Présenté mardi en ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes, le dernier long métrage de Quentin Dupieux est-il son film le plus sérieux ?
À force de tourner plus vite que la musique, Quentin Dupieux s’est aperçu que la durée de ses interventions était supérieure à celle de ses longs métrages additionnés. C’est en tout cas ainsi qu’il a expliqué la raison pour laquelle il ne ferait pas de promotion pour Le Deuxième Acte, son dernier film (façon de parler). Vu sous un certain angle, il s’agirait presque d’une démarche cohérente de la part d’un cinéaste dont le concept «no reason» (phrase tirée de son Rubber, 2010) a longtemps semblé faire office de dogme, voire de profession de foi.
Présenté mardi en ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes et dans les salles depuis mercredi, son petit dernier est une drôle de comédie autant qu’une comédie drôle. Comme dans la plupart des films de Dupieux, dans Le Deuxième Acte, il est question de démêler le vrai du faux, la fiction de la réalité, le gros délire du premier degré, mais avec la possibilité sous-jacente de la double lecture permanente.
Par rapport à Rubber ou Wrong Cops (2013), plus proches, dans la dimension du n’importe quoi, d’un dessin animé de Bill Plympton ou d’un épisode de South Park, il s’agit ici du film de Dupieux le plus en phase avec l’actualité. Du moins, celui qui ne lui tourne pas le dos, de la métaphore #MeToo jusqu’à l’idée, formulée, de «séparer l’homme de l’artiste».
Prenons la scène d’introduction. Dans un plan-séquence étiré, filmé en travelling arrière, Raphaël Quenard et Louis Garrel dialoguent en marchant, jusqu’à ce que la «cancel culture» soit la chute de ce qui ressemble à un sketch tiré d’une comédie à l’italienne. Et à partir de là, cette ambiguité : on peut rire de tout (dans la salle) en même temps qu’on ne pourrait plus rien dire (dans le film).
Là où, avec Dupieux, beaucoup seraient parfois tentés d’y trouver des explications qui ne découleraient pas d’une intention («no reason», ad libitum), cette fois-ci le réalisateur laisse le spectateur, fan ou profane, se débrouiller avec ce qu’il pense; sachant que l’ambiguïté ne se situe pas tant dans son procédé, puisque Le Deuxième Acte est – attention : spoiler – un film dans le film. Ou, plus exactement, un film sur le tournage d’un film. Et derrière son geste, il n’y a bien sûr pas de velléité documentaire (à moins que…?).
Si son précédent long métrage était un (faux) biopic sur Salvador Dalí (Daaaaaalí!, 2023), Dupieux serait désormais, tel un peintre surréaliste, armé d’une caméra, qui prendrait des symboles du cinéma français pour les tordre et les déformer. Dans le cas de ce Deuxième Acte, Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel et Raphaël Quenard ne sont pas à contre-emploi mais ils marchent bien à contresens. Et Dupieux d’aller plus loin dans son cinéma, en étant à la fois plus adulte et plus sale gosse.
Mardi soir, donc, Le Deuxième Acte a fait l’ouverture de Cannes, ce qui a des airs de petit évènement si l’on part du constat que le festival projette peu de comédies en guise de bienvenue, voire peu de comédies tout court. Une comédie, Le Deuxième Acte? Oui, sans doute car il s’agit d’un des films les plus drôles de Quentin Dupieux (les séquences avec l’intelligence artificielle, celle avec le serveur ne sachant pas servir, et d’autres encore), en même temps qu’il s’agit définitivement de son film plus sérieux.
Le plus sérieux dans ce qu’il dit, de l’époque et du cinéma, y compris s’il a moins l’ambition de «dire» que celle de laisser entendre, là encore parce que le cinéaste prolonge le silence en refusant les interviews. À y repenser, en faisant ce choix, c’est comme si Dupieux se mettait dans la position de spectateur qui regarderait le public de son film, comme s’il s’agissait d’un film. Et qui, face à ses réactions, rigolerait bien.
L’un des films les plus drôles de Dupieux, en même temps qu’il s’agit définitivement de son plus sérieux