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[Le portrait] Cédric Pries : ce «petit» est un grand


«Si j’ai quelque chose dans la tête, je le fais, quels que soient les sacrifices», explique Cédric Pries. (Photo : luis mangorrinha)

Cédric Pries n’a que 22 ans, mais possède déjà une longue expérience du cyclisme où il se pose avec naturel comme capitaine de route de l’équipe Leopard-TOGT dans laquelle il ne compte que des amis tant il est apprécié.

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On nous avait décrit un jeune homme atypique. Toujours souriant, affable. Malgré la cascade de pépins qui a pu accompagner sa jeune carrière. Un dur au mal comme le cyclisme sait en produire génération après génération. Un coureur attachant. Il ne nous faut pas longtemps, à le voir déambuler dans la maison de ville familiale, sise au centre de Remich, avec un jardin propret et une vue imprenable sur la Moselle ensoleillée, à le voir suivre d’un regard attendri les déambulations de Yola, son chat, pour comprendre que Cédric Pries coche effectivement toutes ces cases. Et tant d’autres encore.

Nous sommes lundi en fin d’après-midi, soit au lendemain d’une Tageblatt Flèche du Sud, comme toujours dévoreuse d’énergie. Sa démarche incertaine laisse voir les stigmates d’une course dure. «Je me sens comme un grand-père après une course», s’amuse-t-il malicieusement.

Il s’octroie de bonne grâce trois jours off et ne remontera sur son vélo qu’aujourd’hui, à Karlsruhe, dans le sud-ouest de l’Allemagne où il poursuit ses études d’ingénieur de construction en troisième année. Le rituel est huilé. Une oreille baignée au son de la techno, sa musique préférée (qu’il aime faire partager à ses potes de Leopard, jusqu’aux coureurs danois, pourtant plus adeptes de pop, d’où des plaisanteries à n’en plus finir…),  il s’entraînera dans des paysages «encore plus agréables qu’ici au Luxembourg», ce qui est peu dire. Avant de replonger le nez dans son ordinateur et ses notes.

Le voici, du haut de ses vingt-deux ans, bombardé cadre de l’équipe Leopard-TOGT, comme de la sélection nationale espoirs.  Alors que dix ans plus tôt, rien ne le prédestinait au cyclisme. Longtemps, il avait parcouru les terrains de foot, où il jouait du côté d’Itzig, comme défenseur central, avant de se raviser. «Je n’étais pas fait pour ce sport», glisse-t-il aujourd’hui. Il se lance dans la gymnastique, mais la discipline de fer orchestrée par un entraineur russe lui fait perdre tout plaisir.

Quand on évoque le scénario d’une course, c’est vrai que je ne me trompe que rarement

Il y gagnera des muscles saillants, le corps d’athlète qui font de lui aujourd’hui un coureur complet particulièrement à l’aise sur les routes belges et néerlandaises où il convient de jouer des épaules. Car celui que ses coéquipiers appellent affectueusement «le Petit», sait jouer des épaules lorsqu’il le faut. Avec son mètre soixante-quatorze, donc un centre de gravité bas, et ses soixante-six kilos, il est difficile à bouger. Il est surtout doté d’une rare science de la course. «C’est un coéquipier de rêve. Il fait tout pour l’équipe, s’engage pour toi. Il lit la course comme personne, prend toujours les bonnes décisions, et comme il est super gentil, il sait mettre une bonne ambiance. On se moque un peu de sa taille et on l’appelle « le petit« , mais c’est un grand coureur», raconte son coéquipier Mats Wenzel.

«J’ai une facilité pour faire ça, quand on évoque le scénario d’une course, c’est vrai que je ne me trompe que rarement», confirme-t-il sans surjouer.

Frank Schleck, coordinateur du cyclisme luxembourgeois qui l’a eu sous sa coupe en sélection, l’«adore» aussi pour les mêmes raisons. L’ancien vainqueur de l’Amstel et de l’Alpe-d’Huez loue la force et la qualité de son travail. Il regrette surtout que les années covid lui soient tombées dessus et aient freiné son éclosion à un moment crucial de sa jeune carrière.

