Alex Kirsch est actuellement en stage avec son équipe Lidl-Trek sur les routes espagnoles. Le coureur luxembourgeois, adepte des classiques flandriennes et lanceur de Mads Pedersen, fait le point sur sa saison 2024 et évoque plusieurs sujets d’actualité.
Vous avez terminé votre saison assez tard après le Tour du Guangxi. Vous avez bien récupéré ?
Alex Kirsch : Oui, je suis allé en vacances en Thaïlande avec ma famille. Puis j’ai repris il y a déjà un mois de cela chez moi, en Andorre. Je me sens bien. Je suis content, j’ai mes repères. La grande différence, c’est que la saison a été plus longue qu’habituellement.
Lorsque vous vous retournez vers 2024, quels sont vos sentiments ?
Il s’agissait d’une saison bizarre, mais je suis très content de la façon dont je l’ai gérée. Au niveau physique, c’était ma meilleure saison. Et j’ai eu cette chute dans «À Travers la Flandre», où je me suis cassé la main. Puis le fait d’avoir raté le Tour a été frustrant (il avait chuté dans la 5e étape du Dauphiné). Sans ça, j’aurais eu une saison parfaite, je pense. J’avais atteint mes objectifs dans les classiques (10e du GP E3, 15e de Kuurne-Bruxelles-Kuurne et 20e du Nieuwsblad) où j’étais compétitif. Il y a cette dixième place à Harelbeke, mais je me suis retrouvé devant dans toutes ces premières classiques. Du coup, s’arrêter là et devoir faire l’impasse sur le Tour des Flandres et Paris-Roubaix a été difficile. D’un côté, je m’étais prouvé quelque chose et c’est bien de l’avoir fait. Après, ma non participation au Tour de France ne m’a pas trop fait perdre le sommeil. Car dès lors, j’ai eu les Jeux olympiques en tête (40e de la course en ligne à Paris). Et puis j’ai pu faire un beau résultat au Tour de Wallonie (3e du classement général).
Il y a vos objectifs personnels et vos objectifs d’équipe…
J’essaie toujours de concilier tout ça, mes objectifs, ceux de l’équipe qui sont souvent ceux de Mads (Pedersen). J’ai atteint mes objectifs personnels, mais pas ceux de l’équipe à cause de ces deux chutes. Mais sinon, cela restera une bonne saison.
Pour en revenir aux classiques flandriennes, on a l’impression que vous faites partie désormais des 25 coureurs qui comptent dans ce secteur. Vous confirmez ?
On voit aussi que le style a changé. Dès que tu fais partie de ce groupe restreint de 25 coureurs, tu peux envisager des top 5. Il y a trois, quatre coureurs qui restent au-dessus des autres et ensuite, il y a de la place. Dans le Grand Prix E3, j’ai roulé toute la course pour Mads (Pedersen) et Jasper (Stuyven) et finalement, une fois que les meilleurs sont partis, il y a une deuxième course qui commence. Il y a trois ans, cela n’était pas le cas pour moi.
À mon âge (32 ans), on sait mieux se préparer, on est plus calme dans tout ce qu’on entreprend.
Vous continuez de progresser ?
Je le pense, je prends tous les bénéfices de l’expérience. Les jeunes sont très forts, mais en manquent. À mon âge (32 ans), on sait mieux se préparer, on est plus calme dans tout ce qu’on entreprend. Il y a moins de risque de se louper. Je progresse aussi physiquement, on peut mesurer ça.
Vous êtes devenu le coureur attaché à Mads Pedersen. Vous allez continuer de construire votre carrière à ses côtés ?
Je le pense. Durant ce stage de décembre, on parlera plus concrètement de la prochaine saison. Avec Mads, on a besoin l’un de l’autre. Après, l’élaboration de la saison se fait assez naturellement. Je suis avec lui sur la préparation des classiques, il n’y a pas beaucoup d’options. On a donc à peu de chose près le même calendrier chaque année. Cela ressemblera donc à ce qu’on a fait ces dernières années avec les courses par étapes françaises en début de saison. On reste ouverts aux améliorations, mais il ne faut pas se détourner de ce qui marche. J’ai mes repères, c’est utile pour savoir où on se trouve par rapport aux saisons passées.
