Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Cette semaine, Le Quotidien a choisi de regarder la nouvelle série Los años nuevos, disponible sur ARTE.
Ce qui est bien avec Rodrigo Sorogoyen, c’est que l’on est rarement déçu. Un bref coup d’œil sur sa filmographie suffit d’ailleurs à se rendre compte de la qualité de ses productions, toutes fines et intelligentes. Mieux : il semble à l’aise dans tous les genres, que l’on évoque le thriller policier (Que Dios nos perdone), rural (As bestas) et politique (El reino), mais aussi le drame familial (Madre).
Histoire de compléter la panoplie et de montrer qu’il n’était pas qu’un homme de films, il signait la série Antidisturbios, coup d’essai pour petit écran devenu coup de maître. Depuis dix ans, il s’impose ainsi comme une figure de proue d’un cinéma espagnol qui carbure à fond et n’a peur de rien. Il montre même l’exemple en s’attaquant à un sujet ultra-exploité, vieux comme le monde : l’amour entre un homme et une femme.
Oscar (Francesco Carril) et Ana (Irina Del Rio) se rencontrent en 2015, à Madrid, dans une boîte de nuit le soir de la Saint-Sylvestre. Lui, tout juste trentenaire, est interne dans un hôpital. Mélancolique et un brin angoissé, il se remet mal d’une rupture et aimerait quitter son poste aux urgences, trop vampirisant. Elle, barmaid, est quasi son opposé : solaire et aventureuse, elle s’imagine partir un jour au Canada pour s’inventer un nouvel avenir.
Ce qui les rapproche? Lui est né un 31 décembre, et elle quelques minutes après, un 1er janvier. À la fermeture de la discothèque, tout le monde se retrouve chez Guille, meilleur ami d’Oscar. Et au petit matin, alors que quelqu’un propose de prendre la voiture et d’aller voir la mer, l’échappée tourne court et le duo file en douce. Ils passeront la nuit ensemble. Le début d’une romance…
Un jour, on aime, le lendemain, on n’aime plus. C’est comme ça…
Sur cette trame classique et archiconvenue, Rodrigo Sorogoyen (avec la complicité de Sara Cano et Paula Fabra au scénario) a une idée géniale : raconter cet amour ordinaire en convoquant son duo à chaque Nouvel An pendant dix années (2015-2024) et autant d’épisodes, pour un état des lieux de leur relation. Des instantanés d’une vie, parfois commune, parfois distancée qui, durant quelques heures, montre où elle en est. C’est alors au public de reconstituer tout ce qui manque… Un procédé narratif original et fragmentaire qui va les suivre dans cette banalité qu’est le quotidien. On les (re)découvre, toujours plus vieux d’une année, en famille, entre amis, seul, avec un(e) autre, au travail, au lit… au fil de longs plans-séquences au réalisme sidérant de justesse. Car Los años nuevos n’a aucune intention de réinventer le couple dans ce qui l’anime. Juste de le coller au plus près, dans ses joies comme ses failles.
Sortie sur la plateforme Movistar+, puis sur ARTE, la série magnifie le banal, dressant le portrait d’un binôme qui s’aime et (parfois) se déteste, troublant de vérité dans les échanges comme dans les scènes de sexe. Forcément, on pense à certaines références tout aussi malines, comme Scènes de la vie conjugale (1973) d’Ingmar Bergman, dont le nom colle parfaitement aux intentions de Rodrigo Sorogoyen, mais aussi Normal People (2020) ou la trilogie filmique Before (2005-2023).
Mais Los años nuevos s’en éloigne et impose son originalité en taillant la route entre Lyon, Berlin et Valence. En s’attachant aussi à parler d’autres couples (filmés face caméra, dos à un mur, tandis que défilent brièvement leur histoire). En brossant enfin, entre la tradition espagnole du raisin et des vœux, tout ce qui traverse l’existence de jeunes adultes : les drames, les désirs et envies d’ailleurs, le vieillissement, l’envie (ou pas) d’avoir des enfants et de se marier… Bref, tout ce qui fait le sel, universel, de l’existence à deux. En rappeler toute sa beauté et toute sa fragilité n’est jamais vain. Surtout d’une telle manière.
