Un prévenu pressant et pressé qui ne respecte pas le couvre-feu, une victime sans masque et une carte de crédit volée. La pandémie de covid a bon dos dans cette affaire de couteau tiré.
La patience de la présidente de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg a été mise à rude épreuve par Igor, bonnet vissé sur la tête, et Éric, hier matin. Les deux jeunes Capverdiens de 24 et 25 ans sont accusés d’avoir tabassé et lardé de coups de couteau le client d’une station-service de Luxembourg-Hollerich, dans la nuit du 24 octobre 2020. Une attaque qui paraît purement gratuite et qui aurait pu avoir des conséquences fatales, selon une légiste. Cinq coups de couteau et un violent coup de pied à la tête ont causé entre autres un hémopneumothorax, un trauma crânien et cérébral ainsi qu’une fracture de la dixième côte du côté gauche.
«C’est lui qui a commencé. Je dis la vérité, je ne suis pas venu ici pour mentir.» Éric reconnaît avoir porté cinq coups de couteau et profite, comme son acolyte, que cette partie des faits ait eu lieu en dehors du périmètre surveillé par des caméras. Ce sont leurs paroles contre celles de la victime qui était ivre. 1,53 gramme d’alcool par litre de sang. Et des paroles, ils n’en ont pas qu’une, comme l’a constaté la juge en relevant les variations entre leurs différentes dépositions auprès des policiers, du juge d’instruction et à la barre. «La vérité se retient et elle n’existe qu’en une seule version. À force de raconter tout le temps des histoires, on perd le fil et on ne se souvient plus de ce qu’on a dit.»
Justino témoigne s’être rendu en voisin à la station-service à 1 h pour acheter du tabac. Derrière lui, à la caisse, se trouvait Igor. «Il m’a demandé de me dépêcher. C’était en pleine pandémie et il me collait d’un peu trop près. Il avait un regard menaçant et une main dans la poche de son pantalon», a expliqué la victime présumée. Sur les images de vidéosurveillance, on voit les deux hommes gesticuler, Justino repousser Igor et un employé s’interposer. «Ils parlaient en portugais. Je n’ai pas compris ce qu’ils disaient», a témoigné ce dernier. À peine sorti du magasin une bière à la main, Justino a été assailli par Igor et quatre jeunes hommes, dont un qui reste non identifié à ce jour, surnommé «Ghost» par les deux prévenus.
Les images filmées les montrent se ruant sur Justino qui tombe à terre avant de se relever et de s’enfuir sur la route. Tout est allé très vite. «Je n’arrivais pas à me défendre», s’est souvenu la victime qui «pense avoir reçu les coups de couteau entre la station-service et l’église de Hollerich où il fait plus sombre à cause des arbres» alors qu’il était à terre. Éric prétend avoir administré les coups de face, se sentant menacé par le quadragénaire qui serait revenu dans sa direction. Il se serait même blessé en dégainant son couteau. «J’ai même une blessure ici», dit-il en pointant le bout d’un de ses doigts. «Arrêtez, vous allez nous faire pitié !», a répondu la présidente de plus en plus agacée par l’attitude des deux prévenus.
«Défendus contre rien»
Éric et Igor n’ont pas été très convaincants. Ils se sont perdus dans leurs contradictions et ont fait preuve de mauvaise foi face aux évidences du dossier. S’il était pressé, explique Igor, c’est parce que «je ne voulais pas prendre d’amende parce que le couvre-feu était déjà passé». Il était 1 h 15. «Je lui ai gentiment demandé de se dépêcher. Il me parlait de sécurité alors que lui-même ne portait pas de masque.»
Cela ne justifie pas une attaque d’une telle violence, s’étonne la juge. «Quand je suis sorti, il m’attendait et a voulu me mettre un coup de poing. Je l’ai esquivé», répond le jeune homme. «La victime avait des bières en main», lui oppose la magistrate. «J’étais tranquille.» – «Vous étiez tous les deux énervés.» – «Si vous regardez les images, vous le verrez.» «Je commence à douter que nous ayons vu les mêmes images», rétorque-t-elle sans se laisser désarçonner.
Elle finit par les réprimander. «On est en droit de se demander contre quoi vous et vos amis vous vous êtes défendus face à un ivrogne qui n’a pas réussi à vous porter de coup. Vous vous êtes défendus contre rien. Pourquoi n’êtes-vous pas partis ? Si vous étiez partis, rien de tout ceci ne se serait produit.» Igor marmonne une réponse.
Entre chaque question ou remarque de la juge, il baisse d’un ton, s’excuse et se retrouve coincé aux entournures quand la représentante du ministère public lui demande pourquoi il a quitté le magasin sans payer sa bouteille de vodka. Pour suivre Justino ? «La carte bancaire ne marchait pas», a répondu le jeune homme. Elle avait «été trouvée» ou «volée» et la limite de paiement autorisé sans contact et sans code avait sans doute été dépassée. «Pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir utilisé votre propre carte bancaire pour payer au lieu de suivre Justino ?» Igor ou son avocat répondront peut-être à cette interrogation cet après-midi.