Car depuis que Tom Klein, le compagnon de sa maman, Martine Hoffmann, lui a acheté un vélo de l’ancien espoir Jordi Wagner, machine qui trône encore dans le garage familial, et dont Cédric ne se séparera sans doute jamais, une nouvelle passion lui est presque instantanément tombée dessus. «Pierrette et Nico, les parents de Tom, m’ont encouragé. Eux deux étaient plus sportifs que moi. Des fous de vélo. Ils roulaient jusqu’à 30 000 kilomètres par an!»

Si en 2013, date de ses débuts dans le cyclisme, Cédric Pries, licencié au VC« Schengen avec Arthur Kluckers, n’avait encore jamais suivi une étape du Tour de France en direct, donc rien vu des exploits des frères Schleck et de Kim Kirchen, dix ans plus tard, il campe un cycliste aguerri. Qui en a vu de toutes les couleurs. Qui a même frôlé le pire en course…

Nous sommes le 6 mai 2018. Sur la 4e étape de la course de la Paix juniors, quelque part entre Benešov nad Ploučnicí et Terezin, en République tchèque, une étape que remportera un certain Remco Evenepoel. Il garde en mémoire le bloc de béton sur lequel il allait s’écraser avec fracas. Il oubliera le reste. «Je sais que je venais de boire, j’étais avec Loïc Bettendorff, j’avais le bidon dans la main et ma roue avant a heurté un trou sur la chaussée…»

On m’a dit : « tu pourras être heureux si tu remarches un jour »

Il se réveille dans l’ambulance, comprend l’urgence de la situation lorsqu’il voit le médecin de la course, et Christian Helmig, le directeur technique national qui accompagnait la sélection sur la course. À l’hôpital, il voit encore ses grands-parents, présents justement sur la course. Après trois jours de coma artificiel, il prend conscience de son «état critique» et de sa litanie de blessures. Qu’il énumère aujourd’hui posément, sans ciller, avec le regard de ceux qui se sont mariés jeunes au destin :  «J’avais deux vertèbres de cassées, deux fractures de l’épaule droite, sept côtés cassées, les poumons perforés.» Sur place, par crainte, on refuse de l’opérer. «On m’a dit : « tu pourras être heureux si tu remarches un jour« ».

Deux semaines plus tard, Air Rescue le transfère au Luxembourg où, pour l’anecdote, avant l’atterrissage, il a le loisir de survoler l’ING Marathon. Il sera opéré avec succès par le docteur Georges Decker.

Il ne garde pas de séquelles si ce n’est des douleurs persistantes, «ces cicatrices» qui se baladent et cette nécessité de placer si souvent son corps musculeux entre les mains de kinés.

La liste de ses bobos ne s’arrête pas à 2018. L’année suivante, il repasse sur le billard pour corriger une arythmie cardiaque aujourd’hui jugulée. Puis l’année covid est donc venue clôturer «trois années difficiles». Il n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort.

Alors lorsqu’en 2011, il se fracture une clavicule sur le Tour de l’Avenir, il n’a qu’une hâte, se relancer pour, quelques semaines plus tard, prendre la 21e place des Mondiaux espoirs du côté de Louvain.

Tel est Cédric Pries, besogneux, courageux. «Je n’ai pas le talent d’un Remco (Evenepoel), mais je sais travailler pour me donner la chance de passer pro. Cela me donne de la motivation pour m’entraîner et progresser. J’ai ce côté têtu de ma mère (rires). Si j’ai quelque chose dans la tête, je le fais, quels que soient les sacrifices.» Car le coureur de Remich, qui aime cuisiner à ses heures perdues, fan de Wout van Aert, entraîné par Michel Wolter, soutenu par toute sa famille, son jeune frère et ses deux sœurs, et bien sûr son beau-père, Tom Klein, a tout d’un grand!