nos organisateurs, il y a un problème d’ordonnancement. L’UCI, qui est le régulateur, doit veiller.
Dans la période de mai-juin, le nombre de courses est dense, c’est problématique. On ne va pas demander au Tour de Luxembourg de migrer en février, on est d’accord. C’est envisageable pour des pays comme le Portugal. D’autres nations pourraient décaler leurs épreuves. Tout est question d’adéquation entre les besoins et l’offre. L’UCI n’a sans doute pas toujours été assez vigilante. Je pense aux épreuves de Velon qui ont concurrencé en 2017 le Tour de Luxembourg. Ce n’est pas logique qu’on ait laissé faire.
Entretien avec Denis Bastien