Avec internet, la connaissance sur l’entraînement est aujourd’hui rapidement partagée
Vous êtes devenu un coureur d’expérience. Comment vivez-vous l’évolution du cyclisme avec les jeunes qui arrivent au sommet de plus en plus tôt, ce qui n’empêche d’ailleurs pas les trentenaires comme vous de continuer à progresser ?
Je n’ai pas passé mon temps à penser à ça (rires). Mais la plus grande différence, c’est la connaissance sur l’entraînement. Avec internet, tout est aujourd’hui rapidement partagé. Je pense que le covid a changé le cyclisme. Avant, on faisait beaucoup de choses par habitude. On faisait beaucoup plus de courses. La préparation se faisait là. Avec le confinement, les entraîneurs ont eu un autre travail à faire. Les jeunes bénéficient de plus d’informations qu’à l’époque où j’étais espoir, je pense. On s’entraînait sérieusement, mais avec moins de connaissances. C’est aussi pour ça que je continue de progresser. L’autre chose, c’est que le sport demande beaucoup au sportif. Parfois, c’est compliqué à gérer mentalement. Lorsque tu es plus âgé, ta famille t’aide à te stabiliser et alors, c’est peut-être plus facile à gérer. Un jeune de vingt ans peut avoir tendance à penser qu’il n’y a rien d’autre dans la vie que le vélo et que chaque entraînement compte. Lorsque tu as de l’expérience et qu’il y a des moments un peu plus compliqués – comme lors de ma fracture de la main ou ma non sélection du Tour – tu n’en perds pas le sommeil. Un jeune de vingt ans sera sans doute plus affecté que moi.
Le cyclisme évolue aussi avec la fréquence et la gravité des chutes, que ce soit en compétition ou à l’entraînement. L’an passé, vous avez été concerné à deux reprises, ce qui a chamboulé toute votre saison. Quel est votre regard ?
Je pense qu’il faut scinder ce problème en deux. Les chutes à l’entraînement, ce n’est pas nouveau. On ne peut pas pointer les voitures, car on roule sur routes ouvertes. On doit contribuer à ce qu’il y ait plus de respect entre vélos et voitures. Le cycliste est plus fragile, donc on doit faire attention. En course, c’est un problème. La cause est assez simple selon moi. Le niveau du peloton est beaucoup plus élevé qu’il y a dix ans, ou même cinq ans. On vient juste de l’évoquer. On retrouve plus de coureurs dans les moments critiques. Et ces moments critiques ne sont plus les mêmes qu’il y a cinq ans.
Expliquez-nous…
Il y avait plus de lâchés. Il suffisait d’une grande accélération et la moitié du peloton était décrochée. On l’a vu sur le Nieuwsblad qui se terminait de manière débridée avec de petits groupes. Aujourd’hui, on a souvent des sprints de 30 à 40 coureurs. Le parcours reste pourtant le même. Les coureurs sont meilleurs et on ne peut pas le changer. Je pense aussi que le matériel est meilleur. C’est l’évolution du sport. Reste à trouver des solutions.
Votre avis ?
Je ne suis pas d’accord avec l’UCI, qui demande aux coureurs de faire plus attention. Si on écoute le président de l’UCI (David Lappartient), on a l’impression que nous sommes tous des malades, qu’on prend toujours plus de risques. J’ai lu récemment un article qui faisait la comparaison avec la formule 1, qui a fait le choix de permettre l’élaboration de voitures de plus en plus rapides. Les voitures sont plus solides, mais les organisateurs ont fait le choix de changer les circuits. L’UCI émet l’idée de restrictions de vitesse, mais en même temps, on peut peut-être penser à changer les parcours. Par exemple, sur le dernier «À Travers la Flandre», dans cette grande chute (où le Belge Wout Van Aert a également été touché), ce n’était pas une route dangereuse en soi, car à cet endroit, la chaussée est longue et large. Mais ça arrive juste avant le Kanarieberg, où la course commence réellement. C’est très dangereux d’avoir une grande route où tout le monde peut remonter pour se positionner avant le virage amenant au mont. Ce jour-là, on avait vent de face, ce qui permettait justement de venir se replacer de l’arrière.
