À la suite du licenciement, mardi, de son complice à l’antenne Guillaume Meurice, viré pour des propos polémiques sur Benjamin Netanyahu, l’humoriste Charline Vanhoenacker a condamné, dans une chronique, le fait qu’elle et son équipe soient «payés pour être irrévérencieux, mais sans franchir la ligne rouge de la déloyauté».
Plus tôt cette semaine, la Belge de France Inter analysait, loin de sa radio, l’état actuel de la satire politique en ces termes : «Depuis qu’il n’y a plus de satire politique tous les jours à la télévision à une heure de grande écoute, on a déshabitué les gens à l’humour politique, à la caricature.» Et ce qui est vrai aujourd’hui en France, où Les Guignols de l’info ont dû céder la place, en 2018, à des guignols et marionnettes d’un autre genre, l’est déjà à un degré plus ou moins grave un peu partout ailleurs dans le monde. Dans la fiction aussi, l’impact de la satire s’en voit amoindri; comment raconter notre époque avec la même hystérie féroce que The Thick of It et la noirceur de House of Cards, quand la caricature quotidienne est effacée de la culture d’un pays? C’est plus ou moins le pari que s’impose la minisérie The Regime, diffusée ce printemps et disponible sur la nouvelle plateforme Max.
Le régime totalitaire dirigé par Elena Vernham est un florilège du «meilleur du pire» glané ici et là dans les gouvernements actuels
Le régime totalitaire dirigé par Elena Vernham (Kate Winslet) est, à l’image du casting international de la série, un florilège du «meilleur du pire» glané ici et là dans les gouvernements actuels; la chancelière elle-même emprunte ses phobies à Vladimir Poutine, ses lubies à Kim Jong-un, son imprévisibilité à Donald Trump ou Javier Milei, sa rhétorique lunatique à Marine Le Pen et Giorgia Meloni… et son pays sans nom, dont on sait seulement qu’il se situe en Europe centrale, a pas mal en commun avec la Hongrie de Viktor Orbán. Le portrait est précis et, même lorsqu’elle vire au grotesque, la caricature brille par ses nuances; le tout étant soutenu par la performance grandiose de Kate Winslet. Et si la révolte gronde dans le pays, The Regime reste concentré sur les jeux de pouvoir qui se jouent en coulisses. C’est le choix de Will Tracy, aux commandes de la série dont les épisodes sont réalisés par Stephen Frears et Jessica Hobbs, que de rester confiné à l’intérieur du palais de la dirigeante.
Un choix qui sert généralement la satire, encore une fois par la grâce de nombreuses imitations du réel, qui n’ont souvent même pas besoin de miroir déformant. C’est le cas d’une séquence où la despote, vêtue comme Mariah Carey en hiver, entonne un chant de Noël pour une émission de télé, ou d’un épisode tournant autour d’un opposant politique enfermé (Hugh Grant) – deux exemples qui prennent pour cible le président russe. L’une des grandes qualités de The Regime est justement de mettre à plat les mille visages que peuvent prendre un pays gouverné par la peur, à partir d’exemples reflétant le présent ou le passé proche et cristallisés dans un seul personnage qui ne dénote pas avec la mégalomanie faussement contenue de ses exemples. À une exception près : dans les salles du palais, l’arme de choix du tyran est sa féminité. Qu’elle l’utilise pour geindre, pour séduire ou pour terroriser, c’est toujours ce qui lui donne l’ascendant dans une société ultramasculine. Et c’est évidemment ce qui rend plus complexes et subtiles les intentions de la cheffe d’État.
Malgré sa multitude de personnages, la série n’est cependant pas toujours avantagée par son unité de lieu. S’il faut attendre la seconde moitié des épisodes pour que les secousses de la révolte populaire se fassent sentir au sommet du pouvoir, c’est peut-être encore une fois pour refléter la négligence revendiquée des autocrates, pour qui la priorité est de traquer la moindre tache de moisissure sur les murs du palais, au lieu d’être à l’écoute de son peuple. Mais en attendant, The Regime, aussi brillamment écrite et drôle qu’elle soit, n’apporte au final rien ne nouveau ni de très grinçant. Entre le soldat déchu devenu très (trop?) proche de la dictatrice (Matthias Schoenaerts, génial en grosse brute masochiste) et une confidente plus dangereuse qu’il n’y paraît (Andrea Riseborough, toujours parfaite), les meilleurs arcs narratifs parviennent à trouver l’équilibre parfait entre la comédie déchaînée et le sérieux de la tragédie. On regrettera pour beaucoup du reste les emprunts à peine cachés à Succession, satire certes pas politique, mais non moins cynique et tristement réaliste, dont Will Tracy fut l’un des scénaristes : l’ombre écrasante du père (réduit à l’état de cadavre, comme une parabole sur la santé du pays), le mari chiffe molle (Guillaume Gallienne) parti conspirer avec les vieux conseillers cherchant à tout prix maintenir leur position… C’est aussi le rôle du cinéma et du format sériel que de livrer un message qui reste valide dans le temps; mais plutôt qu’expliquer comment un pays est gouverné par la peur, la série tente de comprendre pourquoi un gouvernement s’y enlise là-dedans. De quoi diluer la férocité du commentaire dans un mécanisme corporatiste qui donne au final une œuvre certes flamboyante, au prix d’un peu de sa pertinence.
The Regime de Will Tracy
Avec Kate Winslet, Matthias Schoenaerts, Guillaume Gallienne…
Genre comédie dramatique
Durée 6 x 50 minutes