La Tragédie de Shakespeare est à l’affiche du Grand théâtre de Luxembourg, ce jeudi soir encore et ce week-end. Nous avons assisté à la première mercredi soir. Aurore Fattier, la metteure en scène française, propose une réinterprétation artistique foisonnante et ultra-pertinente !
Othello, est un maure de Venise, un général, un homme « plus beau qu’il n’est noir » selon le texte de Shakespeare qui a écrit cette tragédie 1604. Une pièce qu’Aurore Fattier a fait sienne et présente jusqu’à dimanche au Grand Théâtre de Luxembourg dans une version ultra-contemporaine qui ne cesse d’étonner par la richesse de sa mise en scène tout au long de ses 3h30 (entracte inclus) de représentation.
3h30 marquantes
Oui, 3h30 ! Sur le coup, quand on lit ça dans un programme, ça peut faire peur, certains curieux pourraient même y renoncer d’entrée. D’autres, du moins lors de la première grand-ducale de la production mercredi soir, quittent le studio du Grand Théâtre sans même attendre l’entracte – à leur décharge celui-ci n’arrive qu’après près de 2h20 de spectacle. Tant pis pour eux, car la metteure en scène, Aurore Fattier, le dramaturge, Sébastien Monfè et l’ensemble de la troupe – dans laquelle on retrouve les deux comédiens grand-ducaux : Jérôme Varanfrain et Serge Wolf – offrent aux spectateurs avertis un Othello dont ils risquent de se souvenir pendant très très longtemps.
Certes, il y a Shakespeare, son texte ciselé, son rythme parfait, ses personnages profonds, sa manière de placer de petites piques de comédie même dans la plus triste des tragédies ; certes il y a cette histoire d’amour et de passion entre Desdemona, fille d’un sénateur de Venise, et Othello, certes général de la Sérénissime, mais noir et ancien esclave, qui après un mariage secret et un voyage à Chypre, lui pour défendre la position face aux Turcs, elle pour suivre l’homme de sa vie, finira pervertie par la manipulation d’un arriviste sans vergogne ; mais ce n’est pas tout. Oh non !
Approche pluridisciplinaire marquante
Il y a aussi et surtout une réinterprétation du récit ultra-pertinente avec ses anachronismes assumés, son approche pluridisciplinaire intégrant, bien évidemment, le théâtre, mais aussi la musique, le chant, l’art lyrique, la vidéo – soit enregistrée soit tournée en direct dans les coulisses – projetée, selon le moment, à différents espaces de la scène. Une débauche de possibilités, de tiroirs, de récits et sous-récits, avec laquelle la metteure en scène joue avec délectation. La scène, elle-même, aux structures amovibles, offre d’infinies possibilités, d’apartés ou au contraire événements présentés en parallèle.
C’est foisonnant, inventif, étonnant. Les sens sont constamment en éveil et, dans la salle, on rit alors volontiers des manigances d’Iago, on ricane de la candeur de Rodrigo, autant qu’on souffre intérieurement et profondément des tourments infligés à Desdemona, et, à travers elle, à Othello. Et on est aussi émus aux larmes par les performances vocales de Bianca.
Certes, vers la fin de la première partie, la durée du spectacle se fait un peu sentir, mais pour le reste, cet Othello est une immense réussite.
Pablo Chimienti