Vous préconisez quoi ?
D’écouter les coureurs, car ils ont l’expérience. Ils savent quels sont les moments critiques. Il faut ajuster les parcours. Sur la chute survenue sur le Dauphiné (à une vingtaine de kilomètres de l’arrivée de la 5e étape à Saint-Priest, des dizaines de coureurs sont tombés et la course a été neutralisée), il y avait du savon ou de l’huile dans une descente sous la pluie. Ce n’est pas la faute des coureurs. Si le premier tombe, tout le monde tombe.
Si le Tour de France réussit à proposer des parcours plus sûrs, pourquoi les autres organisateurs ne réussiraient-ils pas?
Récemment, les organisateurs des courses cyclistes, réunis en Italie, ont étudié la possibilité d’introduire une voiture de sécurité lors des compétitions, notamment en cas d’intempéries. Une bonne idée ?
Je n’étais pas au courant, oui, pourquoi pas? Après, si on prend une course comme le Tour de France, c’est la meilleure organisation possible aujourd’hui. Le problème, c’est que le Tour de France n’est pas le standard alors qu’il devrait l’être. Il manque simplement encore de la communication entre les coureurs et l’UCI. Aujourd’hui, on pointe le doigt vers l’autre. On ne sait même pas ce qui est dangereux. Je me souviens de certains discours avant Paris-Roubaix et la mise en place d’une chicane visant à réduire la vitesse du peloton avant la forêt d’Arenberg. On entendait que cela aurait l’effet inverse par exemple, alors que cela n’a pas été le cas. On n’est pas rentrés à 70k m/h, donc l’initiative a été bonne. Je pense que beaucoup de changements sont possibles. En Flandre par exemple, il y a cent chemins possibles pour arriver au même point. Pour les courses par étapes, c’est bien sûr plus compliqué. Mais si le Tour de France réussit à proposer des parcours plus sûrs, pourquoi les autres organisateurs ne réussiraient-ils pas?
Concernant l’évolution du matériel, est-ce qu’il y a des choses à améliorer ?
Je ne le pense pas. L’évolution est bonne avec les pneus tubeless qui ont plus de grip, donc meilleurs sous la pluie. Certes, l’évolution des vélos aide aussi à rouler plus vite. L’amélioration du matériel correspond à l’évolution du sport. On veut que notre voiture soit plus performante. C’est pareil dans tous les domaines. Les équipes de cyclisme sont aujourd’hui dépendantes des sponsors qui cherchent à développer le meilleur matériel. Mais le problème n’est pas là. Concernant les freins à disque, je pense aussi que c’est plus sûr.
Quel regard portez-vous sur le sujet des oreillettes ?
On a essayé de les enlever cette saison comme sur le Tour de Pologne et cela s’est très mal passé. On n’est pas passé loin de la catastrophe. Des coureurs qui étaient tombés sont restés dans le ravin sans que les directeurs sportifs en soient informés. Aussi, il faisait chaud sur la course, donc les directeurs sportifs revenaient sans cesse au peloton. Cela a généré du stress. Avec les oreillettes, c’est plus rapide et plus précis. Certes, parfois avec les oreillettes, on a parfois trop d’informations, mais il faut regarder ça dans le sens global du sport. Les coureurs d’expérience savent qu’il ne faut pas être tout le temps placé. Notre équipe est d’ailleurs un bon exemple pour ça. C’est le mélange d’un bon directeur sportif et d’une équipe très expérimentée. On connaît les courses par cœur. Mais la décision de l’UCI d’abandonner l’idée de retirer les oreillettes est une bonne chose.
Pour finir, vous vous trouverez en fin de contrat à la fin 2025…
Oui, j’aimerais continuer à faire du vélo (rires). Je suis ouvert pour rester dans mon équipe. On n’a pas encore abordé le sujet.