Andy Schleck est un ambassadeur de choix sur le Tour de France, qu’il a remporté voici pile 15 ans. Le Mondorfois revient sur son succès, dit ses fiertés de l’avoir emporté, évoque ses relations avec Alberto Contador et porte son regard affûté sur le duel attendu Pogacar-Vingegaard.
Andy Schleck, 40 ans, vainqueur du Tour de France 2010, est aujourd’hui ambassadeur de Skoda sur le Tour de France. Quinze ans après son succès forcément particulier, puisqu’il l’a remporté sur tapis vert après le déclassement d’Alberto Contador (jugement prononcé le 6 février 2012 par le Tribunal arbitral du sport), le Mondorfois revient sur le temps qui est passé, comme sur l’édition 2025. Et comment souvent avec Andy Schleck, c’est passionnant!
Quinze ans après, vous reparle-t-on souvent du Tour de France 2010 ?
Andy Schleck : Pas trop en fait. Je n’y repense pas trop. Treize, quatorze, quinze ans. C’est juste un signe que je suis en train de vieillir et que le temps passe. Le mois de juillet est toujours un mois particulier. Dans ma vie, tout tourne un peu autour du vélo et la période du Tour est à part. Ces deux dernières années, c’était un mois difficile. Il y a deux ans, j’ai appris que ma mère était souffrante et elle est décédée l’an passé pendant le Tour. Je suis entre deux sentiments. J’ai hâte que ça commence, car j’éprouve du plaisir à être sur le Tour.
Maintenant, partir un peu plus de trois semaines en été loin de ma famille, cela devient de plus en plus dur. Je suis honnête avec ça. Mes deux enfants ont 14 ans (Téo) et 8 ans (Lou), donc papa devient plus important pour eux, car de leur point de vue, il fait des choses plus cools que la maman (rire). Je leur manque un peu plus que lorsqu’ils étaient plus petits. Le plus grand veut jouer au foot, au basket, au tennis de table. Le plus petit est davantage focalisé sur le théâtre, il adore la musique et aime écrire des petites histoires, il a un petit côté artiste. Ils sont complètement différents. Pour eux, comme pour moi, ça devient plus dur de partir pour le Tour et ses trois semaines et demie sans coupure. Mais ça fait partie de ma vie.
Le Tour de France, ce n’est pas un trophée dans une vitrine. C’est une mémoire
Évoquons le Tour 2010. Vous en gardez quoi aujourd’hui ?
Plus le temps passe, quand bien même je n’ai pas le souvenir du succès en jaune sur les Champs-Élysées à Paris, plus je suis fier de ce Tour de France. Fier de l’avoir remporté, même si cela s’est décidé par après. La mémoire me fait défaut, forcément, mais je ne peux pas changer les choses. Voici quelques jours, je me trouvais dans un podcast avec Bradley Wiggins (NDLR : vainqueur du Tour de France 2012). On parlait de ça. Il y a dix ans, c’était moins dans mon cœur. Aujourd’hui, je suis présenté en tant qu’ancien vainqueur du Tour de France et c’est comme ça dans la tête. Le Tour de France, ce n’est pas un trophée dans une vitrine. C’est une mémoire. Et les souvenirs que j’ai de ce Tour sont extraordinaires.
Même les moins bons souvenirs comme mon saut de chaîne survenu dans le port de Balès où j’ai déraillé (NDLR : le 19 juillet 2010, lors de la 15e étape, Andy Schleck, porteur du maillot jaune, a été victime d’un saut de chaîne alors qu’il attaquait ses rivaux dans l’ascension du Port de Balès dont le sommet était situé à 21 kilomètres de l’arrivée. En faisant croire qu’il ne l’avait pas vu, Alberto Contador avait profité de cet incident pour le contrer et était parvenu à Bagnères-de-Luchon, où Thomas Voeckler avait remporté l’étape, avec 39 secondes d’avance sur le Luxembourgeois. C’est avec cet écart que Contador s’était imposé dans le Tour dans un premier temps devant Andy Schleck. Avant d’être déclassé pour un contrôle antidopage positif…). Les deux succès d’étape que j’ai eus sur ce Tour (Morzine et Tourmalet), mon panache comme la guerre entre Alberto Contador et moi font que ce Tour 2010 me procure, aujourd’hui encore, beaucoup d’émotion.
Alberto (Contador) me montre les voitures qu’il achète et moi je lui montre mon chien qui grandit (…) mais on ne parle pas du Tour de France 2010…
Vous en avez reparlé avec Alberto Contador lorsque vous l’avez croisé ces dernières années sur le Tour de France ?
