Quand depuis la fin des années 1990, on fait des films sur les obsessions, la violence et la rédemption, le tout dans des effets de caméra étourdissants, il faut parfois faire une pause, souffler sans se retourner et profiter de la parenthèse.
C’est ce qu’a fait Darren Aronofsky avec Caught Stealing, production qui surprend dans sa filmographie pointue. Rappelons que le cinéaste a signé quelques chefs-d’œuvre marquants : le traumatique Requiem for a Dream (2000) pour une descente dans les enfers de l’addiction, le bouleversant The Wrestler (2008) avec Mickey Rourke ressuscité en catcheur, et l’hallucinant Black Swan, porté par Natalie Portman en ballerine au bord de la folie.
Bien sûr, dans le lot, il y a parfois des sorties de route et des incompréhensions (The Fountain, Noé), mais même quand le réalisateur divise, comme ce fut le cas avec The Whale (2022), il permet à l’acteur Brendan Fraser d’empocher un Oscar pour sa performance. Ce qui n’est pas rien.
Après ce récit d’homme obèse reclus, tout en retenue et en silence, enchaîner avec les feux d’artifice du divertissement, il fallait oser et Darren Aronofsky l’a fait. Un plaisir coupable qui s’appuie au départ sur un roman de Charlie Huston, classé «pulp» pour ses sauvageries et ses situations cocasses.
Go Giants !
Avec au centre, un personnage qui, a lui seul, incarne parfaitement l’expression «dommage collatéral». Soit Henry «Hank» Thompson (joué par Austin Butler, ex-Elvis), beau gosse et gentil loser. Promis à une carrière dans le base-ball, il va tout ruiner à la suite d’un accident de voiture (il en cauchemarde encore la nuit) et se reconstruit tant qu’il peut à New York comme barman.
Fils à maman qu’il appelle tous les jours, il tète de la bouteille et peine à s’engager sérieusement avec Yvonne (Zoë Kravitz). Bref, il tourne en boucle entre un passé qui le hante et un présent dévoué à l’équipe des Giants, la seule qui semble lui apporter des frissons.
Il a également un voisin, Russ (Matt Smith), qui a une crête colorée comme on n’en fait plus depuis les années 1980. Un punk à chat, pour le coup, qui demande à Hank de garder son animal le temps d’une escapade à Londres.
Ce que ce dernier ne sait pas, c’est qu’il trempe dans des magouilles pas très claires, notamment un juteux trafic de drogues qui implique des «affreux jojos» à la gâchette facile : une policière, la mafia russe, deux Juifs orthodoxes et un Portoricain, tous décidés à lui rendre la vie dure sans que lui ne sache vraiment pourquoi.
Une «histoire de pognon» qui, comme dans tout bon thriller, orchestre un apanage de trahisons et de mensonges, qui se règle à coups de mitraillettes et d’exécutions. Au milieu du carnage, Hank, balloté entre les différents groupes de gangsters et malmené tel un punching-ball, va-t-il une nouvelle fois fuir ses responsabilités ?
Caught Stealing, avec son côté fun et décomplexé, ses fusillades et ses courses poursuites, n’invente rien. S’il se revendique d’After Hours de Martin Scorsese (1985), ses filiations pourraient aussi se trouver du côté de Quentin Tarantino, des frères Coen ou de Guy Ritchie, notamment pour sa palette de figures déjantées et un peu à côté de la plaque.
Un film qui, par sa construction classique et son histoire convenue, aurait même pu se retrouver directement sur une plateforme en streaming sans que l’on y trouve à redire. Seulement, s’il succombe ici à une certaine facilité, Darren Aronofsky ne perd pas pour autant ses réflexes. Avec lui, la violence, aveugle, n’épargne personne, quitte à brutaliser son héros ou à faire disparaître certains personnages attachants d’un claquement de doigts.
Idem pour la morale, absente des débats. Et une fois encore, chez lui, la musique trouve une place de choix (jusqu’au casting avec la présence de Bad Bunny et Action Bronson), tantôt punk rock avec Idles (qui a composé une partie de la BO), tantôt nostalgique avec Meredith Brooks qui se chante à tue-tête.
Car oui, Caught Stealing est nostalgique. En le plaçant en 1998 à New York, dans le Lower East Side, Darren Aronofsky rappelle qu’il y a tourné son premier film… en 1998 (Pi), et d’autres. Une ville qu’il a connue dans son jus, avant les réformes du maire Rudolph Giuliani visant à la rendre plus fréquentable. D’où ce décor fait de bars pourris, de cabines téléphoniques déglingués et de rues coupe-gorge, avec ses clochards sur les trottoirs.
Le tout à l’ombre des tours jumelles du World Trade Center, encore sur pied. Pas sûr qu’il faille y voir un message, du genre la boucle est bouclée. Seulement l’œuvre d’un cinéaste qui refuse d’être «pris au piège» de ses créations et des attentes du public.
Une flexibilité et une science du grand écart qu’il va poursuivre : on va le retrouver à la tête d’un biopic sur Elon Musk, d’une adaptation d’un roman de Stephen King (Cujo) et d’un film psychologique sur un gourou (Breakthrough). C’est connu : quand on aime, on ne calcule pas.