Retrouvez notre critique de Night Always Comes, le nouveau film de Benjamin Caron.
Il faut toujours se méfier des productions estivales de Netflix, dont l’objectif est souvent d’alimenter un catalogue en manque cruel de nouveautés, au détriment de l’artistique. Mais celle-ci a un atout en plus dans sa manche avec, dès l’affiche, la présence garantie de Vanessa Kirby. Ces derniers temps, son regard froid et son attitude quasi hautaine attirent toutes les caméras. On l’a ainsi vue dans de grosses productions comme Fast & Furious, Mission Impossible et Napoléon de Ridley Scott. L’histoire retient qu’elle doit d’abord sa notoriété à la plateforme de streaming qui l’a mise en lumière jusque-là par deux fois : dans la série The Crown (où elle campait la princesse Margaret) et dans le drame maternel Pieces of a Woman (qui lui a valu le prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise).
La voilà donc à nouveau au premier plan dans un thriller qui, sans le vouloir, ramène à son dernier film en date, The Fantastic Four : First Steps, avec un autre rôle de femme invisible, sans la panoplie ridicule. Lynette, jeune trentenaire en galère, compose en effet le vaste groupe, en croissance continue, des oubliés de l’Amérique. Ceux qui peinent à payer leurs factures. Ceux qui cumulent les jobs pour s’en sortir. Ceux qui s’endettent et finissent à la rue. Ceux que l’on ne montre pas car ils ne correspondent pas à l’image du rêve américain. Ses problèmes, elle les trimballe comme des casseroles dans les rues de Portland. Elle doit s’occuper d’un frère trisomique et d’une mère irresponsable, et malgré ses trois boulots (serveuse, ouvrière dans une boulangerie industrielle et travailleuse du sexe) et ses études menées en parallèle, rien ne va.
Un «voyage où chaque erreur peut coûter la vie»
La maison familiale, dans laquelle flotte encore l’esprit d’un père disparu trop tôt, a tout du taudis. En périphérie, délabrée, proche de l’autoroute. Pourtant, elle est indispensable pour éviter que tous se retrouvent à la rue et que les services sociaux ne viennent embarquer l’aîné. Mais Lynette a tout prévu avec la banque : si elle lui fournit les 25 000 dollars promis, ils deviendront propriétaires, et éviteront ainsi l’expulsion. Mais le jour de la transaction, son plan tombe à l’eau.
Sans le sou, mais décidée à défendre bec et ongles son logement et les siens, elle se lance dans une expédition haletante : rassembler la somme en une petite nuit, quitte à prendre des risques et à trahir ses amis. Un «voyage où chaque erreur peut coûter la vie», résume le réalisateur Benjamin Caron, qui retrouve là Vanessa Kirby depuis The Crown. Une quête haletante qui, aussi, va faire remonter en surface de vieux démons…
Tout augmente, sauf nos salaires!
Adapté du roman à succès de Willy Vlautin, Night Always Comes a de nobles intentions : pointer du doigt les ravages du capitalisme avec, en toile de fond, la crise des subprimes qui ne s’est pas arrêtée à 2008. À la radio, un animateur lâche un «tout augmente, sauf nos salaires!», tandis qu’à l’image, la ville de l’Oregon se montre fracturée en deux : en haut de la colline, les riches villas. En bas, les trottoirs où s’accumulent les toiles de tente et la misère. Entre les deux, il y a Vanessa Kirby qui, comme Michael Douglas dans Falling Down (1993), n’a plus rien à perdre. Une «working class» à la fois fragile et furieuse. Une antihéroïne à «l’énergie sauvage», comme le dit le cinéaste.
Des scènes sans profondeur
Au bord du gouffre, son odyssée dans les bas-fonds est dénuée de toute moralité : elle trompe, ment, vole, deale… Le système l’humilie et l’a laissée tomber – elle n’a plus de comptes à lui rendre. Un lâcher-prise qui s’accompagne d’une tension croissante (rythmée par la messagerie de son téléphone et les heures qui s’affichent) et d’une esthétique soignée. Souci : au fil du thriller, pour le coup bien ficelé, Benjamin Caron en oublie les règles en route. Aux actes de Lynette, il ne donne aucune suite, élude les conséquences.
Les scènes s’empilent alors sans profondeur. Pire, le réalisateur, dans un dernier sursaut, décide de sauter de la chronique sociale tendue au mélodrame psychologique, sur fond de rapport mère-fille. Le suspense se dilue irrémédiablement dans le pathos, laissant Vanessa Kirby à ses larmes, son passé et ses douleurs. Seule au volant de sa voiture pourrie, elle doit se faire la même réflexion que le téléspectateur : «tout ça pour ça!»
Night Always Comes de Benjamin Caron avec Vanessa Kirby, Zachary Gottsagen, Jennifer Jason Leigh… Genre thriller/drame. Durée 1 h 50. Netflix