Oui, Guy Ritchie est partout, et ce n’est pas qu’une impression.
À 56 ans, le réalisateur culte de Lock, Stock and Two Smoking Barrels (1998) et Snatch (2000), tournant habituellement à un rythme de croisière de deux films par an, a passé la vitesse supérieure avec l’avènement des plateformes vidéo, au point qu’on le croirait doué d’ubiquité. Mais avec des résultats pour le moins mitigés, il faut bien le dire. Si The Gentlemen (2024), série Netflix dérivée de son film homonyme (2019), était de très bonne facture et renouait avec le ton surexcité de ses meilleures réalisations, on passera rapidement sur The Ministry of Ungentlemanly Warfare (2024), oubliable ersatz de son cinéma à la sauce Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009), estampillé Amazon, ou sur l’encore plus anecdotique Fountain of Youth, sorti il y a un mois à peine sur Apple TV+. Une chose est sûre : à l’heure du streaming tout-puissant, son nom a valeur d’argument marketing imparable, synonyme de farce à la violence décomplexée, de mise en scène reconnaissable par ses excès, de scénario à tiroirs et de montage effréné.
Une plongée dans le banditisme à l’anglaise qui réinvente les dynamiques familiales et étrille le patriarcat
MobLand, nouvelle série de gangsters sortie, elle, sur Paramount+, parce qu’il en est le producteur exécutif, surfe volontiers sur la vague. Force est de constater malgré tout que, mis à part le «style» Guy Ritchie dont attestent les deux premiers épisodes (qu’il a réalisés), et la plongée qu’elle propose dans le monde du grand banditisme à l’anglaise (une constante du réalisateur londonien), la série a en ligne de mire une tout autre ambition : celle de construire une saga familiale et criminelle tout à fait sérieuse et sans concession, qui regarde autant la trilogie The Godfather (Francis Ford Coppola, 1972-1990) et The Sopranos (1999-2007) que Peaky Blinders (2013-2022).
Il faudrait commencer par saluer la première bonne idée du créateur de la série, Ronan Bennett, et de son coscénariste le long de ces dix épisodes, Jez Butterworth : faire du héros de l’histoire un «fixer», homme à tout faire des gangsters dignes de ce nom, un rôle habituellement limité aux seconds (sinon troisièmes) couteaux. On pense immédiatement à la géniale apparition de Harvey Keitel dans Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994), mais sur le petit écran, Ray Donovan (2013-2020), interprété par Liev Schreiber, était bien le protagoniste. Fait amusant, Paramount avait initialement lancé MobLand comme une série dérivée de cette dernière, avant d’être complètement reprise en main et réimaginée sous l’angle d’un projet original par ses deux éminences grises, dont les seuls noms devaient suffire à attirer l’attention. Bennett était notamment le scénariste de Face (Antonia Bird, 1997), l’un des tout meilleurs polars du cinéma anglais, et de Public Enemies (Michael Mann, 2009), et Butterworth, outre qu’il a coécrit pour le réalisateur James Mangold le drame sportif Ford v Ferrari (2019) et le cinquième volet d’Indiana Jones (2023), chapeaute aussi la série The Agency, adaptation américaine du Bureau des légendes.
Ainsi, donc, Harry Da Souza (Tom Hardy) est le fidèle aide des Harrigan, famille irlandaise qui contrôle le marché – illégal, cela va de soi – des armes dans la capitale britannique. La tribu, dirigée par le patriarche, Conrad (Pierce Brosnan), est en réalité aux mains de Maeve (Helen Mirren), son épouse à la poigne discrète mais pas moins sanguinaire, dont les techniques sous-marines et antijeu cherchent à paver la voie à Eddie (Anson Boon), le petit-fils rebelle, au détriment du fils prodigue, Kevin (Paddy Considine). Tout cela, alors que se profile l’imminence d’une guerre avec les Stevenson, ennemis jurés des Harrigan – guerre voulue conjointement par Conrad et Maeve, pour des raisons divergentes mais avec la même finalité : prendre aussi possession du marché de la drogue, propriété des Stevenson. Et Harry, alors? Guère plus qu’un exécutant, qui règle les sales boulots sans broncher ni poser de questions, flanqué comme toujours de son plus vieil et seul ami Kevin Harrigan : deux gangsters droits dans leurs bottes qui n’ont aucune idée du chaos qui est en train de se préparer autour d’eux.
Sacrée famille, non? C’est ce que l’on se dit au fil des épisodes, où l’on voit les liens du sang se déliter à coups de couteau dans le dos (métaphoriques) et de corps tronçonnés (littéralement). On mentirait si l’on disait que MobLand sait ménager ses surprises, puisqu’on y retrouve tous les codes et lieux communs du récit criminel – genre galvaudé s’il en est –, quand la convergence des différents arcs narratifs (certains certes plus intéressants que d’autres) semble toujours plus évidente. Mais une fois les mécaniques enclenchées, le plaisir est véritable, et on refuse de le bouder, justement parce que la série donne exactement ce que l’on attend d’elle – et avec du bruit. D’abord grâce à son casting, emmené par un Tom Hardy jamais aussi bon que lorsqu’il est, comme ici, glacial et laconique, Pierce Brosnan, à contre-emploi (le charme naturel de l’ex-James Bond inspire la terreur et la perversion), Paddy Considine en professionnel du crime rattrapé par sa fragilité et Helen Mirren en sorcière assoiffée de pouvoir, complètent un excellent quatuor principal. Aux antipodes de cette dernière, il y a Seraphina (Mandeep Dhillon), la fille illégitime des Harrigan, dont le courage, le sang-froid, la droiture et l’intelligence laissent entendre qu’elle mériterait le trône plus que quiconque.
Maeve et Seraphina : deux femmes à qui appartient le véritable pouvoir (il y en a d’autres, de moindre importance, mais tout aussi décisives) et qui cristallisent la vision globale d’un empire au bord de la chute, et avec lui, toute cette incarnation du patriarcat piégé par ses propres règles, qui n’existe plus que parce qu’il crie plus fort ou qu’il tire le premier. Sur le même modèle, MobLand, jouant superbement sur les différents niveaux de lecture, brille tout particulièrement dans sa façon de réinventer les dynamiques familiales, à l’image de Harry, tiraillé entre ses deux familles : celle dans laquelle il est plus aimé que les véritables fils, et celle dans laquelle il est ce mari et ce père autant aimant qu’absent. Lui et tous les autres hommes sont peut-être les plus dangereux et les plus violents, mais ce sont aussi ceux qui sont le plus fortement tenus par le cœur. Et si Paramount n’a, pour l’heure, pas encore donné le feu vert à une saison 2 (qu’on attend avec hâte), on place déjà cette fournée de dix épisodes parmi les meilleures histoires de gangsters britanniques.
MobLand de Ronan Bennett
Avec Tom Hardy, Pierce Brosnan, Helen Mirren, Paddy Considine…
Genre polar
Durée 10 x 50 minutes
Paramount+