La chute de la livre turque face au dollar s’est accélérée mercredi, au pire moment pour le président Recep Tayyip Erdogan en pleine campagne pour les élections de juin, au cours desquelles la dégradation de l’économie risque de peser sur le choix des électeurs.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2003, les succès économiques d’Erdogan ont toujours été l’un des piliers de sa popularité, mais il aborde le scrutin anticipé du 24 juin avec une inflation de plus de 10% tandis que la monnaie nationale a perdu plus de 36% de sa valeur face au billet vert en un an. Cette devise a battu un nouveau record mercredi, s’échangeant à 4,84 contre un dollar, après avoir perdu plus de 3,5% de sa valeur en quelques heures. « Il semble qu’il ne soit plus qu’une question de temps » avant que la livre turque ne se retrouve « à cinq contre un dollar », met en garde dans une note Jameel Ahmad, un analyste chez FXTM, estimant qu’elle est « en chute libre ».
Cette dégringolade s’explique en grande partie par l’inquiétude des marchés quant à l’inaction de la Banque centrale (CBRT), que des experts économiques appellent à prendre des mesures, notamment en relevant les taux d’intérêt. Mais le président Erdogan s’oppose fermement à cette idée et a laissé entendre la semaine dernière qu’il souhaitait peser davantage sur la politique monétaire s’il était réélu. La livre turque s’effondre depuis, battant des records à la baisse face au dollar et à l’euro quasiment chaque jour. Outre l’effondrement de la livre, les économistes mettent en garde depuis plusieurs mois contre un risque de surchauffe de l’économie en raison d’une inflation galopante et de large déficit des comptes courants en dépit d’une croissance robuste.
Le spectre d’une défaite
De nombreux analystes estiment que c’est la crainte d’une crise économique dans les prochains mois qui a poussé Erdogan à avancer la date des élections présidentielle et législatives initialement prévues pour novembre 2019. Or la crise semble déjà pointer son nez avant le scrutin anticipé et risque d’influer sur le vote. Selon deux récents sondages des instituts MAK et Gezici, plus de 40% des Turcs jugent que l’économie est le principal problème de leur pays. « Pour les Turcs, une monnaie faible signifie une économie faible », explique Atilla Yesilada, un spécialiste de la Turquie chez Global Source Partners à Istanbul. Selon lui, « si le choc des taux de change se traduit en une performance économique plus faible, (…) le spectre d’une défaite de l’AKP (le Parti de la Justice et du Développement, au pouvoir) peut devenir une réalité ».
Et ce même si la base électorale d’Erdogan et de l’AKP est « plutôt loyale ». « Globalement, il a été démontré que les performances économiques ont un impact immédiat sur le comportement électoral. Donc les coûts économiques considérables peuvent avoir un impact », déclare prudemment Selva Demiralp, professeure d’économie à l’Université Koç d’Istanbul.
Dans une tentative de soulager la devise turque, la Bourse d’Istanbul a annoncé mercredi matin avoir converti l’ensemble de ses réserves de change en livres, sauf ses besoins à court terme. La CBRT doit se réunir le 7 juin pour prendre une décision sur les taux, mais des experts pensent que cette réunion sera avancée vu l’urgence de la situation. Capital Economics prévoit dans une note que la CBRT se réunira « dans les prochains jours » pour relever les taux d’intérêt et met en garde contre un risque de récession faute d’un resserrement de la politique monétaire. « Les investisseurs veulent clairement une preuve que les décideurs (de la CBRT) sont prêts à tenir tête au président Erdogan et ses opinions peu conventionnelles en matière de politique monétaire », poursuit la note. Incapables d’enrayer la chute de la livre, des responsables évoquent un « complot » ourdi contre l’économie turque.
Mais pour les analystes de Commerzbank, « l’évolution exponentielle du taux de change de la livre turque est un symptôme évident d’une crise monétaire ».
Le Quotidien/AFP