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[Critique cinéma] «Lost Transport» : femmes en guerre 


Condamnées à se côtoyer dans un contexte de dénuement et de désespoir, trois femmes vont peu à peu se lier d’amitié et se soutenir.

Lost Transport, de Saskia Diesing, avec Anna Bachmann, Hanna van Vliet, Eugénie Anselin… Drame historique d’une durée de 1 h 40.

C’est l’histoire d’une Allemande, d’une Russe et d’une Néerlandaise juive qui vivent sous le même toit au printemps 1945… On pourrait croire au début d’une blague douteuse, mais ce sont, vite résumés, le sujet et les figures centrales du film de Saskia Diesing, présenté au dernier Luxembourg Film Festival (en tant que coproduction d’Amour Fou).

Ses origines sont, elles, bien plus sérieuses. Chez la réalisatrice, elles sont même familiales : son oncle, alors bébé d’à peine un an, était en effet l’un des 2 400 passagers de ce «Lost Transport», nom donné à un train qui déplaçait des déportés juifs, alors que la Seconde Guerre mondiale touchait à sa fin.

Comme le fait en introduction une voix off portée sur la pédagogie, on remonte le fil de l’Histoire : les nazis, alors en pleine déconfiture et pris en tenaille, déplacent en masse des prisonniers, dont ce qu’ils appelaient des «juifs d’échange», monnayés contre d’autres détenus allemands ou de l’argent.

Parties du camp de concentration de Bergen-Belsen

Trois trains partent du camp de concentration de Bergen-Belsen. Le dernier, après une errance de deux longues semaines, termine sa course à Tröbitz, petit village de l’État de Brandebourg, toujours habité, mais vidé de ses soldats allemands. Avec l’arrivée, dans la foulée, des troupes soviétiques, le patchwork est saisissant : sur ce minuscule bout de terre, mis en quarantaine en raison d’une épidémie de typhoïde, bourreaux et victimes, piégés, se retrouvent alors côte à côte.

C’est le cas, ici, de trois personnages qui traversent le chaos et la confusion d’un conflit qui, dans son dénouement, a rendu tout le monde méfiant.

D’abord Vera, tireuse d’élite russe (interprétée par Eugénie Anselin), froide, impassible et silencieuse, ne quittant que rarement son fusil. Ensuite, Winnie la villageoise (Anna Bachmann), adolescente têtue et indifférente qui va voir sa vie bouleversée par le décès de sa mère, fervente d’Hitler, et l’occupation soudaine de son village devenu refuge. Enfin Simone (Hanna van Vliet), juive néerlandaise qui cherche à regagner Amsterdam et sauver son mari affaibli par la maladie.

Condamnées à se côtoyer dans un contexte de dénuement et de désespoir, elles vont peu à peu se lier d’amitié et se soutenir. C’est ce que la réalisatrice appelle un «changement de perspective».

Les hommes font la guerre, les femmes nettoient derrière!

Lost Transport se pare ainsi de nobles intentions, certes naïves : mettre en avant l’empathie, la compassion, le courage et l’entraide comme remparts absolus à la barbarie du conflit mondialisé. Même si les morts, les pillages, les viols, les exécutions sommaires et les pleurs sont encore courants, le film fantasme sur une réponse à la hauteur de l’horreur traversée : faire fi de ses différences (de nationalité, de langue, d’idéologie…) afin de renouer avec «l’autre», qui n’est plus un ennemi, mais un être blessé dans son cœur et sa chair. Comme tous.

C’est ce que va essayer de faire le trio Vera-Simone-Winnie en sortant de sa carapace et se libérant de son instinct de survie. Exit la colère et la vengeance, place à l’humanité!

C’est pour justifier cet élan bienveillant que Saskia Diesing a voulu un film de guerre (ou d’après-guerre) au féminin, geste assez rare dans un genre cinématographique qui aime les hommes forts et héroïques, victimes comme coupables. La réalisatrice tourne ainsi la caméra vers ces invisibles, «parce que les femmes vivent la guerre différemment et ont peut-être des choses différentes à dire», peut-on lire sur les notes d’intention.

Pour sa part, c’est plutôt manqué, car elle ne fait malheureusement qu’effleurer ses personnages sans prendre le temps de leur donner de la profondeur. Dommage, car l’idée pouvait être bonne, surtout mise en perspective avec cet épisode si particulier de l’Histoire.

On retiendra tout de même quelques scènes émouvantes (dont celle du «coiffeur») et la décoration d’époque très «IIIe Reich». On oubliera facilement de trop importantes longueurs et certaines réponses rapides.

Saskia Diesing, à travers cet «hommage», aura au moins fait une chose : mettre en lumière «celles qui, après la guerre, ont pris leurs serpillières et leurs balais pour débarrasser les décombres et essuyer le sang, tandis que les hommes, eux, commençaient à écrire les livres d’histoire».

Oui, pour elle, ça ne fait aucun doute : «Les hommes font la guerre, les femmes nettoient derrière!»