Sur le Tour, oui, on se croise. Il me montre les voitures qu’il achète et moi je lui montre mon chien qui grandit. Quand il est là, il vient tous les matins au stand Skoda pour parler. Le temps passe, on est adultes, mais on ne parle pas de ce Tour de France, bien sûr. Alberto pense toujours qu’il est vainqueur, comme je pourrais dire qu’en 2009, je suis aussi le vainqueur (NDLR : Andy Schleck avait terminé deuxième derrière le même Alberto Contador). C’est blanc ou noir. S’il veut considérer ça comme ça, c’est son choix, il n’y a pas de guerre pour autant. Alors, on parle plutôt de notre vie actuelle, de notre séjour sur le Tour. Je fais aujourd’hui le Tour de France en dehors de mon métier, l’entrepreneuriat avec mes deux magasins de cyclisme (Itzig et Mertert). C’est assez rare, je pense, et je suis fier d’être parvenu à construire autre chose que mon rôle d’ambassadeur sur le Tour. J’ai des employés, des entreprises, mais j’apprécie bien sûr mon rôle durant ce mois de juillet. Je vois ça avec d’autres yeux que d’autres.
Revenons au Tour de France 2025 où, pour la troisième fois en dix ans, il n’y aura pas de Luxembourgeois au départ…
C’est un peu triste, mais qu’y faire? On n’est pas à la place des équipes et on ne fait pas les sélections. Pour autant, le Luxembourg a un très bon niveau d’ensemble aujourd’hui. Je ne trouve pas que le cyclisme luxembourgeois soit sur la pente descendante. Un très bon travail est effectué par les clubs, la fédération et, je me tape sur l’épaule, par le Tour de Luxembourg (NDLR : dont il est l’organisateur). Je serai le seul Luxembourgeois sur le Tour de France (rire).
Sur le papier, il y a cinq étoiles sur Pogacar et quatre étoiles sur Vingegaard. Mais la réalité est différente
Comment évaluez-vous cette édition. On reprend les mêmes et on recommence ?
Oui, ça a l’air de se présenter comme un nouveau duel entre (Tadej) Pogacar et (Jonas) Vingegaard. Mais attention, il y a 21 étapes, une première semaine qui, sur le papier, ne s’annonce pas trop dure, mais ce n’est pas le profil qui fait la dureté de la course. On aura un départ très nerveux, avec une première semaine très stressante pour les coureurs. La plupart des coureurs qui visent un top 10 voudraient directement monter le mont Ventoux le premier jour. Ce sera dur pour les équipes et les leaders qui devront être attentifs du kilomètre zéro à l’arrivée. Il ne faut pas commettre de fautes, il faut être organisé avec son équipe, beaucoup de choses peuvent se passer. Sur le papier, il y a cinq étoiles sur Pogacar et quatre étoiles sur Vingegaard. Mais la réalité est différente. C’est compliqué à expliquer ce sentiment.
Expliquez-nous…
Moi, j’étais dans le peloton et je ressens les choses comme ça. Je pense qu’il faut avoir eu un dossard sur le dos, avoir vécu le grand départ et avoir roulé une étape à 50 km/h, avec du vent et des bordures, pour comprendre ce que ressentent les uns et les autres. Il suffit d’une faute pour tourner totalement le livre de gauche à droite. Pogacar est en top forme. Vingegaard est encore un peu plus fort que sur le dernier Dauphiné, où il était déjà fort. On ne va parler du classement que lorsqu’on arrivera dans la montagne. C’est là où ça va se jouer. À voir si l’un des deux a déjà du retard ou non. S’il s’agit de trois, quatre minutes, sait-on jamais, il faut pouvoir reprendre ce temps. On l’a vu sur le Tour d’Italie (NDLR : Simon Yates a renversé la situation dans l’avant-dernière étape face à Isaac Del Toro). Un col a suffi pour renverser le classement général. Il ne faut pas sous-estimer Vingegaard, qui a pris sur le Dauphiné du temps sur Pogacar qui était en forme. Visma sait comment faire pour faire craquer Pogacar. Ils l’ont déjà fait. C’est aussi Pogacar qui a la plus grande pression sur les épaules. Heureusement pour lui et malheureusement pour ses rivaux, il sait très bien gérer cela. Il a encore ce côté joueur et je ne pense pas que cela soit une farce, c’est bel et bien la réalité. On sent qu’il va au Tour de France avec plaisir et qu’il veut le gagner. Mais ne sous-estimons pas Vingegaard. J’espère qu’on aura un Tour de France très intéressant.
Souvent, par le passé, on vous a demandé qui, de Pogacar ou de Vingegaard, vous inspirait le plus de sympathie. Au début, vous étiez fan de Pogacar, puis ce fut de Vingegaard. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
J’ai pris position de façon très honnête. Si Vingegaard a le maillot jaune, je serai pour Pogacar. Si Pogacar a le maillot jaune, je serai pour Vingegaard. J’ai toujours plus d’affection pour le deuxième…
Vous êtes donc devenu français en fait ?
Peut-être, oui (rire).

