Du haut de ses trente ans, le coureur luxembourgeois de l’équipe Trek-Segafredo est un cadre placé au service de Mads Pedersen. Mais pas seulement.
Depuis Calpe où l’équipe Trek-Segafredo termine son stage de décembre, Alex Kirsch a pris le temps de se projeter sur la saison 2023 et de revenir sur quelques faits marquants de l’exercice écoulé. Du haut de ses trente ans, le rouleur luxembourgeois, qui excelle dans le rôle de capitaine de route sur les classiques flandriennes auprès du Danois Mads Pedersen, porte un regard éminemment intéressant sur son métier et son évolution.
Comment se passe votre stage de préparation?
Alex Kirsch : Il se termine ce mercredi. Cela se passe bien, on a bien travaillé au soleil. Comme les années précédentes, en fait…
On imagine que votre programme collera à celui de Mads Pedersen. Ce sera encore le cas?
Oui, on va commencer sur l’Étoile de Bessèges (1er-5 février), comme presque chaque année. On enchaînera avec le Tour de Provence (NDLR : prévu du 9 au 12 février, il est fortement menacé). Puis on se retrouvera rapidement au week-end d’ouverture (Het Nieuwsblad, puis Kuurne-Bruxelles-Kuurne les 25 et 26 février). Après, il y aura Paris-Nice (5-12 mars), Milan-San Remo (le 18 mars), puis on reprendra toutes les classiques flandriennes jusqu’à Paris-Roubaix (9 avril). L’idée, ensuite, est de participer au Tour d’Italie (6-28 mai) avec Mads Pedersen.
Ce serait une première pour vous. Le Giro vous attire-t-il?
Oui, l’idée est de me concentrer sur mon rôle de poisson-pilote avec Mads (Pedersen), car il a l’ambition d’y remporter des étapes, comme il a pu le faire jusqu’ici au Tour d’Espagne et au Tour de France (en 2022, l’ancien champion du monde danois a remporté une étape du Tour de France et trois étapes du Tour d’Espagne). Je suis très content avec cette idée.
Justement, l’idée est-elle de doubler Tour d’Italie et Tour de France?
Normalement, si Mads fait le Tour, ce serait l’idée, oui…
Cela ne fait-il pas beaucoup après une campagne de classiques?
Je pense que j’ai l’âge et la maturité suffisante pour y parvenir. Je n’ai pas peur de ce challenge. Après, ce programme n’est pas certain. Il faudra d’abord réussir une belle campagne de classiques. Puis on enchaînera avec le Giro, que je vais découvrir, et on verra bien en temps voulu comment on se sentira physiquement et mentalement. Mais Mads a cette idée de remporter sur un an une étape dans chaque grand tour…
En fin de saison, je me fais reprendre dans le dernier kilomètre de Paris-Tours. J’étais proche d’une victoire dans une très grande course. Cela m’a ouvert les yeux
La déception de votre abandon pour cause de maladie sur le dernier Tour de France est-elle effacée?
Oui, c’était dur sur le moment, mais j’avais tellement souffert que j’étais presque soulagé. Je n’ai pas eu le temps de m’appesantir là-dessus. Il y a eu la Vuelta ensuite. J’ai récupéré, puis je me suis projeté sur le Tour d’Espagne. Sûrement que je m’étais mis trop de pression pour le Tour. Je voulais m’entraîner plus dur, performer plus dur. Je ne sais pas si ma maladie a été liée à ça. Pour l’avenir, je m’efforcerai de rester plus calme, plus confiant en mes capacités.
Vous donnez l’impression de progresser constamment année après année. Comment vous situez-vous dans votre carrière au moment de vous lancer dans votre cinquième saison chez Trek-Segafredo?
La saison 2022 était une année très importante. Lorsque je suis passé en World Tour, je voulais réaliser ce type de saison. Être présent sur les classiques, capitaine de route et poisson-pilote sur les plus grandes courses. J’y suis arrivé, saison après saison. J’ai atteint cet objectif. J’ai l’impression que mes meilleures années commencent maintenant. J’espère encore m’améliorer, mais je voudrais pouvoir me concentrer pleinement sur les quatre saisons à venir. Je me vois moins me concentrer sur le développement, mais réussir davantage de bonnes performances.
