Retrouvez notre critique série de la semaine.
Son nom la ferait facilement passer pour une plateforme 100 % gauloise, mais Netflix a plutôt tout de l’incarnation moderne de l’impérialisme américain. Tout? Non! Il reste toujours une poignée d’irréductibles sur qui compter – et le géant du streaming ne peut pas composer sans. La preuve, pour Astérix & Obélix : Le Combat des chefs, il donne carte blanche à Alain Chabat, qui peut passer sans rougir pour le fils spirituel de René Goscinny (il lui prêta logiquement sa voix en 2022, dans le film d’animation franco-luxembourgeois Le Petit Nicolas : Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?).
Une vingtaine d’années après son Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2002), adaptation d’un «album voyage» emblématique devenue à son tour une comédie intouchable du cinéma gaulois, Chabat met pour la deuxième fois son génie comique au service des héros moustachus avec, cette fois, une série d’animation adaptée d’un «album village». La septième aventure d’Astérix, parue entre 1964 et 1965 dans Pilote, est centrée autour de la recette de la potion magique qui rend forts les irréductibles : le druide Panoramix, devenu amnésique après qu’un menhir lui est tombé sur la tête, l’a oubliée. Au même moment, les Romains échafaudent un plan pour s’emparer du village : ils demandent la tenue d’un «combat des chefs» dans la plus pure tradition gauloise.
Rarement cité parmi les meilleurs albums d’Astérix, peut-être parce qu’il est moins spectaculaire que ses trois prédécesseurs, Astérix gladiateur (1964), Le Tour de Gaule d’Astérix (1965) et, donc, Astérix et Cléopâtre (1965), Le Combat des chefs devient, entre les mains d’Alain Chabat et Fabrice Joubert, un objet qui voit grand et à la folie décomplexée. Le premier, toujours au top depuis l’époque où il était Nul, y met tout l’humour absurde qu’on lui connaît, et son écriture fait foi d’hommage à Goscinny : les dialogues bourrés de jeux de mots, les anachronismes en pagaille, souvent au détour d’un seul plan (comme Uderzo et Goscinny l’auraient fait dans le coin d’une case)… C’est bien la patte Mission Cléopâtre qu’on retrouve ici, avec nouvelle profondeur apportée par un langage visuel plus proche d’Uderzo et Goscinny que le film «live».
L’autre, ancien animateur chez DreamWorks et Illumination, fait des merveilles. Les personnages, modelés en 3D avec un étonnant effet de relief, reproduisent superbement le dessin d’Uderzo, avec une douceur qui met le sourire aux lèvres, et une liberté assumée. D’un côté, Joubert réinvente, en quelque sorte, la potion magique en liquide mauve et aux émanations psychédéliques, de l’autre, il copie des cases d’Uderzo qui éclatent en couleurs vives sur l’écran pendant les scènes de combat. Comme avant eux Spiderman (Into the Spider-Verse, 2018; Across the Spider-Verse, 2023), Astérix et les Gaulois deviennent des personnages recréables à l’infini et apparaissent ainsi sous forme de croquis (dans le cas du héros blond) ou réduits à leurs traits les plus simples (lorsque l’on est dans l’émission pour enfants qui tourne en boucle dans la tête de Panoramix).
À cet égard, la plus grande réussite de la série est qu’elle parvient à tous les niveaux à se réapproprier les personnages qui servent de modèle – y compris quand elle en introduit de nouveaux. Chabat avait fait de Panoramix, alors joué par Claude Rich, un personnage qui dissimulait le comique sous son air éminemment sérieux; celui amnésique du Combat des chefs est à l’opposé, un vieil homme en roue libre qui fait des numéros de ventriloquisme avec sa barbe et a l’air constamment halluciné. Et il faut bien dire que, dans un casting vocal de luxe mené par Chabat (Astérix) et Gilles Lellouche (Obélix), c’est aussi grâce à l’interprétation géniale de Thierry Lhermitte que le personnage du druide, dans lequel les réalisateurs ont trouvé là formidable un terrain de jeu, est aussi mémorable.
On retrouve la patte Mission Cléopâtre avec nouvelle profondeur
Sur deux heures trente, les auteurs fabriquent un objet qui a sa propre sensibilité (scénaristique, visuelle) et osent, dès le premier épisode, en dévoilant l’enfance de nos deux héros. Un moyen inédit, habile et brillamment imaginé, qui brûle des sacrilèges (en introduisant une «origin story» à la potion magique ou en montrant Obélix tombant dans la marmite) pour mieux les réinventer sous une forme très touchante. Par là aussi, Chabat crée une histoire qui aura ses conséquences dans la vie adulte : il le fait avec le personnage d’Aplusbégalix, le chef «gallo-romain» d’un village voisin. De l’enfance à l’âge adulte, ce personnage musclé, bête et méchant ouvre la série à tout un éventail de thématiques en sous-texte (le harcèlement, le rapport à l’autre, semblable ou envahisseur, l’ego…). Et c’est tant mieux, car Le Combat des chefs, à la différence de nombreux autres albums d’Uderzo et Goscinny, n’aborde pas forcément de grande thématique de société dans le fond – encore une preuve de fidélité et de bienveillance à l’égard des aînés. En deux mots, respect et robustesse!