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[Critique série] «Guillermo Del Toro’s Cabinet of Curiosities», des bonbons… et des sorts!


Point commun de tout ces épisodes impossible à ignorer : aucun ne fait jamais peur. (Image Netflix)

A l’occasion d’Halloween, huit cinéastes se sont relayés pour réaliser un épisode de la nouvelle série de Guillermo Del Toro.

Depuis longtemps reconnu comme pilier du genre fantastique et révéré comme maître des monstres, Guillermo Del Toro fête Halloween entre collègues aux mêmes centres d’intérêt. Des cinéastes reconnus, des nouveaux talents, des poulains, ils sont huit en tout à réaliser un épisode de Guillermo Del Toro’s Cabinet of Curiosities. Et celui dont le nom figure dans le titre n’est pas de ceux-là. Il n’est pas non plus totalement absent : avant chacun des huit épisodes de cette minisérie, le réalisateur mexicain sort une histoire d’un tiroir de son fameux cabinet de curiosités et se livre à une courte introduction.

Sa silhouette ainsi que son aura, débonnaire et mystérieuse à la fois, se veut un clin d’œil – quoiqu’appuyé – aux apparitions d’Alfred Hitchcock dans sa série Alfred Hitchcock Presents (1955-1962). Mais Del Toro laisse à la porte la moindre touche de second degré, faisant l’exploit de rendre austères et franchement plates ces quelques secondes qui auraient pu être si plaisantes en sa compagnie. Sans mentionner le fait qu’Hitchcock, lui, a régulièrement posé son nom sur des épisodes de sa série.

Une ligne éditoriale cohérente

Cabinet of Curiosities est donc une anthologie de huit histoires, chacune mise en scène par un(e) cinéaste différent(e), parmi lesquels des noms attendus au tournant : Vincenzo Natali (Cube, 1997), Ana Lily Amirpour (A Girl Walks Home Alone at Night, 2014) ou encore Jennifer Kent (The Babadook, 2014). Un Masters of Horror (2005-2007) pour la génération Netflix, en quelque sorte, avec ses réussites comme ses échecs (tel que supposé dans le concept même d’anthologie). Et avec un point commun impossible à ignorer : aucun ne fait jamais peur. Il y a bien de la tension, quelques moments angoissants, et on concèdera même un ou deux «jump scares» efficaces, à défaut d’être inventifs. En termes de sensations fortes, c’est tout ce que l’on aura; au vu des univers déployés et d’une galerie bien fournie de créatures monstrueuses, c’est finalement bien peu.

Les véritables grandes réussites de ces huit épisodes sont à trouver du côté des femmes réalisatrices

Guillermo Del Toro, en bon producteur-curateur, soigne pourtant son concept. Face à l’hétérogénéité du projet, l’association des huit noms par lui choisis trace une ligne éditoriale cohérente et, d’une œuvre à l’autre, des ponts semblent se créer. Les cinéastes montrent chacun une interprétation assez fascinante du fantastique et du monstrueux. Mais les épisodes qui font le plus d’effet sont, sans surprise, ceux qui s’éloignent de l’horreur la plus directe.

On peut certes saluer les réussites du twist de The Autopsy (de David Prior), de la beauté visuelle de Dreams of the Witch House (de Catherine Hardwicke) ou de la créature de Lot 36 (de Guillermo Navarro), mais il faut surtout reconnaître que ces trois épisodes, trop prévisibles ou déjà-vu, n’ont pas grand-chose à offrir.

Les véritables grandes réussites du côté des femmes

À l’inverse, la transe psychédélique signée Panos Cosmatos, qui offre là son premier projet depuis le complètement dingue Mandy (2018), est une grande réussite : barré, avec des performances d’acteurs excellentes et une musique incisive, on tient peut-être là le meilleur objet de la collection, ne serait-ce que par son statut d’ovni. Un trip total qui, c’est certain, divisera même les fans du réalisateur. Dans un registre plus léger, on accueille avec bonheur Cemetery Rats, du vétéran et culte Vincenzo Natali, qui fait de David Hewlett, son acteur fétiche, un pilleur de tombes parti se coincer dans les tunnels exigus de son cimetière, faisant face à la fois à sa claustrophobie et à sa peur des rats… qui débarquent en hordes. Avec son personnage tragicomique et ses allers-retours entre la comédie noire, l’horreur et l’aventure, on passe ici l’un des moments les plus plaisants de toute la saison.

Les véritables grandes réussites sont, elles, à trouver du côté des femmes. Deux noms très attendus aussi, Jennifer Kent et Ana Lily Amirpour, utilisent l’heure qui leur est allouée pour en faire un espace de liberté créative (là où tous les autres, y compris l’halluciné Cosmatos, semblent quelque peu bridés) et qui soit aussi une carte de visite de leur évolution en tant qu’artistes. Pour son retour à l’horreur, Jennifer Kent se démarque de tous ses camarades en faisant un film intime, plein d’émotion et tourné en extérieur.

The Murmuring s’attaque au thème du deuil tout en questionnant les notions mêmes d’horreur et de fantastique, grâce à un scénario sans faille et une réalisation au cordeau inspirée d’Hitchcock. Très différent, The Outside, d’Ana Lily Amirpour, est une formidable satire, avec son héroïne qui, pour ressembler à ses collègues bimbos, achète une crème magique vendue par un bellâtre de la télévision qui lui promet la beauté éternelle. En peu de temps, la réalisatrice met en route une œuvre libre, féministe et amorale, et crée le personnage le plus complexe et bizarre de la collection.

Deux objets remarquables, auxquels on peut ajouter ceux de Panos Cosmatos et Vincenzo Natali, mais qui laissent tout de même la moitié de la saison prendre l’eau. Et qui ne font pas oublier le goût amer que l’on a, quand on imagine ce que Guillermo Del Toro, en rejoignant ses collègues derrière la caméra, aurait pu faire…

Cabinet of Curiosities de Vincenzo Natali, Jennifer Kent, Panos Cosmatos… Avec Rupert Grint, Kate Micucci, Andrew Lincoln… Genre fantastique, Durée 8 x 1 h – À voir sur Netflix