La CSL estime que les transferts sociaux, ancrés dans le budget de l’État 2026, ne représentent pas 46 % mais seulement 34 % des dépenses. Un déficit majeur au vu du taux de pauvreté élevé.
Présentation après présentation est pointée la triste situation qu’au Luxembourg la pauvreté guette près d’un cinquième de la population. Parmi les 18 à 25 ans, le risque de tomber dans la précarité augmente à 30 %, une hausse de 10 % sur 10 ans. Les monoparentaux pointent à 32 %, les familles nombreuses à 38 %. Un salarié sur sept est un travailleur pauvre. Et puis, n’oublions pas le triste fait qu’un enfant sur quatre est menacé de pauvreté.
«Pourtant, le projet de budget de l’État pour 2026 ne prévoit aucune nouvelle dépense pour lutter contre la pauvreté. Le gouvernement clame toujours que la politique sociale est une de ses priorités absolues. Mais, il n’y a pas d’enveloppes pour venir en aide aux jeunes, aux familles, aux travailleurs pauvres», s’étonne Nora Back, la présidente de la Chambre des salariés (CSL).
Revoir à la hausse les allocations
Comme bon nombre d’acteurs, elle attend avec impatience le Plan national de lutte contre la pauvreté. Même sans connaître les pistes qui vont figurer dans ce document, il aurait été nécessaire, «au vu de la situation, de prévoir davantage de mesures sociales» dans le budget 2026. «Il est important que les aides proposées seront facilement accessibles. Miser uniquement sur une simplification administrative ne sera toutefois pas suffisante. Il nous faut revoir à la hausse les allocations familiales, la pension minimale, les aides pour les pensionnaires d’une maison de retraite et prendre des mesures spécifiques pour la jeune génération», complète Sylvain Hoffmann, le directeur de la CSL.
Ne vaudrait-il pas mieux consacrer les centaines de millions d’euros supplémentaires pour la défense à d’autres domaines stratégiques? La question est posée par la CSL, qui voit d’un œil critique la hausse «explosive» de l’effort de défense, à 2 % du revenu national brut (RNB) dès cette année, et à 5 % à l’horizon 2035.
Sur la base du RNB estimé pour 2026, l’État devrait débourser, en 2035, au moins 3,2 milliards d’euros pour respecter son engagement vis-à-vis de l’OTAN. Le Conseil national des finances publiques (CNFP) estime que l’effort de défense pourrait même augmenter à 4,63 milliards d’euros.
«Il serait plus opportun d’allouer ces montants excessifs à d’autres causes internationales, telles que la protection du climat, la réduction des inégalités sociales ou l’aide au développement. Ces investissements pourraient contribuer à prévenir les conflits. Ou, à défaut de pouvoir miser sur la voie diplomatique, il faudrait investir pour renforcer notre autonomie stratégique, notamment dans le domaine de l’énergie», développe Sylvain Hoffmann.
La CSL martèle que les investissements dans la défense ne doivent pas se faire au détriment des défis sociaux majeurs que doit relever le Luxembourg. Il s’avère néanmoins que les dépenses militaires augmenteront de 150 % d’ici 2029, tandis que l’enveloppe pour le logement abordable stagne (voir graphique ci-contre).
«Il n’y a pas forcément de lien de causalité, mais il est frappant de constater cette discrépance, alors que le gouvernement clame sans cesse que la politique du logement est une priorité absolue», lance le directeur de la CSL.
Il cite aussi le salaire social minimum, qui, selon une directive européenne, devra être revu à la hausse, soit à 50 % du revenu moyen ou 60 % du revenu médian. Le message envoyé au ministre du Travail, Georges Mischo, est clair : «Ce n’est pas le moment pour inventer de nouvelles méthodes de calcul pour se mettre en conformité. Il est un fait que le salaire minimum au Luxembourg est inférieur aux minimas européens.»
Le ministre des Finances, Gilles Roth, s’est lui vanté, début octobre au moment de déposer son projet de budget à la Chambre, que le gouvernement, «en dépit d’un effort militaire revu à la hausse», continue à consacrer 46 % des dépenses globales aux transferts sociaux. Il s’agit d’une enveloppe d’environ 15 milliards d’euros.
De l’argent pour l’UE, pas pour les ménages
Selon la CSL, ce chiffre n’est cependant qu’un «leurre». «En y regardant de plus près, on constate que le bloc des transferts sociaux comprend des transferts aux entreprises, des transferts à l’UE, des montants consacrés à l’aide au développement, à l’Ukraine ou encore au « High Performance Computing »», énumère Sylvain Hoffmann. «Or, il ne s’agit pas vraiment pas de prestations qui profitent directement aux ménages», déplore-t-il.
Selon un calcul réalisé en interne, les transferts sociaux au sens strict ne se chiffreraient pas à 46 % des dépenses de l’État central, mais à 34 %, soit 11 milliards d’euros. L’enveloppe de 3,3 milliards d’euros annoncée par le ministre Roth pour lutter contre la pauvreté ne convainc également pas la CSL. «Ce montant, consacré à remplir des critères définissant le bien-être, est lui aussi très intransparent. Il n’est pas très clair ce que comprend exactement cette enveloppe», remarque le directeur.
Somme toute, le budget 2026 est donc, aux yeux de la CSL, «bien moins social que l’on pourrait le croire selon la présentation du gouvernement».
Des déficits qui inquiètent moins la CSL que le CNFP
En dépit d’une croissance économique limitée, la CSL reste optimiste. «Dans leur globalité, les finances publiques sont saines. Le déficit de l’État central se stabilise à partir de 2026 autour de 1,5 milliard d’euros. La dette publique se stabilisera autour des 27 % du PIB. En tenant compte du patrimoine de l’État, notamment la réserve du fonds de pension, les finances publiques sont même excédentaires», met en avant Sylvain Hoffmann.
De son côté, le Conseil national des finances publiques (CNFP) déplore que solde de l’administration publique (NDLR : État, sécurité sociale et communes) restera négatif entre 2026 et 2029. L’autorité de surveillance alerte aussi sur le fait que le budget pluriannuel ne prend ni en compte l’impact de la réforme fiscale envisagée (NDLR : un coût annuel estimé à 850 millions d’euros), ni l’effort supplémentaire requis en matière de défense (lire ci-dessous). «Même si cela tient au fait que le budget (pluriannuel) est établi à législation constante, les deux éléments se traduiront à moyen terme par une charge accrue pour les finances publiques», met en garde le CNFP.
La CSL veut croire que la réforme fiscale pourra au moins en partie compenser le surcoût que le budget de l’État devra amortir. Pour ce qui est de la défense, il est suggéré d’utiliser d’autres voies de financement, à l’image de l’émission obligatoire («Defence Bond») à hauteur de 150 millions d’euros (sur 3 ans) que le gouvernement compte lancer.