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[Critique cinéma] «Frankenstein», film «monstre»


La structure narrative lorgne du côté de l’opéra – un opéra coloré, brutal, où le grotesque et le romantique se toisent. (Photo Netflix)

Retrouvez notre critique de Frankenstein, le nouveau film de Guillermo Del Toro.

Le personnage de Frankenstein incarne tout un paradoxe. Le roman de Mary Shelley est un chef-d’œuvre de l’horreur, qui joue avec le genre épistolaire et ondule entre plusieurs niveaux de récit. Un livre à la fois gothique, moderne, réaliste et philosophique, qui a été englouti tout entier par l’image éternelle que le cinéma, avec l’interprétation de Boris Karloff, lui a collée. Au point que la créature de Frankenstein, qui n’est pas nommée, a remplacé son créateur quand l’imaginaire collectif lui a donné son nom. Guillermo Del Toro s’en amuse au détour d’une réplique : «C’est toi, le monstre!», lance un personnage à Victor Frankenstein, histoire de remettre les choses à leur place.

Si, dans le roman, Frankenstein et sa créature ont tous les deux leur part d’ombre et de lumière, ici, ce sont donc les humains qui incarnent toute la cruauté du monde. Le ton est posé, la parabole humaniste aussi. Le réalisateur de Mimic (1997), Hellboy (2004), El laberinto del fauno (2006) ou The Shape of Water (2017), père de toute une formidable et terrifiante galerie de monstres, a sans doute rêvé toute sa vie de porter à l’écran un tel mythe fondateur. Il s’attaque à Frankenstein avec le respect qui est dû au livre – le même respect qui a été allègrement trahi dans ses dizaines d’adaptations au cinéma –, mais aussi avec son aura de cinéaste culte, un peu obligé de tenir son rang.

Une vision toute personnelle de l’œuvre d’origine

Fidèle à l’esprit du roman, le 13e long métrage de Guillermo Del Toro dévoile aussi une vision toute personnelle de l’œuvre d’origine. Le récit de fond est connu. Victor Frankenstein (Oscar Isaac), baron et savant fou, confie son histoire : il a créé un homme doué d’une force surhumaine et d’intelligence, dont il a perdu le contrôle. Puis ce sera au tour de l’hideuse créature (Jacob Elordi) de présenter son point de vue. La structure narrative est inspirée par le roman, elle ne lorgne pas moins du côté de l’opéra – un opéra coloré, brutal, où le grotesque et le romantique se toisent. Pas très bien assemblé, bourré de références, d’effets numériques fauchés et d’acteurs qui cabotinent, Frankenstein a aussi parfois ses moments de grâce, ses espaces naturels, une interprétation fascinante de la créature et propose une lecture nouvelle du roman. En deux mots : il est un film hybride, délibérément «monstrueux».

Après Pinocchio (2022), Guillermo Del Toro poursuit sa dissertation sur le naturel méchant de l’humain et l’innocence du «monstre». Le choix de Jacob Elordi pour incarner la créature permet à cette belle gueule du moment de pouvoir s’amuser de son statut de sex-symbol; c’est aussi un élément essentiel pour lier un récit situé en pleine révolution industrielle et un sous-texte très actuel. Outre les références aux contaminations mortelles, à un climat de guerre et aux démiurges qui en profitent, le film évoque en filigrane l’intelligence artificielle, avec une créature aussi lisse qu’un androïde, l’intelligence et la force qu’il développe parlant d’elles-mêmes. Le réalisateur et scénariste s’autorise à humaniser ce monstre que l’on voit sous toutes les coutures – littéralement.

Del Toro choisit une approche hybride, délibérément « monstrueuse »

Mais pour une évocation romantique du mythe, il est regrettable que le seul personnage féminin, Elizabeth (Mia Goth), reste anecdotique, un prétexte parmi d’autres pour donner au film des allures de grand tableau et lui faire tenir sa longue durée. Cela fait partie de l’approche hybride de Del Toro, faite tout entière de contradictions et de paradoxes. Que son Frankenstein pèche par paresse semble d’ailleurs moins problématique que la façon maladroite de dissimuler cela sous couvert d’hommage aux films de série B.

Crimson Peak (2015) et The Shape of Water avaient mis la puce à l’oreille, Frankenstein enfonce le clou : Guillermo Del Toro prouve définitivement que ses œuvres les moins bonnes ne sont pas celles qui jouent la démesure, mais celles qui sont surcalculées. Que le ratage soit planifié ou pas, il semble en tout cas cohérent.

Frankenstein de Guillermo Del Toro. Avec Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth, Christoph Waltz… Genre horreur. Durée 2 h 32