Découvrez notre avis sur The Outrun, le nouveau film de Nora Fingscheidt.
Depuis toujours, le cinéma taquine de la bouteille pour plonger ses antihéros dans les vertiges de l’ivresse et son rude corollaire : la descente et, parfois, le sevrage nécessaire. Résultat? Ça peut être drôle (The Hangover, 2009), douloureux (Leaving Las Vegas, 1995) mais aussi original comme avec le bien nommé Drunk (2020) suivant quatre amis cherchant à combler un déficit naturel d’alcool dans le sang, ou Le Bruit des glaçons (2010) dans lequel un écrivain en perdition reçoit la visite… de son cancer.
À son tour, The Outrun (que l’on pourrait traduire par l’idée de «dépassement» de soi) fait claquer le bouchon, inspiré de l’autobiographie d’Amy Liptrot vendue depuis 2016 à plus de 100 000 exemplaires au Royaume-Uni, et parue en France sous le titre L’Écart.
On y suit les dérives de Rona, 29 ans, qui aime passer ses journées et ses nuits à boire jusqu’à plus soif. Une «envie» qui ne la quitte jamais vraiment et qui, comme elle le raconte, «peut arriver n’importe quand et n’importe où». À Londres, où la fête est partout et la tentation si facile à satisfaire, elle perd pied. Les verres s’accumulent autour d’elle tandis que le reste s’effondre : son couple, son cercle d’amis, sa vie professionnelle.
Un parti pris audacieux
Après un passage chez les AA (Alcooliques anonymes), elle décide de se mettre au vert et trouve refuge dans les Orcades, ces îles du nord de l’Écosse où elle a grandi et qu’elle a quittées il y a dix ans. Au contact de sa famille (un père bipolaire et une mère bigote) comme des habitants de l’archipel, elle va essayer de faire taire ses démons, trouver un nouveau souffle et, qui sait, renouer «avec sa vie».
Derrière The Outrun, on trouve deux femmes, dont Saoirse Ronan par qui tout est parti : l’actrice, déjà triplement nommée aux Oscars alors qu’elle fête ses 31 ans aujourd’hui – Brooklyn (2016), Lady Bird (2018), et Les Filles du docteur March (2020) – n’a pas décroché du livre durant tout le confinement, et, également productrice à ses heures, s’est tournée vers Nora Fingscheidt pour l’adapter.
Si le talent de l’Américaine n’est plus à prouver, on est étonné par les qualités de la réalisatrice allemande, jusque-là connue pour deux films honorables – Benni (2020) et Impardonnable (2021) – dont le dernier sorti directement sur Netflix. Son parti pris est en effet audacieux : montrer à l’image une aventure mentale. Ce qui, dans la tête d’une alcoolique, prend la forme d’une mosaïque où le son et l’image se troublent, où le temps et l’espace se mélangent.
Le passé nous poursuit
Plutôt que d’afficher la spirale destructrice de son personnage et son éventuelle rédemption en respectant une chronologie à la lettre, la cinéaste préfère ici brouiller les pistes et imagine son film comme un grand puzzle dont il faut assembler les pièces. Seule indice laissé au public pour saisir ces allées-venues entre un passé qui «nous poursuit» et ce présent à reconstruire : les mèches de cheveux de Rona, au naturel, bleues, rouges ou orange.
Pour le reste, ses souvenirs se mêlent, jusqu’à s’y confondre, avec ceux de ses virées urbaines. L’Écosse et Londres se trouvent alors des points communs, tandis que des séquences animées et des flashs stroboscopiques s’ajoutent à la lecture de ce malaise existentiel, seulement tempéré par la nature sauvage.
Estime de soi et ivresse de la vie
Présenté à Berlin puis à Sundance l’année dernière, The Outrun est un drôle d’objet, charmeur par ses envolées lyriques (bercées par les légendes écossaises) et pour son aspect contemplatif, avec ce paysage brut à couper le souffle qui joue un rôle essentiel dans la dramaturgie. Casque sur la tête, electro de premier choix dans les oreilles et tempête sous le crâne, Saoirse Ronan, que la caméra ne lâche jamais, brille dans cette étonnante partition où elle alterne les moments de férocité et de fragilité, mise à nu par le regard inquiet d’un entourage qui ne croit plus à ses sempiternelles promesses d’arrêter de boire.
Contre les obsessions, les puissants éléments naturels et une éprouvante statistique (seuls 10 % des alcooliques passés par la désintoxication ne rechutent pas, apprend-on), elle lutte pour retrouver ce qu’elle a perdu en chemin : l’estime de soi et l’ivresse de la vie. Sans gueule de bois.
The Outrun de Nora Fingscheidt avec Saoirse Ronan, Paapa Essiedu, Stephen Dillane… Genre drame. Durée 1 h 58