Le nouveau film de la réalisatrice franco-luxembourgeoise Anne Fontaine, qui sort en pleine période de dénonciation des violences policières, plonge le spectateur dans le quotidien de trois policiers de proximité qu’une mission inattendue met à l’épreuve. Un film sensible qui fait écho à l’actualité.
Si la police est, à l’écran, le métier de tous les fantasmes, le cinéma français actuel – à l’exception des délires excessifs et musclés de l’ex-flic devenu réalisateur Olivier Marchal – a moins tendance à romancer les forces de l’ordre que les Américains ou que ses illustres ancêtres, des films noirs de Jean-Pierre Melville aux extravagances casse-cou avec Jean-Paul Belmondo.
Le nouveau film d’Anne Fontaine est d’ailleurs sobrement intitulé Police. Comme Maurice Pialat (Police, 1985) et Maïwenn (Polisse, 2011) avant elle, Anne Fontaine s’intéresse avec un réalisme certain au quotidien de trois policiers avant que leur routine prenne une direction inattendue. Ainsi, Police est divisé en deux parties : dans la première, on y voit les mêmes séquences en triple, la caméra adoptant tour à tour le point de vue de chaque personnage, que l’on suit dans leur travail comme dans leur vie privée. La seconde partie, en huis clos, voit le trio de protagonistes troublé par leur mission commune : conduire un réfugié à l’avion qui le ramènera au Tadjikistan, où il est menacé de mort.
Un film qui arrive à temps
Anne Fontaine met en scène un film qui «tient à 80 % dans le choix» de son casting, composé de Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois face à l’acteur iranien Peyman Maadi (À propos d’Elly, Une séparation), mais Police, qui devait sortir à l’origine en avril, arrive surtout en salles dans une période où les violences policières sont aussi dénoncées qu’elles semblent inarrêtables. Omar Sy, dont Anne Fontaine a «enlevé le sourire» le temps d’un film, confesse que «ce qui est intéressant avec ce film, c’est qu’on se demande (…) comment ça se passe entre le devoir de notre fonction, c’est-à-dire de l’uniforme, et celui de notre propre morale et de notre propre sensibilité (…) Quand on est honnête, on n’a pas la réponse.»
La sortie du film était encore incertaine quand la mort de George Floyd a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, débouchant sur des manifestations qui ont dépassé les frontières de l’Atlantique. En France, on a défié l’interdiction des rassemblements pour cause de pandémie afin de protester contre les violences policières qui ont coûté la vie à Adama Traoré, Babacar Gueye, Zyed Benna, Bouna Traoré ou encore, plus loin dans le temps, à Malik Oussekine.
Omar Sy, qui vit à Los Angeles, a marché pour George Floyd de l’autre côté de l’océan. La voix de l’acteur, qui a été la première personnalité française à avoir exprimé son soutien à la famille d’Adama Traoré, est aussi celle d’un ancien jeune des quartiers qui a vu ces violences et vécu les contrôles au faciès. Dans sa tribune Réveillons-nous, publiée en juin dans le magazine L’Obs, il «invite à sortir du silence» la «majorité des policiers qui ne cautionnent pas ces actes violents».
Alors forcément, l’actualité brûlante résonne cruellement avec la sortie de Police. Pour Virginie Efira, «chacun d’entre eux (NDLR : les trois personnages du film) a la volonté de changer quelque chose alors qu’ils sont prisonniers de ce qu’ils sont». Anne Fontaine ne fait «pas un film moralisateur», ajoute l’actrice, mais cherche la sensibilité des personnages devant le cas de conscience qui interpelle leur morale. Une entreprise compliquée, surtout quand l’expérience leur a appris à douter de la véracité de ce que leur raconte celui qu’ils doivent escorter. «Ce qui est dur dans ce métier, c’est qu’on leur demande de ne pas céder à l’humanité», affirme la réalisatrice née à Luxembourg, qui vient de fêter ses 61 ans.
Omar Sy à contre-emploi
Virginie Efira poursuit : «Je ne m’étrangle pas quand on parle de violences policières mais en même temps, il faut se demander s’il y a assez d’effectifs et de moyens.»
Grégory Gadebois se glisse une nouvelle fois dans la peau d’un personnage bourru et intraitable (il endossait déjà un rôle similaire, quoique moins émotif, dans un film précédent d’Anne Fontaine, Marvin ou la belle éducation, en 2017), tandis qu’Omar Sy trouve dans Police son premier rôle à contre-emploi, sensible et métaphysique. Virginie Efira, elle, continue d’enrichir son impressionnant répertoire avec un rôle de femme flic à l’opposé de l’émotion, avant de revenir, ces prochains mois, dans les prochains films très attendus d’Albert Dupontel (Adieu les cons) et Paul Verhoeven (Benedetta).
L’actrice devrait également retrouver Anne Fontaine l’année prochaine pour un biopic de Maurice Ravel, dans lequel elle partagera l’affiche avec Swann Arlaud et la Luxembourgeoise Vicky Krieps. À noter que Peyman Maadi, qui complète le casting de Police, est également la tête d’affiche du polar iranien Just 6.5 de Saeed Roustayi, qui sera projeté ce mercredi soir à 20 h 30 à l’Utopia lors d’une séance unique présentée par le LuxFilmFest.
Valentin Maniglia