Si je repense au Nieuwsblad de la saison 2022 (15e après avoir effectué beaucoup de travail pour Jasper Stuyven), je suis optimiste. Je savais auparavant que cette classique me convenait, mais là, j’ai su suivre les dix meilleurs coureurs. J’étais à l’arrivée dans le groupe qui arrivait pour la deuxième place. Il s’est passé la même chose sur Gand-Wevelgem et dans beaucoup de classiques. En fin de saison, je me fais reprendre dans le dernier kilomètre de Paris-Tours. J’étais proche d’une victoire dans une très grande course. Cela m’a ouvert les yeux. C’est une chose de penser qu’on peut le faire, mais c’est encore autre chose de pouvoir le faire. L’objectif que j’avais est atteint, maintenant, il me faut concrétiser des choses.
Pour y parvenir, vous travaillez des points particuliers?
Je n’ai jamais trop aimé changer complètement de direction, car je n’ai jamais connu de régression, je continue à m’améliorer. Je pense qu’il n’y a pas grand-chose à changer. J’ai la conviction que je fais désormais partie des meilleurs coureurs. J’ai vu également que, sur les chronos, je suis vraiment proche des bons rouleurs. C’est un point sur lequel je vais me concentrer un peu plus la saison prochaine.
À trente ans, vous arrivez encore à trouver à l’entraînement des façons de progresser?
La base de l’entraînement reste toujours la même. Il faut faire beaucoup d’heures sur le vélo et consentir beaucoup de sacrifices. Il faut bien gérer son poids et l’alimentation. L’expérience permet de ne pas commettre d’erreurs. Avec les années, on arrive à mieux comprendre comment récupérer avec les charges de travail. Si tu progresses chaque année, tu ne changes pas de méthode.
La science avance. Quand je suis passé professionnel, il n’y avait pas d’entraîneurs dans chaque équipe. Pas de nutritionniste non plus
Vous comprenez mieux votre corps aujourd’hui qu’à vos débuts?
Oui, bien sûr. La science avance. Quand je suis passé professionnel, il n’y avait pas un entraîneur dans chaque équipe. Pas de nutritionniste non plus. Cela n’a plus rien à voir. L’expérience permet de mieux appréhender son métier. On reste plus calme. On sait lorsqu’il faut s’entraîner dur ou non. Lorsqu’il est temps de récupérer. C’est même un aspect plus important que l’entraînement proprement dit. Tout le monde s’entraîne comme un malade. À l’âge de trente ans, même si j’ai commencé plus tard, je me sens proche des limites. C’est plus la tête et l’expérience qui vont faire des différences.
Vous continuez de dresser des plans d’entraînement pour des coureurs amateurs, comme vous le faisiez à un moment donné?
Oui, mais uniquement pour des copains, de manière sélective.
Et, là aussi, vous progressez?
(Il rit) Oui, chaque année, on voit les choses de façon plus objective. C’est plus facile de comprendre certains aspects de l’entraînement sur d’autres personnes que sur vous-même.
D’ailleurs, comment comprenez-vous le phénomène observé depuis plusieurs années déjà, où on voit de plus en plus de très jeunes coureurs passer professionnels?
Je réfléchis souvent sur ce phénomène, mais je n’ai pas encore trouvé la réponse parfaite. Une des raisons, c’est que, sûrement, toute la science et les capteurs de puissance qui sont aujourd’hui utilisés chez les jeunes aident à faire les choses plus vite, à les entraîner de façon plus scientifique. Ils réalisent des choses en juniors que nous faisions en espoirs. Ils font tout plus vite que nous ne le faisions. Ils ne gâchent aucun temps. À notre époque, on ne savait pas faire mieux. Peut-être que dans dix ans, on se demandera : mais qu’avons-nous fait à l’entraînement?
C’est naturel qu’il y ait une amélioration dans tous ces aspects. L’autre chose, c’est que les équipes s’intéressent à ça. Il y a certainement plus de pression pour les jeunes. Nous, on ne pensait pas passer professionnel dès l’âge de 19 ans. On se donnait beaucoup plus de temps. Il y avait moins de focus sur le vélo. Aujourd’hui, on sait qu’il faut passer au plus vite les étapes afin de trouver une place dans une des équipes de développement, puis passer professionnel assez vite. Je ne sais pas si c’est mieux ou pas pour les jeunes. Pour le moment, c’est comme ça. Pour leur vie, ce n’est peut-être pas si bon. Ils loupent sans doute d’autres expériences pour leur jeunesse et aussi quelquefois un plan B en ce qui concerne leurs études. C’est le cas dans le foot depuis des années. Le sport évolue, il y a plus d’argent dans le sport. Mais quand je dis ça, je remarque que je suis très content de ne plus être jeune. J’ai pu prendre un autre chemin.